Papooz : “Le fantôme d’Alex Turner nous parlait dans les toilettes”
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Auteur·ice : Alphonse Terrier
06/03/2019

Papooz : “Le fantôme d’Alex Turner nous parlait dans les toilettes”

Après un premier album à base de groove tropical, le duo Papooz est de retour ce vendredi avec Night Sketches, un second opus plus qu’attendu par leurs nombreux fans. Rencontre avec les géniaux Ulysse et Armand dans un bar à cocktails parisien.

LVP : Salut Papooz ! Quel a été le processus de création sur cet album ?

Ulysse : On a récupéré un ou deux morceaux composés lors du premier album mais sinon on a tout composé en une année dans mon studio à Saint-Paul. On s’est enfermé pendant tout l’hiver, pour travailler presque tous les jours de la semaine. On n’était que tous les deux dans le studio, j’avais quelques synthétiseurs, des guitares. On a commencé à enregistrer les démos des morceaux, à imaginer ce qu’on pourrait avoir comme groove sur ces morceaux, à réfléchir aux arrangements, à expérimenter à deux. Et après grâce à ça, on a commencé à avoir une idée de comment on voulait enregistrer l’album, à trouver le réalisateur, Adrien Durand (Bon Voyage Organisation), à trouver des musiciens qui correspondaient à ce qu’on avait en tête pour que ça groove particulièrement. En fait, en faisant les démos, les boîtes à rythmes nous amenait vers un truc un peu plus funk, un peu plus groovy, un peu plus chaloupé que le premier album, et on avait besoin d’aller encore plus loin dans cette idée.

 

LVP : Et comment avez-vous trouvé ces musiciens ?

Armand : On est allé chercher Adrien en fait. On s’était rencontré à un festival près de Bordeaux qui s’appelle vie sauvage. J’avais trouvé que c’était un personnage assez remarquable, drôle et à part. On était en train de chercher qui pourrait réaliser cet album et Ulysse a eu l’idée de rappeler Adrien. On l’avait appelé à la base parce qu’on avait acheté un synthétiseur sur eBay qui s’appelle le MiniKorg 700, et c’est vraiment le synthétiseur d’Adrien Durand.

U : C’est un synthétiseur qui fait le son de basse et lui, quand il joue, il excelle avec la main gauche, et ça fait presque comme si c’était une vraie basse live qui jouait et ça m’impressionnait. Je lui avais dit “Mec c’est quoi ?”, il m’a parlé de synthé au téléphone.

A : Vu que c’est un mec très curieux, et d’un naturel assez jovial malgré le qu’en dira-t-on, il nous a demandé sur quoi on travaillait en ce moment.

U : Pour être précis, il était venu nous voir à un concert que l’on avait fait sur le Perchoir et après le concert, il m’avait proposé : “Mais mec, si un jour vous faites un album, j’adorerais le réaliser”. Et puis, c’est vrai qu’en voyant ses lives, j’avais été impressionné par la qualité et la mise en place de ses musiciens, ils groovaient très très bien. Et je trouve qu’Adrien est un vrai psychopathe du groove. Il nous a aidés à trouver les musiciens et on a cherché jusqu’à trouver ceux qui nous convenaient.

A : Et puis, il a trouvé le studio où l’on a enregistré, qui s’appelle La Frette, et qui est un très ancien manoir assez dingue, avec une très vieille console Neve qui était celle d’Eddie Barclay. C’est un endroit incroyable, vraiment dans son jus, il y a limite des fantômes, on dort sur place… On a fait six jours là-bas avec les musiciens et on est passé juste après Arctic Monkeys. Donc il y avait déjà les fantômes de l’album génial…

U : Le fantôme d’Alex Turner dans les toilettes ! On allait le voir tous les jours…

A : Comme dans Harry Potter, il chialait dans les chiottes !

U : On allait lui demander : “Est-ce que cette ligne de basse est bien ?”. Et Alex : “It’s cooool !”

A : Et après, on a fini l’album dans un studio qui s’appelle le Studio Delta à Paris et qui est celui du manager d’Adrien Durand.

U : Et là, on a refait tous les synthétiseurs, les guitares…

 

LVP : Comment décririez-vous cet album ?

U : Comme un album sacrément cool ! Tu sais, j’avais vu ce documentaire sur Steely Dan qui s’appelle Aja, et qui montrait vraiment le travail de production des musiciens de studio. Je trouve que c’est un album qui est accompli au niveau de la production, plus que notre premier album qui était très intuitif, où l’on avait fait les guitares et tous les trucs au feeling. On ne connaissait pas le studio. On a appris, et petit à petit on est arrivés à réaliser ce que l’on avait en tête. Donc c’est un accomplissement pour nous d’avoir imaginé un truc de groove avec des synthés, et qui tourne bien, que les morceaux soient sexy et que nos voix soient cools. Quand je réécoute l’album, je l’écoute avec plaisir et j’en suis assez satisfait.

A : C’est plus un film qu’on a vraiment mentalisé. C’est plus intello que le premier dans le sens où l’on a mentalisé ce qu’on voulait en terme de sonorités, de textures et de thématiques. C’est plus cinématographique je trouve ! Pour moi cet album, c’est le voyage d’un homme dans la ville et dans la nuit.

LVP : Je trouve que c’est un album beaucoup plus intime que le précédent, sur la mélancolie, le mal-être…

A : Dans le premier album, il y a certains morceaux qu’on avait commencé parfois cinq ou six ans avant. Là, on a tout composé dans un temps réduit, en un an et demi, et les thèmes nous ressemblent plus.

U : Le nouvel album, c’est plus quelque chose d’un passage à l’âge adulte. Le premier album était plus adolescent, primesautier, spontané…

A : Il était plus naïf, on faisait moins attention à ce qu’on écrivait. Là, on a pris beaucoup plus de temps à écrire les morceaux et à réfléchir.

LVP : Comme vous le disiez c’est un album très cinématographique. Peut-être un petit mot sur Michel Legrand, qui à mon sens avait un peu les mêmes influences que vous, c’est-à-dire d’une part le jazz, et d’autre part la bossa…

U : C’est vrai que Michel Legrand, il m’impressionne beaucoup ! Déjà, il a construit des standards qui ont été traduits dans la langue anglaise, qui sont connus aux États-Unis et qui font partie du patrimoine mondial du jazz. Il m’a influencé parce que j’adore le jazz, son côté improvisateur. Je revoyais une vidéo sur Internet qu’il a faite et qui s’appelle Trombone, guitare et compagnie, où il chante plusieurs instruments puis les joue. Et ça c’est assez dingue et fou, toute la folie et la liberté qu’il avait. Et puis le scat, j’adorais quand il scatait.

A : Après, on ne voudrait pas non plus comparer notre niveau musical à celui de Michel Legrand qui est à la limite d’être Mozart !

 

LVP : J’ai vu qu’un de vos titres avait été plagié récemment. Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce que le titre que vous aviez initialement écrit va sortir ?

A : La piste de Skepta est déjà sortie. En fait, on savait que le mec avait fait un morceau avec notre musique, mais il s’est permis de sortir la track sans nous citer, sans featuring de nous et sans nous le demander. On a fini par trouver un arrangement juridique. Notre chanson Moon Pie n’est pas dans l’album, on la sortira après.

U : L’histoire est marrante, c’est que l’on a été invité pour un show de mode d’une marque qui s’appelle Pigalle Ashpool et on a joué ce morceau en live. Skepta était dans la salle, il a entendu le morceau et il l’a adoré. D’ailleurs, j’ai appris qu’il était sous ecstasy pendant le live. Le mec, c’est un rappeur, il était trop high, et après un ou deux jours il était obsédé par le morceau Moon Pie, ça le hantait. Il a demandé à avoir le morceau donc nous on lui a envoyé, on s’est dit que c’était cool qu’il fasse un morceau dessus. Sauf qu’après il l’a sorti sans nous prévenir et ça c’est pas fair.

LVP : Pouvez-vous choisir un titre dans l’album et me décrire son histoire ?

U : On peut te parler d’About Felix si tu veux.

A : Un copain d’Antonin notre bassiste, qui s’appelait Félix, et qui était le fils de Claude Lanzmann, avait un cancer terrible. On l’avait rencontré un été en vacances, on était un peu devenus copains et moi, en fait, je suis allé à son enterrement. Ça m’a beaucoup touché, il est mort à 23 ans, il était incroyablement brillant et talentueux.

U : Il récitait des poèmes par cœur, il était super sympathique et il avait vraiment une énergie intellectuelle assez agréable.

A : C’est une chanson qui raconte un peu ma position de spectateur de cet enterrement, mais dans une pop song vachement enjouée.

U : En fait, par moment c’est presque cool, c’est presque sexy alors que derrière c’est super triste. C’est ce que j’aime bien dans ce morceau.

LVP : On retrouve souvent ce décalage entre la musique et le texte dans vos chansons…

U : Oui c’est vrai !

A : Pour moi, l’étendard de la musique pop, c’est souvent ça. Genre Be my baby, le thème est super triste mais le groove te rend trop heureux.

U : C’est vrai que c’est toujours une alchimie qui fait mouche.

 

LVP : Allez-vous garder la même formation live que sur l’album précédent ?

A : On garde notre groupe ! Ça fait cinq ou six ans qu’on joue avec les mêmes musiciens en live, et on veut pas perdre ce truc énergique. On est une vraie bande !

U : On voyage avec eux, c’est nos potes.

LVP : Qu’est-ce que vous avez écouté ces deux dernières années ?

A : Moi j’ai vachement écouté Billy Joel, j’adore The Stranger, c’est un de mes albums préférés. J’ai écouté Joni Mitchell, qui est pas forcément le truc le plus facile à écouter pour les français. J’ai adoré ses albums avec Jaco Pastorius que je trouve dingues (Ulysse rigole). C’est super weird, mais en fait tu comprends que Paul Simon a beaucoup pillé Joni Mitchell, dans Graceland par exemple. C’est un peu la godmother de la world music, c’est une musique qui me touche beaucoup. Sinon, j’ai aussi pas mal écouté Supertramp.

U : Moi j’écoute beaucoup de jazz en ce moment. J’écoute beaucoup une chanteuse qui s’appelle Blossom Dearie, qui a d’ailleurs été signée par Michel Legrand en France. C’est une chanteuse américaine qui chante en français avec un accent américain, et c’est super sexy, les arrangements sont super biens. Autrement hier, j’apprenais un morceau super bien du film High Society avec Bill Crosby et Frank Sinatra qui s’appelle Well, Did You Evah. Je te conseille de l’écouter, le texte est génial et le morceau aussi. J’ai bien aimé aussi l’album de Soft Hair, le projet de Connan Mockasin et LA Priest.

LVP : Avez-vous un jeune artiste à faire découvrir à nos lecteurs ?

A : Moi j’ai vu un mec génial à la Boule Noire qui s’appelle Hubert Lenoir. Son concert m’a traumatisé, je me suis dit “C’est du génie !” Gros concert ! Il y a aussi un autre groupe qui s’appelle Oracle Sisters, c’est des copains (ndlr. : Armand joue dans leur premier clip). Ils vont ouvrir pour nous à la Cigale !

LVP : Où est-ce que vous vous voyez dans dix ans ?

A : J’espère dans un bus, si on tourne. Parce que c’est cool de tourner dans des bus, c’est le dernier stade avant l’avion.

U : Moi, j’espère avoir un studio un peu plus grand !

 

LVP : Et enfin, qu’est-ce que je peux vous souhaiter ?

U : Beaucoup de bonheur, de réussite et d’amour. Des choses simples !

 

Papooz sera en tournée dans toute la France à partir du 16 avril. Le groupe se produira notamment à La Cigale le 15 mai prochain. Leur deuxième album Night Sketches sort ce vendredi chez Half Awake Records.

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