Hi This Is Flume : le retour de rêve
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
26/03/2019

Hi This Is Flume : le retour de rêve

Flume est à la musique électronique ce que Baudelaire est à la poésie. Deux pionniers ambitieux et intrépides pour lesquels peu importent les limites du registre dans lequel ils s’épanouissent. Si les Fleurs du Mal du poète ont secoué le monde du vers et de la prose,  ce sont les gentianes de Skin, second album de l’Australien, qui sont venues bouleverser celui de l’électro. Fort de tubes déjà acclamés dans le monde entier – dont Drop The Game en featuring avec le prodigieux Chet Faker – Harley Streten se voyait décerné le prix du “Meilleur album électronique” aux prestigieux Grammy Awards. C’était en 2017 et l’artiste s’était fait discret depuis lors, malgré quelques EPs complémentaires. Une attente amplement récompensée pour les mélomanes amateurs de cet univers si éclectique qui s’émerveillaient ce mercredi soir devant une nouvelle mixtape inédite sobrement intitulée Hi This Is Flume. 

On ne lit pas en Flume comme dans un livre ouvert. Si l’on tend l’oreille sur ce nouveau projet avec l’espoir d’y retrouver des tubes comme Never Be Like You ou Say It, c’est raté. Aussi efficaces qu’ils puissent être, ces succès ne recouvraient qu’une faible parcelle de l’univers musical du producteur. La face cachée de l’iceberg, ce sont des productions plus brutales et déstructurées que l’on découvrait notamment avec Wall Fuck ou encore Enough sur lequel apparaissait le rappeur Pusha T. Pour cette nouvelle sortie, c’est ce côté du registre qui est exploité avec force pour livrer une oeuvre presque insaisissable. Avec le titre Ecdysis (“éclosion” en anglais), cette mue est métaphoriquement mise en avant et prouve un certain vent de changement qui soufflerait désormais sur le petit monde electronica de Harley. Facilité par le format mixtape non contraignant, le voyage est complet et novateur. Un climat volontairement déstabilisant qui ne propose aucune zone de confort, nous entraînant sur un rodéo ébranlé nécessitant une écoute active et intense. Mais n’ayez crainte, le jeu en vaut largement la chandelle.

À l’instar de Solange début du mois, c’est sous forme de court métrage que ces 17 nouveau titres se dévoilent. Réalisé par l’inventif Jonathan Zawada, déjà derrière les visuels de Skin, il offre une quarantaine de minutes truffées d’aesthetic, comme le diraient nos voisins d’Outre-Manche. Des paysages somptueux, des couleurs psychédéliques et des effets renversants centrés autour de ce qui semble être le point nodal du projet : un coupé vintage customisé avec goût et excès. Mystérieusement nommé “wormhole”, en rapport sans doute avec la théorie du trou de ver et du voyage dans le temps, c’est à son bord que l’on parcoure le clip et les différentes atmosphères qui l’habitent. En ressortent de somptueux tableaux racontés par cette association mystique de sons en tout genre dont seul le jeune créateur en a le secret. Lui qui donne au bruitisme une saveur toute particulière en jonglant avec les textures sonores pour faire chanter ses compositions. Il y’a en effet une cohérence sous-jacente dans les sonorités de Jewel71M3 ou encore Daze 22.00. Sous-jacente car c’est le genre de titres nécessitant une multiplicité d’écoutes au vu de la variété de couches composant ces bijoux de production.

Avec On Top sur son éponyme premier album, il démontrait déjà son intérêt pour le terreau fertile qu’est le monde du rap. De Allan Kingdom à Vic Mensa, les pointures du milieu s’invitent fréquemment sur les beats futuristes de l’Australien pour générer une symbiose séduisante entre les deux répertoires. JPEGMAFIA, l’hyperactif californien très en vogue, scande son flow foudroyant sur l’ironique How To Build A RelationshipHigh Beams vient aussi s’inscrire dans l’histoire de l’électro-rap puissant de Flume qui s’entoure cette fois du british slowthai, révélation déjantée du rap anglophone. Un refrain aux notes légères inspirées d’Asie posées sur la hargne d’une trap délicieusement percutante. On y retrouve une gestion brillante du contraste qui permet un parallèle avec le brûlant Smoke & Retribution, paru sur Skin, balancé entre l’incandescence de Vince Staples et l’innocence de la douce Kučka. Cette dernière, proche amie de l’artiste, prête aussi sa voix sur Voices. Un titre qui débute en trombe avant de révéler des sonorités plus planantes et plus tendres. Au rayon “invités de qualité”, l’insolite sensation écossaise SOPHIE et son hyperkénésie musicale. Son doux Is It Cold In The Water? s’offre le luxe d’être remixé par Harley et son inventivité sans bornes. À l’image de sa reprise de You & Me des frères Disclosure six ans plus tôt, la magie opère. Plus qu’un simple remix, c’est une réelle réinterprétation qu’il propose en reconstituant le titre du plus profond de lui-même.

Des sons plus familiers se glissent dans des titres tels que Amber ou Vitality, nous raccrochant à ce qui avait déjà fonctionné pour le compositeur. Le premier nous renvoie à ces infusions métalliques et à ses kicks froids qui plaisaient déjà tant sur des titres tels que Like Water. Pour le second, on retrouve la facette plus dreamy et lo-fi de Flume avec un morceau généralement moins complexe malgré quelques sections de percussions cacophoniques. Spring, en collaboration avec la pépite underground Eprom, sonne comme le tube de cette compile et promet de galvaniser les foules du DJ. Upgrade et Wormhole élèvent la température avec des beats saccadés et tonitruants, s’affirmant comme la partie survitaminée de la mixtape. Dans le même registre, la puissance de MUD est frissonnante et la composition du morceau est ingénieuse. Les harmonies s’intensifient crescendo au fil des secondes pour mener à cette dernière quinzaine de secondes d’effervescence explosive. Et bien que le caractère éphémère de cette électro déchaînée puisse surprendre par sa fugacité, les jouissances les plus brèves ne sont-elles pas les plus intenses?

Flume signe donc un retour classe et audacieux en exploitant le côté méconnu de son électro. Un côté plus codé bercé par des réalisations périlleuses au coeur même de son art. Une mixtape qui ne fera pas l’unanimité mais qui aura le mérite de prouver que le jeune Australien n’a rien perdu de sa folie créative et de ses prises de risque remarquables. Hi This Is Flume se dresse comme la réflection la plus fidèle possible du petit prince de l’électro qui annonce déjà sur ses réseaux de nouvelles sorties prochainement. Que demande le peuple?

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