Au Baccara, Odezenne joue cartes sur tables et cœur sur la main
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
25/10/2018

Au Baccara, Odezenne joue cartes sur tables et cœur sur la main

Odezenne, c’est un nom qui rappe un peu sous la langue tant le trio bordelais nous a toujours mis face au mur en 10 ans d’existence. Un mur solaire avec des titres comme Souffle le Vent, un mur impressionnant avec Rien mais un mur toujours parsemé de marches et de barreaux pour l’escalader, parfois difficilement, et à force d’efforts jouissifs pour attraper la main tendue qui nous hisse au sommet où l’on s’observe, un peu plus humain qu’en bas.

Avec Au Baccara, le groupe s’oppose aux jeux de dupes, amoureux, sociaux, amicaux et livre un album d’une urgence assourdissante et poétique. Paumes et oreilles ouvertes aux milieux des nappes de synthétiseurs, des boucles chavirant et des couplets, Odezenne dépeint avec justesse sa réalité : réelle, voulue, détestée mais éternellement optimiste, tournée vers l’avenir et les autres.

Nucléaire, hymne fédérateur de l’album aux paroles psalmodiées sur un rythme à la linéarité inverse à leur intensité, donne le ton : Au Baccara ne dépeindra pas un monde rêvé, voire inaccessible, mais bien la vie quotidienne dans toute sa beauté ordinaire. Semblant prendre le contre-pied d’un optimisme pourtant revendiqué, la noirceur de Lost ne recèle d’aucun moment d’espoir. Le groupe explore de nouveaux territoires à la beauté triste et électronique assumée mais avec une maîtrise et un succès inégal. Le second essai de prendre une direction, peut-être excessivement, divergente de compositions plus classiquement associées aux Bordelais, se solde par une escapade peu concluante au titre tristement révélateur : James Blunt.

Bébé voit le trio perdre pied avec brio sur la pente glissante de l’excès. Une chute sauvée in-extremis à l’atterrissage par la nonchalance morbide des compositions de Matthia. Un rythme à la rapidité palpitante, en contre-temps de notre cœur. Lucide comme jamais, Odezenne remplace le bad trip amorcé par les chansons précédentes par une célébration à laquelle il est impossible de résister. En L renoue avec l’insouciance bienfaitrice traditionnelle du groupe. L’alternance entre Alix et Jacques donne un nouveau souffle à un discours qui met définitivement aux oubliettes une morosité faussement inhérente.

La chanson éponyme réunit l’ensemble des éléments qui font de cet album un grand disque. Paroles à la poésie aussi tranchante que leur clarté déclamée avec une verve quasi-insultante. Cartes sur tables, les amis ne cherchent à convaincre personne en fredonnant des phrases à double tranchant dont on apprécie chacune des coupures. Libération ultime de l’album, Pastel cristallise la vision Odezenne : dans un monde où la complexité s’impose souvent comme un gage de réussite, la recherche d’un naturel intuitif apparaît comme le seul échappatoire. Une simplicité musicale, lyrique qui engendre une track à l’humanité fulgurante, étourdissante et sans concession.

Dépouillée de tout faux semblant, BNP n’essaye pas de déguiser une quelconque accusation, vise la finance et l’assume. Cri du cœur, preuve d’une insupportable réalité.

Tony s’ouvre par un des plus beaux couplets de ces dernières années :

Collé à moi tu ne briseras jamais.
J’aurai toujours pour toi
Des mots, du beau,
De jolis mois de mai.
Collé à moi tu ne tomberas jamais.
J’aurai toujours pour toi, la paix,
De quoi terrasser la misère.

Au creux de sa main, le groupe semble tenir la nature humaine à son apogée : vibrante, éclatée et éternelle. Emportées par un courant impétueux de sonorités synthwaves, les vagues électroniques portent les vers mordants vers des horizons d’un éclat rarement atteints.

Si des moments de doutes, d’errance sont présents sur des tracks telles que Lost ou Bébé, c’est l’humain, son inégalable beauté et son incorrigible optimisme qui résonne sur l’ensemble d’Au Baccara. Il y a des albums que l’on trouve beaux et il y a des albums qui vous prennent aux tripes, qui vous rendent plus vivant qu’avant, qui vous rappellent qu’en dépit de tout ce qu’on peut endurer, de l’horreur immanente à chacun, c’est en cette même humanité qu’est renfermée notre seule raison de vivre.

Et de façon bien plus réelle que ces phrases inutiles, Odezenne sait vous le rappeler avec une compassion rare.

 

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