Catastrophe : “Avant de parler de clé du bonheur, il faut déjà trouver la porte”
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Auteur·ice : Alphonse Terrier
14/05/2019

Catastrophe : “Avant de parler de clé du bonheur, il faut déjà trouver la porte”

Cela fait maintenant quatre ans que le groupe Catastrophe opère entre musique, littérature et incubation d’idées. Rencontre avec Arthur, Blandine et Pierre avant leur concert au Festival Mythos à Rennes.

La Vague Parallèle : Comment vous définiriez Catastrophe à des gens qui ne connaitraient pas le projet ?

Arthur : Catastrophe est un groupe de personnes, qui ont plutôt en dessous de 30 ans. On est basé à Paris et on se rejoint pour créer des objets : de la musique, de la scène ou du texte. On essaye de rien s’interdire.

Blandine : Je préciserais encore un peu plus en disant qu’on est sept.

Pierre : Ce qui nous caractérise et ce qui nous intéresse le plus, au-delà de faire de la musique ou d’écrire des choses, c’est de réaliser des idées qui nous excitent, qui nous enthousiasment, et qui, si possible, n’ont pas été encore faites.

B : En troublant si possible le réel, ou la perception que l’on en a. Ce n’est pas juste faire un joli album ou un beau livre, c’est fabriquer des évènements.

P : On est très attaché aux idées. Ce qui nous pousse à continuer de faire des choses, c’est qu’on a envie de voir se matérialiser des idées qu’on a eu.

LVP : L’album est sorti l’année dernière et vous avez beaucoup tourné depuis. Comment cela vous a-t-il transformé ?

B : Je dirais qu’on s’est rendus compte qu’on faisait tout ça pour la scène. C’est le trouble principal que j’ai eu : avant, je croyais qu’on faisait un disque et que ponctuellement, on allait faire tel évènement. En fait non, on fait tout ça pour faire de la scène et rencontrer des gens. C’est ça la finalité.

P : C’est au cœur de ce qu’on fait, d’aller au contact des gens, dans des villes qu’on ne connaît pas.

B : Le fait de se rendre compte de ça, de donner autant d’énergie et d’attention à la scène, ça a changé la musique qu’on fait, ça a changé ce qu’on dit. Par exemple, on s’est rendu compte que certains mots sont cryptiques : on ne s’en rend pas forcément compte en les écrivant, mais en les disant à quelqu’un, on voit tout de suite si la personne les comprend ou pas. Ce qu’on veut; c’est surtout parler à des gens. Il vaut mieux parfois choisir un mot qui n’est pas précis, dont on va infléchir le sens par la manière dont on l’amène, plutôt que d’utiliser un mot que personne ne comprend.

P : Je pense que les concerts ont aussi changé notre rapport à la musique. Pour l’album, nous étions dans une démarche de home-studio, de production assez froide et digitale. Pour le prochain projet, on va beaucoup plus jouer ensemble et être dans quelque chose de chaud et vivant. Il sera fondé sur l’expérience de jouer ensemble et chanter ensemble.

B : J’ai aussi l’impression d’avoir réalisé que faire de la musique et de la scène, c’était prendre part à la société. C’est peut-être dit d’une manière un peu maladroite, mais on rencontre des gens très différents. Des publics qui n’ont pas du tout les mêmes références, qui ne se ressemblent pas, qui n’ont pas les mêmes âges ni les mêmes situations sociales.

A : En partenariat avec les Francofolies de la Rochelle, nous avons été invité à écrire une chanson avec des enfants d’école entre 8 et 12 ans dans les quartiers nord de Marseille. On est venu avec de la musique et on les a accompagnés pour écrire le texte. Tout ça s’est terminé par un concert au Cabaret Aléatoire, on a rencontré des gens qui étaient profondément marqués. C’était leur premier concert, ils se rendaient pas compte que ce n’est pas anodin d’aller dans les quartiers nord de Marseille pour faire cette opération. La musique mûrit grâce à ça aussi.

B : On a essayé de pousser l’idée au bout. Le morceau est vraiment produit, on a travaillé avec un graphiste, avec un photographe. On voulait que artistiquement, il y ait une vraie valeur.

LVP : Je sais que le rêve est un thème cher à Catastrophe. Comment vos rêves influencent-ils vos créations et inversement ?

B : On a quelqu’un dans le groupe, Carol, qui note tous ses rêves depuis six ans dans une note de portable.

A : Sur scène, je raconte un rêve que je fais. Ce que j’aime beaucoup avec le rêve, c’est que c’est un peu comme une relecture de ce qu’il s’est passé. Ce qui est fort c’est de le raconter à plusieurs, et de se rendre compte comment le réel nous a touché inconsciemment et comment il revient. C’est assez formidable d’avoir ce film intérieur qui va donner des pistes à exploiter.

P : Le rêve, c’est une source d’inspiration infinie. Ça nous démontre que notre cerveau fait preuve d’une imagination incroyable. Les rêves sont des terreaux de trouvailles, d’associations auxquelles on aurait jamais pensé.

B : C’est un peu comme du pétrole, ça donne de l’énergie et des idées.

P : Je crois que dans le rêve, le principe de non-contradiction n’existe pas. On peut être à la fois aujourd’hui et demain.

B : C’est vrai qu’on essaye de tendre vers cette liberté-là du rêve.

LVP : Je sais que vous préparez une comédie musicale : est-ce que vous êtes plutôt West Side Story, Les Demoiselles de Rochefort ou Starmania ?

B : Oh, les trois !

P : Le triangle d’or !

A : On peut se situer à l’intérieur mais chaque point à des défauts et des qualités.

P : On prendrait pas l’esthétique de Starmania.

B : On prendrait le propos de Starmania, les chorégraphies de West Side Story, l’esthétique et la direction artistique des Demoiselles de Rochefort.

P : Les couleurs des Demoiselles de Rochefort !

A : Mais on inviterait Bob Wilson pour mettre de la folie.

B : Et Stephen Sondheim pour un featuring dans la composition.

A : Et Charlie Kaufman.

P : Borges.

A : Kundera.

LVP : Oh d’ailleurs, avez-vous des nouvelles de Milan Kundera à nous donner ?

B : On a son adresse de deux sources sûres.

A : Et il est au courant.

B : On n’a pas encore eu de retour direct mais la partie n’est pas finie !

LVP : Comment rêvez-vous le monde de demain ?

A : Apaisé, sous toutes les énergies.

B : Écologique, mais dans tous les sens du terme. Qu’il y ait une écologie de l’information, évidemment une écologie matérielle, mais aussi une écologie des relations humaines. Sur tous les plans, le mot écologie à quelque chose à nous apporter.

P : Il faudrait trouver une distinction entre l’esprit de sérieux et le premier degré. J’aimerais bien un monde où on puisse se permettre d’être premier degré sans avoir trop d’esprit de sérieux, tout en gardant de l’humour.

LVP : Quelle est selon vous la clé du bonheur ?

B : Avant de parler de clé du bonheur, il faut déjà trouver la porte.

A : C’est marrant, j’imagine vraiment le mec avec une clé gigantesque.

P : Je dirais peut-être, à titre personnel, que la clé du bonheur c’est l’effort.

A : Pour moi ce serait le temps, un temps à soi, sentir qu’on a son temps et que ce n’est pas le temps d’un autre.

LVP : Et enfin, est-ce que vous avez peur de la mort ?

P : Pour moi, la réponse est oui.

B : Oui, mais je souhaite continuer à avoir peur parce que ça continue à me faire agir.

P : J’ai peur de ne pas avoir le temps de finir quelque chose. Après mourir en soi, c’est un mauvais moment à passer.

A : Moi j’ai de plus en plus peur de la mort des autres.

B : C’est très présent dans Catastrophe. On commence chaque concert en rappelant que ce qui va se passer ne reviendra pas.

P : C’est ce qui n’existe pas avec un disque.

B : Idéalement, on ferait des disques qui s’autodétruisent.

P : Je m’interroge et je me dis que le disque n’est peut-être pas forcément le format qui nous convient.

A : Ce qui serait magnifique, ce serait un morceau que tu ne peux écouter que 10 fois. Imaginons que je l’écoute chez moi une fois, je l’adore. Je vais le réécouter une deuxième fois et, à un moment, je vais inviter mes amis pour l’écouter la troisième fois.

P : C’est aussi pour ça qu’économiquement c’est dur, puisqu’il n’y a plus de support physique pour la musique. Je pense que ça dévoie beaucoup la qualité de l’écoute et effectivement, un nombre limité d’écoutes donnerait de la valeur à une musique.

A : C’est comme le mot léger, quelque chose peut être léger, il va voler très facilement mais il ne va pas avoir assez de poids ni de consistance.

B : C’est comme ça qu’on perçoit l’époque d’aujourd’hui. La chose qui nous fait jouir nous fait aussi souffrir.

Cette interview a été réalisée conjointement avec Sarah Salem de L’Imprimerie Nocturne. Merci à elle !

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