HINDS : “On a l’impression de représenter un genre entier !”
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Auteur·ice : Paul Mougeot
12/05/2018

HINDS : “On a l’impression de représenter un genre entier !”

Propulsées tout en haut de l’affiche par un premier album à l’énergie et à l’enthousiasme ravageurs, les quatre Madrilènes de Hinds ont pris du galon avec un nouveau disque plus nuancé mais tout aussi efficace, I Don’t Run. Celles qui étonnaient hier par leur candide fraîcheur surprennent désormais par leur assurance et leur maturité, au point de se muer en véritables porte-étendards du rock féminin.  On a rencontré pour vous Ana Perrote (chant, guitare), Amber Grimbergen (batterie), Carlotta Cosials (chant, guitare) et Ade Martín (basse) et on a passé un excellent moment. On vous raconte.

La Vague Parallèle : Hello ! Est-ce que vous pouvez présenter Hinds pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Ade Martín : On vient de Madrid et on essaye de remettre le rock au goût du jour au milieu de tous ces rappeurs (rires) !

LVP : Vous avez commencé ce groupe à deux, pour vous amuser, et vous êtes progressivement devenues des artistes à plein temps. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Ana Perrote : Tout. Ça a vraiment tout changé (rires) ! Faire des tournées a complètement changé nos vies. Sur le plan personnel, ça nous a fait beaucoup grandir. Le fait d’être toujours ensemble nous a rendu meilleures, je pense : on a besoin de penser aux autres en permanence et d’essayer de garder les pieds sur Terre dans ce milieu un peu fou.

Carlotta Cosials : On ressent de la pression, forcément, mais tout le monde a ses propres objectifs et ressent de la pression. Tu veux être toujours meilleur, toujours plus fort.

Ade Martín : On était toutes étudiantes avant de jouer de la musique. Le tournant de nos vies a été le moment où on a laissé tomber l’université pour se consacrer au groupe. Au départ, c’était plutôt quelque chose de secondaire, mais tout a changé quand Hinds est devenu notre travail.

Il y a peu de groupes féminins, du coup, on a un peu l’impression de représenter un genre entier, c’est-à-dire la moitié de la planète !

LVP : Il y a toujours trop peu de groupes composés de femmes aujourd’hui. Est-ce que vous avez le sentiment qu’il est plus difficile de faire de la musique quand on est une femme ?
Ade Martín : Ce n’est pas plus difficile de faire de la musique mais c’est vraiment compliqué de se développer aussi vite qu’un groupe composé de mecs. Par exemple, toutes les têtes d’affiche des gros festivals sont des artistes masculins.

Carlotta Cosials : Je pense que c’est surtout plus difficile pour les femmes qui jouent du rock.

Ana Perrote : En fait, en tant que femmes, on doit se justifier en permanence, sur la manière dont on joue de nos instruments, sur la manière dont on s’habille, sur la manière dont on prend la pose sur scène, sur la manière dont on parle dans le micro. Tout ce qu’on fait peut être déformé et compris de la mauvaise manière.

On a toujours ces questions en tête, d’autant plus qu’il n’y a peu groupes féminins et que du coup, on a un peu l’impression de représenter un genre en entier, c’est-à-dire la moitié de la planète ! Beaucoup de jeunes filles viennent nous voir après les concerts pour nous dire qu’elles veulent se mettre à la musique et créer des groupes. C’est le signe que notre travail paye et même si tu n’aimes pas Hinds, tu peux te dire : “ces filles, si elles arrivent à faire du rock alors qu’elles sont nulles, c’est que je peux le faire aussi !”.

Carlotta Cosials :  On aura besoin de temps pour arriver à faire évoluer les choses. Il faudra au moins une autre génération de filles qui jouent de la musique, qui veulent monter un groupe, qui trouvent des amies pour le faire… Ça va prendre du temps !

LVP : Ce nouvel album sonne plus rock, on a le sentiment que la structure de ses morceaux est plus travaillée et plus complexe. Comment est-ce que vous avez composé ces titres ?
Ade Martín : Pour le premier album, Ana et Carlotta composaient les morceaux en acoustique, puis on les adaptait en studio. On a fait l’inverse pour ce nouvel album : on jouait toutes les quatre dans une pièce puis Ana et Carlotta travaillaient la structure, la mélodie, les paroles et revenaient avec les morceaux. C’est pour ça que ça donne un son plus rock et plus puissant.

LVP : Votre premier album était très enthousiaste et toujours positif, celui-ci est plus contrasté : on a l’impression que vous avez élargi la palette des émotions et des sentiments que vous explorez.
Carlotta Cosials : Oui, je ressens ça aussi. Je crois que pour notre premier album, on ne pouvait ranger nos chansons que dans deux cases. Pour cet album, c’est plus complexe. Par exemple, pour Echoing My Name : est-ce qu’elle est triste ? Est-ce qu’elle est joyeuse ? C’est moins facile de classer nos chansons, on a essayé d’avoir un album plus coloré.

Ana Perrote : Et même à l’intérieur des chansons, on peut penser parfois que le morceau veut dire quelque chose, et finalement on a voulu dire tout autre chose. Pour Rookie par exemple, il y a un double sens qui se dévoile au fil du titre. C’est plus profond, c’est à l’image de la vraie vie, c’est un peu déroutant (rires) !

Ade Martín : Je pense qu’on a mûri.

Amber Grimbergen : Oui, on a grandi !

Ade Martín : Plus tu évolues, plus tes sentiments et tes émotions se complexifient, je crois que c’est assez naturel. Je pense qu’être en tournée nous a fait grandir très vite parce qu’on doit gérer énormément d’émotions en même temps, et si tu n’y arrives pas, tu es foutu. En trois ans, on est devenu des personnes complètement différentes, on a amassé beaucoup de choses dans nos bagages !

LVP : Vous avez co-produit cet album avec Gordon Raphael, qui a notamment produit les premiers albums des Strokes. Comment s’est passée cette collaboration ?
Carlotta Cosials : Il nous a vraiment laissé être nous-mêmes ! Il n’a rien voulu changer à notre musique, il nous a juste aidées. Par exemple, il nous a aidées à améliorer notre manière de chanter : il nous a fait essayer des attitudes différentes, il nous a aidées à prononcer l’anglais correctement tout en tenant à conserver notre accent espagnol.

Amber Grimbergen : C’était génial, il avait beaucoup à nous apporter. On a apprécié cette collaboration parce que Gordon nous a vraiment fait confiance, il nous a laissé beaucoup de liberté et ça nous a donné confiance en nous.

Ade Martín : Il n’était pas du tout le genre de producteur qui veut tout changer. On lui demandait : “tu préfères ça ou ça ?” et il nous répondait : “comme vous préférez”. On pourrait penser que ce n’est pas ça, être un bon producteur, mais en fait, c’est le meilleur producteur du monde ! À la fin, on s’est rendu compte qu’il comprenait totalement ce qu’est Hinds. Il n’a pas du tout voulu transformer l’album et voulait surtout retranscrire fidèlement notre musique, ce qu’on est vraiment.

Ce qu’il a fait, c’est qu’il a capturé précisément ce qu’on faisait en studio et ce que nous étions à un moment donné. Et il l’a vraiment bien fait !

LVP : D’ailleurs, quel est votre morceau préféré sur cet album ? Personnellement, j’aime beaucoup Linda.
Ana Perrote : C’est mon morceau préféré aussi. Enfin, j’hésite…

Amber Grimbergen : C’est dur d’en choisir une… J’adore jouer Finally Floating !

Ade Martín : Moi j’aime The Club.

Carlotta Cosials : J’hésite aussi… Sur scène, ma préférée est probablement Finally Floating, mais j’adore ce qu’on a fait sur Linda. J’aime aussi Tester, j’ai toujours du mal à croire qu’on ait fait cette chanson (rires) !

LVP : Il y a une chanson particulière sur cet album, qui dénote tant par ses paroles, que vous chantez en espagnol, en français et en anglais, que par la manière dont vous l’avez enregistrée. Ce morceau, c’est Ma Nuit. Est-ce que vous pouvez nous expliquer l’histoire qui se cache derrière ?
Ana Perrote : Tu dis ça parce qu’elle est en français (rires) !

Ade Martín : C’est une chanson qui vient d’une des sessions acoustiques qu’Ana et Carlotta faisaient chez elles. Elles l’ont enregistrée sur un téléphone, nous l’ont fait écouter et nous ont demandé : “qu’est-ce qu’on en fait ?”. Je me suis dit : “putain, on devrait le mettre comme ça sur l’album, elle est parfaite !”.

Amber Grimbergen : Oui, on ne voulait pas y toucher !

Ade Martín : On ne pouvait quand même pas la mettre telle quelle parce que c’était un enregistrement téléphonique donc on a essayé de la capturer de manière identique. On l’a enregistrée dans une petite maison en pleine nature, au milieu de nulle part. On a posé quatre micros dans le salon et on a ouvert la porte et les fenêtres : tu peux entendre les oiseaux chanter sur le morceau !

Carlotta Cosials : On voulait faire une chanson qui parle du fait d’être en tournée, d’être sur la route, de ressentir le manque et de ne se sentir à sa place nulle part. Je crois que c’était en Australie, à Pearth, j’ai commencé à jouer le petit riff du début de la chanson, puis j’ai continué à le jouer pendant nos balances tout autour du monde.

Un jour, on était à la maison à Madrid et on a ressenti cette même fatigue. On a commencé à jouer ce riff et on a immédiatement trouvé des accords, sans même se regarder l’une et l’autre. On a commencé à chanter dessus et… Je ne sais pas, tous ces bruits, le fait que ce soit enregistré sur un téléphone, c’était juste la chose la plus authentique qu’on ait faite. On a voulu reproduire cette atmosphère en l’enregistrant pour l’album.

D’ailleurs, on a appliqué ce principe à l’album entier : on l’a enregistré en une prise, on voulait que tout soit parfait sur cette seule prise.

Ade Martín : C’est une chanson qui parle du fait d’être sur la route, qui évoque ce qu’on ressent à ce moment-là : l’amour, le manque de certaines personnes… Quand on chante en anglais, on peut avoir l’impression de cacher certains choses parce que ce n’est pas notre langue maternelle. Cette chanson est beaucoup plus puissante car elle est chantée en espagnol et en français, qui sont les langues maternelles de Carlotta et d’Ana.

LVP : Vous êtes venues à Paris pour jouer au Point Éphémère. Qu’est-ce que vous aimez faire quand vous venez ici ? Est-ce que vous écoutez des artistes français ?
Amber Grimbergen : On est déjà venues plusieurs fois, on commence à connaître la ville !

Ade Martín : Je suis venue il y a quelques mois, ce que j’aimais le plus, c’était m’asseoir au bord de la Seine avec une bouteille de vin, un mec qui joue de la guitare…

Carlotta Cosials : Je ne connais pas tellement Paris et je ne voudrais pas être trop classique en disant : “ah, la Tour Eiffel” (rires). Des amis de Madrid qui sont venus ici m’ont raconté leurs histoires, notamment sur la vie nocturne que vous avez ici et qui a l’air vraiment géniale.

Ade Martín : Côté musique, on aime beaucoup Phoenix.

Amber Grimbergen : Moi, j’adore La Femme !

LVP : Une dernière question : qu’est-ce que vous écoutez quand vous êtes en tournée ?
Ana Perrote : Dernièrement, on écoutait beaucoup le dernier album de Shannon & the Clams. J’écoute aussi Yellow Days.

Amber Grimbergen : Kitty White, Goodbye Honolulu

Ana Perrote : Los Nastys aussi, ils viennent de Madrid !

Hinds au Point Éphémère le 23 avril :

Crédit photos : Hugo Weisbecker pour La Vague Parallèle

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