For Ever, Jungle
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Auteur·ice : Charles Gallet
16/09/2018

For Ever, Jungle

Il y a des albums qui marquent leur époque, qui sont si parfaits et fulgurants qu’ils s’accrochent à nous et à nos souvenirs pour toujours. Mais certains sont frappés d’une étrange malédiction qui font qu’ils resteront à jamais un premier album. On pourrait parler du Nevermind The Bollocks des Sex Pistols, mais de manière plus récente, on pourrait aussi fatalement citer Late Of The Peer ou Wu Lyf comme des groupes qui nous auront laissé un sale goût d’inachevé et de promesse manquée dans le cœur et les oreilles. Et on a craint, pendant un moment, que cette guigne ne frappe aussi Jungle qui avait imprimé de toute sa classe l’année 2014, ouvrant la porte à une vague neo-soul qui les verra souvent copiés mais jamais égalés. Heureusement, les deux amis d’enfance avaient sans doute juste besoin de vivre, respirer… et de se faire briser le coeur, pour nous offrir For Ever, second album tant attendu.

Un cœur qui se brise laisse souvent autour de lui des “pour toujours” qui ne lui serviront plus. Ceux qu’on dit à l’être aimé, ceux qu’on utilise comme un mantra, qu’on se glisse dans la tête pour garder en soi ce sentiment d’infini, cette idée d’éternité qui sied si bien à toute relation amoureuse qui commence, qui existe et qui finit par se terminer. Mais que faire de ces “for ever” quand l’être aimé s’en va, quand la relation sans fin s’arrête aussi brutalement qu’une bagnole dans un platane lors d’un retour de boîte de nuit ? Les choix existent et sont nombreux : on peut regarder les promesses s’envoler et se dire qu’on ne nous y reprendra plus, on peut les chérir comme un trésor qui nous fera sombrer, ou on peut les utiliser à tout autre chose, se nourrir d’eux pour les digérer et les transformer en quelque chose de plus honnête, de plus grand et qui laissera une trace… pour toujours.

Quand Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, les deux têtes pensantes cachées derrière Jungle, se retrouvent, ils viennent de voir tous les deux leurs relations se terminer. Alors qu’ils réfléchissent (et flippent un peu, on en est sûr), à la construction de ce second album aussi attendu qu’il est craint, ce sont ces obsessions personnelles qui les habitent et les poussent vers la création. Voila comment on pourrait expliquer la genèse de For Ever, second album flamboyant du gang londonien.

Vous l’aurez donc compris, et si ce n’est pas le cas on ne voit pas trop ce qu’on peut faire pour vous, For Ever est un album de rupture.

La principale évolution du duo est sans aucun doute sa plus grande réussite : avoir réussi à rendre ce second album personnel. En se nourrissant, en insérant dans leur processus artistiques des parts d’eux mêmes, de leur vie et de leur expériences, Jungle ajoute un supplément d’âme, déjà bien présent en live, à une musique qui semblait parfois un peu artificielle et basique dans ses thématiques. Des chansons comme Give Over, Happy Man ou Home exaltent ainsi de cette honnêteté qui rend humaine des chansons parfaites techniquement, les solidifiant et rendant ainsi palpable un propos qui, si il parle essentiellement d’eux, s’attachera au final à s’offrir à tous.

En évitant soigneusement d’offrir aux gens ce qu’ils attendent mais en se lançant tête baissée dans leur obsessions, en ajoutant de la profondeur à leur style, idée aussi logique que nécessaire, ils évitent donc la redite et s’éloignent avec grâce de l’ennui d’un second album qui aurait pu être  trop pensé et calculé. On vous rassure quand même, si le fond se veut volontairement mélancolique et parfois triste, la forme reste elle toujours aussi fabuleuse. Jungle continue ainsi de développer cette néo-soul funky qui lui va si bien, produisant des petites bombes faites pour la danse telles que Happy Man ou l’extatique Heavy California. Mais là encore les garçons sont bien décidé à ne pas se reposer sur leur lauriers, en atteste la batterie puissante qui ouvre l’album sur l’excellente Smile, ou la basse toute en volupté du futur hit Casio et de la très cinématographique Beat 54 (All Good Now).

Et quand ils ralentissent le tempo, ils réussissent à nouveau à nous surprendre et nous réjouir notamment avec Mama Oh No, ou Give Over qui tend par certains aspect vers une sorte de r’n’b électronique futuriste ou Consurmyne et son beat hip hop.

Avec For Ever, Jungle enjambe avec brio la très périlleuse barrière du second album. En offrant plus de profondeur à leur propos, en s’offrant des escapades diverses dans des styles variés auxquels ils apposent avec aisance leur patte si spécifique, le groupe enfile une nouvelle fois les hits comme des perles sur leur collier musical assez jouissif. Les londoniens réjouissent autant qu’ils divertissent et ce sans jamais provoquer une once d’ennui, nous offrant un voyage mélancolique dans les méandres d’une rupture amoureuse tout en ne s’éloignant jamais vraiment de la piste de danse. Pour nous, Jungle, c’est définitivement For Ever.

 

 

 

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