Moodoïd : “Ma référence, c’est Prince”
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Auteur·ice : Adrien Amiot
26/11/2017

Moodoïd : “Ma référence, c’est Prince”

Boulevard Rochechouart, Paris 18ème. Au fond d’une impasse discrète se dressent les somptueux locaux de Because, label historique du crew Ed Banger, Björk et Booba (entre autres) et nouveau foyer de Moodoïd, assurément un des groupes français les plus excitants de ces dernières années. Emmenée par le charismatique Pablo Padovani, la sensation de 2014 revient le 24 novembre prochain avec Reptile, son nouveau projet, et part en tournée dans la foulée.

La Vague Parallèle : Salut ! Merci de prendre un peu de ton temps pour répondre à nos questions. En comparaison avec ton premier album, Le Monde Möö, ce disque là est beaucoup plus électronique. Pourquoi ce changement ?
Pablo Padovani : J’aime les surprises. Dans l’album, Heavy Métal Bebop 2 était déjà un peu disco et dansant. Pour ce morceau j’avais travaillé avec Bot’Ox, un super groupe d’électro. Récemment je me suis beaucoup inspiré d’Arthur Russell, un artiste américain que j’adore, qui a eu une période disco à la fin des années 70 et au début des années 80 pour un projet qui s’appelle Dinosaur L. Son processus de création m’a énormément inspiré. L’idée, c’est qu’il organisait des jams avec plein de musiciens en studio ; puis des producteurs récupéraient les bandes pour faire des versions alternatives, pour danser. C’est du disco super psyché, j’aime beaucoup. Il y a donc un parallèle entre les deux, j’en suis arrivé à la musique électronique disco par ce biais-là. J’ai essayé cette méthode : on a enregistré l’album en live avec des musiciens de la nouvelle scène jazz française, sur bande. Je les ai fais jammer pendant vingt minutes sur mes morceaux en les dirigeant. À partir de ce truc là, on a fait une banque de samples avec Pierre Rousseau (moitié de Paradis, ndlr), monté les moments de musique et produit ensemble.

 

LVP : C’est vrai que ça se rapproche beaucoup de Paradis ou de Bon Voyage Organisation !
Pablo : Avec BVO on a un truc en commun: un goût pour la musique live, jouée. Ils sont nombreux sur scène, on a d’ailleurs beaucoup de musiciens en commun, les mêmes percussionnistes cubains notamment. Sur mon morceau Au Pays des Merveille de Juliet, on entend Julien, le saxophoniste de BVO. On a quand même des esthétiques assez différentes.. On n’a pas les mêmes références, disons. Lui (Adrien Durand, ndlr), c’est quelqu’un qui est très attaché, j’ai l’impression, à la musique des années 70 et au délire vintage, les synthés analogiques par exemple… Moi mes références sont beaucoup plus années 80, 90, des sons très digitaux, très numériques. J’aime le mélange entre ces deux mondes, c’est quelque chose sur lequel on ne se rejoint pas complètement.

LVP : Tu as sorti ton premier album il y a trois ans, pourquoi un temps aussi long pour sortir un autre disque ?
Pablo : Un album c’est long. (rires) J’ai fait beaucoup de voyages, plein de choses se sont passées. J’ai changé de label, je suis chez Because pour celui-là. Et puis l’album précédent s’était fait dans un climat très pressé. Quand on a sorti Je Suis La Montagne, l’album n’était pas prévu. Les réactions étaient super positives à l’époque sur ce morceau ; alors on a choisi d’enregistrer un long format, de manière très spontanée. Tout est allé extrêmement vite : je l’ai composé en deux semaines, on l’a enregistré en deux semaines puis mixé en deux semaines. Après ça, je voulais prendre mon temps ! Par ailleurs, comme je te disais, j’ai trouvé un nouveau processus de création. Je t’ai parlé de Russell, je suis aussi un grand fan du groupe Steely Dan, en particulier de Donald Fagen, le leader. J’ai vu un documentaire incroyable sur eux où ils expliquent leur procédé : ils enregistrent tout en live avec les meilleurs musiciens du moment dans les plus grands studios. Quand on a commencé à parler avec Pierre du fait de travailler ensemble, par rapport à la chanson Planet Tokyo, on a découvert qu’on avait beaucoup d’affinités sur la musique japonaise des années 80, la funk japonaise notamment. Il a beaucoup aimé cette chanson-là, donc on s’est dit « testons ce processus ». On a organisé une première session, on a enregistré ce morceau et Au Pays des Merveilles de Juliet. Suite à ça on a décidé de faire l’album. C’est un puzzle très long : d’abord j’apporte des démos avec les arrangements pour tous les instruments, ensuite on les enregistre en live pour créer une nouvelle matière. Puis la création de la banque de samples et enfin, la post-production.

LVP : Sur ton dernier clip Reptile j’ai adoré la structure où tu peux te balader partout. Elle sera aussi sur scène ?
Pablo : C’est le fantasme (rires). Ma référence c’est les lives de Prince dans les années 80 avec toujours des plateaux complètement fous et une dizaine de musiciens. Je passe beaucoup d’heures à regarder ce genre de concerts. On est dans un moment de la musique où il y a de moins en moins de musiciens sur scène. De plus en plus de groupes jouent sur des bandes… Mon album est un hommage à ce côté très généreux de la musique des années 80 où au-delà de la musique, les artistes produisaient un vrai spectacle. Maintenant il y a de moins en moins de moyens. Quand j’ai dit qu’on allait faire une tournée avec six musiciens, toute l’équipe a fait une crise cardiaque (rires). En tout cas, on n’a pas les moyens d’avoir cette structure mais on sera quand même six sur scène et on jouera sans bande. Ce que j’aime dans cette histoire d’avoir plein de musiciens, c’est de pouvoir s’attacher à des personnalités, des présences… Dans le clip c’est ça que j’ai essayé de mettre en avant. Dans les lives de Frank Zappa ou de Prince il y a toujours des personnages incroyables, un batteur en slip ou un black obèse au clavier. (rires)

 

LVP : Tu as la volonté d’incarner un personnage pour ce nouveau projet, un Reptile en l’occurence, comment tu conçois ça ?
Pablo : En effet, j’ai vraiment besoin de cet environnement pour faire la musique que je fais. Un album c’est un concept et j’aime aller au bout des délires. C’est vrai que le fait d’avoir des costumes, de créer un personnage autour de mes chansons je trouve ça super cohérent : la musique que je propose est très complète visuellement et esthétiquement. Pour moi, c’est comme si c’était une pièce de théâtre dont j’avais le rôle principal. C’est important que toutes mes chansons apparaissent avec le même personnage.

LVP : En parlant de visuels, ceux de ton premier disque étaient l’un des points forts du projet. Comment construis-tu ton univers graphique ?
Pablo : J’avais fais appel à l’époque à un duo de dessinateurs incroyable qui s’appelle ZEUGL et qui a travaillé avec beaucoup de musiciens à Paris, notamment Caandides et Inigo Montoya. Je les ai rencontrés via Caandides, j’ai fait un clip pour eux et en échange ils ont créé les pochettes de disque, les affiches, tout l’univers visuel. Pour ce disque là, nouveau délire ! Ce sera plus un monde de photos. Après si je peux le faire j’aimerais faire un virage cinéma, c’est un fantasme. Pour l’instant je fais des clips pour d’autres artistes, Paradis, Juliette Armanet, Garçon d’Argent et Mathieu Boogaerts récemment. J’essaye de garder le temps de continuer à développer mon univers visuel tout en faisant des clips pour les gens autour de moi.

LVP : Comment tu vois le futur de la scène française ?
Pablo : On est mal hein avec le rap ! C’est une période super étonnante dans la musique. Même par rapport à l’époque où j’ai sorti mon premier album, c’est très différent, notamment vis-à-vis de ce qu’on nous demande de faire en promotion. J’ai dû faire des playlists Spotify (rires) ! Les plateformes de musique sur Internet ont un rôle assez dominant par rapport à ce qui peut passer en radio. Les enjeux sont très différents et c’est vrai qu’il y a une grosse mode de la musique urbaine et du hip-hop.

LVP : Mais c’est pas forcément quelque chose en opposition, si ?
Pablo : Ils prennent quand même beaucoup de place. C’est pas du tout négatif, j’aime beaucoup le rap, mais on présente les rappeurs comme la nouvelle variété et le nouvelle pop en France. Nous qui faisons de la musique un peu plus « spé » on est redevenus underground, ça a énormément changé par rapport à la sortie du premier album où il y a avait ce truc de la « nouvelle scène française ». On devient plus indés. Là où ça devient plus positif, c’est que ça lie beaucoup les groupes les uns aux autres. On s’aide beaucoup, tu vois je fais des clips pour les copains, ça crée un truc super familial. (rires)

LVP : C’est quoi ton futur proche ? Réaliser des clips pour les chansons de ton disque ?
Pablo : Pour l’instant je me concentre pour défendre cet album, créer les visuels qui vont avec, etc. Les clips, je ne sais pas encore qui va les réaliser, on verra. Sur mon premier album, il y avait par exemple La Lune qui avait été réalisé par Marion Dupas, une réalisatrice de cinéma d’animation que j’aime beaucoup. Je fonctionne vraiment comme ça, s’il y a un réalisateur que j’aime bien qui est chaud de faire un truc, on bosse ensemble. J’attends l’opportunité de travailler avec des gens que j’admire !

LVP : Si tu devais me faire découvrir quelque chose qui t’as marqué récemment, ça serait quoi ?
Pablo : J’ai eu un énorme coup de coeur pour le Japon en général, c’est une culture qui m’a énormément surprise, je me suis attaché à beaucoup de choses là-bas. Un endroit qui m’a vraiment marqué c’est l’île de Naoshima, qui concentre énormément de musées d’art contemporain au milieu de nulle part. Le type derrière tout ça c’est Tadao Andō, un grand architecte japonais qui a creusé des monuments dans le sol, en forme de triangle, rectangle ou carré. Tu te balades sous terre et tu croises les Nymphéas de Monet ou des oeuvres de James Turrell, c’est super psychédélique. Il faut y aller en bateau, d’île en île, c’est complètement lunaire. À Paris il y a un truc insolite aussi qui ouvre l’année prochaine, c’est le musée Guimet, spécialisé dans la culture asiatique. Tu peux y voir tout un tas de vestiges cambodgiens, japonais, ils ont un jardin traditionnel avec une maison à thé en plein milieu de Paris.

LVP : Pour finir, si tu devais me raconter ta pire expérience de scène et la meilleure juste après ?
Pablo : Ma pire expérience de scène, c’était au Mexique avec Melody’s Echo Chamber, un autre groupe dans lequel je joue. Ça faisait presque deux ans qu’on n’avait pas fait de concerts et on avait presque pas répété. C’était au Ceremonia Festival 2015, sur une espèce de piste de Formule 1 à une heure de Mexico, au milieu de nulle part. On est arrivés à cinq heures du matin, il y avait du brouillard partout, c’était vraiment très bizarre. Je me souviens surtout que j’ai fait un énorme pin au début d’une chanson et que je m’en suis vachement voulu (rires). Le meilleur souvenir c’était le premier concert de Moodoïd, pas forcément très bon musicalement, mais c’était magique, juste après la sortie du clip de Je Suis La Montagne. On a joué au Trabendo, je comprenais pas trop ce qu’il se passait. C’était la découverte : jusqu’alors je n’avais joué que dans des petites caves à Paris et là je me retrouvais sur une grosse scène avec beaucoup de monde. La soirée était organisée par mon label de l’époque, Entreprise, pour la sortie du premier EP. C’était à la fin de l’été, la dernière semaine d’août, je rentrais de vacances et ne me doutais de rien. C’est là que j’ai compris qu’il se passait quelque chose, c’était réellement le début de l’aventure.

  • En concert :
    23 novembre à l’EMB Sannois
    25 novembre aux Inrocks Festival
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