JB Dunckel : devenir immortel, et puis mourir
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Auteur·ice : Paul Mougeot
13/11/2018

JB Dunckel : devenir immortel, et puis mourir

Que ce soit avec Air ou pour le compte de ses projets solos, JB Dunckel s’est d’ores et déjà construit un immense héritage musical qui lui survivra sans doute pendant des décennies. Alors dans son dernier disque, c’est cette fois à la finitude de l’Homme, au transhumanisme et à un futur pas si éloigné que le Versaillais s’est attaqué. Dans le cadre de la promotion de la première édition du festival INASOUND, on a eu la chance et l’honneur de rencontrer JB Dunckel dans son studio pour discuter musique, technologie et société. 

La Vague Parallèle : Hello ! On a la chance de se trouver dans un lieu mythique, ton studio. Est-ce que tu peux nous en parler, décrire ce qui s’y trouve, ce que tu y ressens ?

JB Dunckel : C’est un studio historique, c’est le studio de Air qu’on a fabriqué il y a dix ans. On l’a fait concevoir de toutes pièces par un architecte, donc c’est une première main. C’est un endroit que j’adore parce qu’il est proche de chez moi, situé à côté des Buttes-Chaumont, donc tout le quartier de Belleville vit à travers lui.

Ce studio, c’est aussi l’héritage de toute la science du studio qu’on a acquise au fil des années, par nos voyages à Los Angeles ou même par nos expériences chez Studio Plus 30 ou au Studio Gang à Paris. J’ai voulu construire un studio qui possédait l’esprit de ces voyages et j’y ai reproduit ce que je connaissais. C’est un peu comme si d’autres espaces-temps cohabitaient ici.

LVP : On te rencontre dans le cadre de la promotion de l’INASOUND Festival, qui aura lieu les 8 et 9 décembre prochains et au cours duquel tu te produiras. Qu’est-ce qui t’a plu dans l’approche de ce festival ?

JBD : Ce que j’aime dans ce festival, c’est le côté expérimental qu’on retrouve avec le GRM (le Groupe de Recherches Musicales intégré à l’INA, ndlr) et l’héritage de l’ORTF. J’apprécie beaucoup cette dimension de recherche musicale, ce sont des personnes qui sont dans la recherche du son, de la texture, et dans la conservation de cette culture, c’est attirant. Pour moi, donner un concert dans cet environnement, c’est comme renouer avec une certaine avant-garde de l’élite musicale française.

LVP : Tu joueras une création originale pour l’occasion, est-ce que tu peux nous en parler ?

JBD : Je vais improviser avec des machines sur scène, mais ce sera une improvisation contrôlée. J’ai fait ça plusieurs fois avec des vidéastes expérimentaux et ça donne un sentiment assez particulier parce que rien n’est écrit : je pilote des machines, et les machines m’emportent dans quelque chose. C’est une véritable symbiose entre l’électronique et l’humain, ce qui est intéressant. Je ne reproduis pas quelque chose, je suis dans la recherche. C’est beaucoup de risques et c’est assez gonflé, mais j’aime beaucoup l’idée.

 

L’Homme créa le robot à son image 


LVP : Aujourd’hui, on parvient à créer de la musique grâce à des machines et à des algorithmes. Par exemple, André Manoukian a lancé une start-up qui permet de développer, grâce à des algorithmes, une mélodie créée par un artiste. Est-ce que tu penses qu’un jour les robots feront mieux de la musique que les humains ?

JBD : C’est une question philosophique très intéressante. En fait, ça dépend de qui écoutera cette musique. Si ce sont des robots qui écoutent une musique faite par des robots, ça a un sens.

Si ce sont des gens qui écoutent la musique des robots… (Il réfléchit). Et en même temps, le robot est fait par l’Homme, donc ça reste une musique humaine, d’une certaine manière. C’est l’Homme qui a créé une machine qui génère de la musique, donc c’est l’Homme qui crée la chose, à l’origine. Le robot est à son image et l’algorithme est à l’image de son propre cerveau et de sa logique. La logique scientifique du robot, c’est finalement un mélange entre l’informatique, les mathématiques et le solfège. Ça reste assez humain, au bout du compte.

La véritable interrogation, c’est de savoir si les humains qui vont écouter, reproduire et jouer cette musique vont l’aimer. Parce que s’ils ne l’aiment pas, cette musique ne survivra pas.

LVP : Est-ce que tu ne vois pas tout de même un paradoxe à confier la composition de la musique, qui est l’art de l’émotion et du ressenti, à un robot ?

JBD : Les mathématiques peuvent être art. Avec des algorithmes sonores, tu peux créer de l’art. Ce qu’on va peut-être trouver beau, c’est l’humain derrière le robot. Le fait qu’une entité avec un corps et qui souffre fasse part de sa souffrance et de ses sentiments à travers la musique.

Après, je ne sais pas du tout ce qui va se passer. Je pense qu’il va y avoir des transformations technologiques qu’on ne peut pas appréhender et qu’on ne peut pas prévoir. Il y aura peut-être des robots sentimentaux qui vont apparaître, avec des émotions robotiques… Ou plutôt des algorithmes émotionnels. Oui, c’est ça : des algorithmes émotionnels.

LVP : Dans ton morceau Space Age, tu en appelles à passer à l’« âge de l’espace », par opposition à la « mentalité de l’âge de pierre » dans laquelle nous serions bloqués aujourd’hui. Qu’est-ce qu’il manque à l’humanité pour en arriver à cet âge de l’espace, selon toi ?

JBD : De la connaissance. De la culture et de la connaissance. Je pense que lorsqu’on est prêt à voter pour des présidents populistes, c’est qu’on ne connaît pas l’Histoire, qu’on n’est pas bien informé, qu’on est même désinformé, en fait.

Je pense que la société humaine doit passer à l’âge adulte pour devenir sage. Elle doit atteindre un âge où elle sera pérenne et pourra se survivre à elle-même, et pour ça, il lui faudra passer à l’ère scientifique. Il faut qu’on envoie balader tous nos mythes, nos mythes religieux, nos mythes politiques. Par exemple, le communisme, c’est un mythe. Le libéralisme, c’est un mythe. Ce sont des sortes de religions, en fait. Croire à ces mythes, c’est croire à des lois surhumaines, qu’on pense omniprésentes dans l’univers mais qui sont en réalité des inventions de l’esprit. Alors que rentrer dans une ère scientifique, c’est comprendre qu’on est ignorant et repousser sans arrêt ces lois, les mettre en opposition les unes avec les autres pour trouver la vérité.

LVP : Est-ce que tu penses qu’il y a une innovation technologique qui pourrait nous permettre d’accéder à cet avenir plus radieux ?

JBD : Oui, il y a beaucoup d’inventions qui nous le permettront. Par exemple, aujourd’hui, grâce aux ordinateurs et aux algorithmes, on est capable d’emmagasiner et de traiter un nombre incroyable de données comme le taux de pollution, la répartition de la population à un endroit donné… Toutes ces données, elles doivent être connues et traitées.

En fait, il y a beaucoup de solutions technologiques pour gérer la société, l’argent, l’économie… Et le fait d’avoir des capteurs qui mesurent ces données permettrait de les gérer intelligemment. Par exemple, avec un quart du budget de l’armée américaine, on pourrait résoudre le problème de la pauvreté aux Etats-Unis.

LVP : Justement, ton dernier album est fondé sur une vision très optimiste du futur et du transhumanisme, à une heure où le pessimisme est plutôt de mise. Qu’est-ce qui te fait dire que la technologie va nous sauver plutôt que nous conduire à notre perte ?

JBD : En fait, le problème ne vient pas de la technologie, mais plutôt de la façon dont on la gère. Le problème est que les gens qui prennent des décisions ne le font pas pour la population mais le font pour des lobbies, pour leur ego, pour leur intérêt personnel. Il y a un donc un énorme dysfonctionnement dans notre société.

La technologie, elle permet au contraire d’être plus puissant. Auparavant, on ne connaissait pas notre monde, on ne pouvait pas le mesurer. On commence à capter le monde sous forme de data, et on va pouvoir le traiter comme tel.

LVP : Les paroles de Slow Down The Wind évoque une nature maîtrisée, presque domestiquée. Est-ce que pour toi, l’homme augmenté aura totalement maitrisé la nature ?

JBD : Oui, il sera en mesure de le faire. Mais en vérité, on apprend déjà à le faire : on maîtrise l’eau, l’air, le feu. On est un peu comme des apprentis sorciers.

Mais on peut vivre en harmonie avec la nature, le problème vient plutôt des personnes qui occupent les postes à hautes responsabilités : on est dans un système où les corporations règnent, avec une gestion des déchets calamiteuse, une gestion de l’eau calamiteuse, une mauvaise gestion du potentiel humain…

Je pense que ça ne peut qu’aller mieux. De toute façon, maintenant, c’est quitte ou double : soit on s’améliore, soit on court à la catastrophe.

LVP : Pour ses derniers albums, John Maus a lui-même bricolé et créé ses synthétiseurs. Si tu devais créer un instrument, quel serait-il ?

JBD : Je ferais un synthé incroyable. Je ferais un synthé à la fois digital et analogique, avec tous les avantages de l’analogique et tous les avantages du digital.

J’y mettrais dix oscillateurs, des séquenceurs digitaux, des capteurs partout, des trucs qui permettraient de jouer avec les pieds… C’est une machine qui coûterait un million d’euros (rires) !

LVP : La technologie permet de rendre la musique live toujours plus innovante et spectaculaire. Comment est-ce que tu imagines un concert dans 100 ans ? 

JBD : Peut-être que ce serait le concert d’un homme synthétique, dans la mémoire duquel on aurait condensé le jeu de Franz Liszt, la danse de Michael Jackson, la technique de Michel Petrucciani au piano et la voix d’Elvis Presley. Ce serait un concert ultime (rires) !

De mon côté, je vais faire une petite tournée pour reprendre les morceaux de H+. Je vais aussi faire un concert à Mexico, au festival Mutek : ce sera une improvisation de musique électronique, comme à l’INASOUND. Pour la suite, je ne sais pas ce qui prendra le dessus entre les morceaux d’H+ et les shows électroniques.

LVP : Jonny Greenwood disait qu’on reconnait un nouveau style de musique au fait que la génération précédente dit que ce n’est pas de la musique. Toi, tu as contribué à l’émergence de la musique électronique. Quelle sera selon toi la prochaine révolution musicale ?

JBD : J’aimerais bien le savoir (rires) ! Moi, je me dis déjà que le hip-hop n’est pas vraiment de la musique. Il n’y a pas de mélodie, pas vraiment de chant. Il y a une voix qui déblatère des textes et c’est intéressant parce que c’est un retour aux textes, mais musicalement, je me dis que c’est comme un morceau sans mélodie, avec une espèce de rythme sur lequel quelqu’un crie. Donc du point de vue de ma génération, le hip-hop doit déjà être une révolution musicale puisque je me dis que ce n’est pas de la musique (rires) !

Après, la prochaine révolution musicale englobera peut-être la peinture, la sculpture… Ça pourrait être une espèce d’image sonore, dans laquelle on bougerait des couleurs pour créer des sons : les gens adoreraient faire ça chez eux, sur des ordinateurs intelligents avec des écrans magiques ! Ou alors quelque chose d’interactif : quand les gens dansent en concert, ça créerait un rythme… Grâce à des programmes, on pourrait faire des concerts en interaction totale avec le public, avec sa chaleur, sa voix…

LVP : Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Est-ce que tu as eu des coups de cœur récemment ?

JBD : En ce moment, je lis un livre de Philippe Glass, dans lequel il évoque des compositeurs du siècle dernier. Alors j’écoute Steve Reich, Philippe Glass, Karlheinz Stockhausen… Et comme je fais le concert à l’INASOUND prochainement, on m’a offert des disques de François Bayle, de Bernard Parmegiani, des choses expérimentales.

Plus récemment, j’aime aussi beaucoup Flavien Berger. Je connais moins bien son dernier album, mais j’ai adoré Léviathan, par exemple.

LVP : Pour terminer, que peut-on te souhaiter ?

JBD : Je reprendrai une phrase tirée d’À bout de souffle : “devenir immortel, et puis mourir”.

 

BONUS : NOS PHOTOS DU MYTHIQUE STUDIO DE JB DUNCKEL

 

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