“Il est mort le hip hop”: c’était en 2004 qu’on découvrait avec délice le flow étrange de Fuzati, son cynisme et son écriture incroyable avec Vive La Vie. L’album nous a suivi toute notre adolescence et continue d’ailleurs à s’accrocher à nos oreilles. 2017, le hip hop est toujours là mais Fuzati a tué le sien. Il a tué le père pour se réinventer. Désormais le Klub des Loosers fait de la pop et ça lui réussit plutôt bien, la preuve avec Le Chat et Autres Histoires.
On avait senti le vent du changement passer lorsqu’on avait vu Le Klub des Loosers en live pour la tournée anniversaire de Vive La Vie : un band, des improvisations, et Fuzati qui scande plus qu’il ne rappe.
Le Chat et Autres Histoires est dans la stricte continuation du live : finis les samples, l’album a été composé de A à Z comme nous l’avait confié Fuzati en mai (notre interview ICI). A la première écoute cela procure d’ailleurs une sensation assez étrange : si le style musical est toujours le même, le son est moins clinique, moins froid. On sent une véritable chaleur émaner des compositions, qui ont gagné en corps et possèdent chacune une véritable âme.
Cette recherche sonore se ressent aussi au niveau vocal : si Fuzati utilise toujours un phrasé scandé souvent proche du spoken word, il n’hésite pas non plus à chanter, comme sur le refrain d’Acétone, à utiliser joliment le vocoder sur Sports d’Hiver et Générique, à créer des chœurs vocaux pour Fantômes ou Le bouquet. Il se permet également d’inviter deux artistes pop pour certaines des meilleurs chansons de l’album : Jérémie Orsel (de Dorian Pimpernel) apparait sur l’excellente Feuilles Volantes et sur Cosmonaute tandis que Xavier Boyer (de Tahiti 80) pose sa voix sur Neuf moins Huit.
Toutes ces évolutions nous offrent une conclusion assez éclatante et définitive : désormais le Klub des Loosers fait de la pop. Mais de la pop dans le sens populaire, comme les grands albums des années 70, quand le fait de faire de la musique pop ne signifiait pas renier ses ambitions ou se fondre dans un format de masse. Si le Klub des Loosers utilise bien le format classique du couplet-refrain c’est au final pour mieux le distordre et y insérer ses obsessions.
Contrairement aux précédents albums du Klub, ce nouveau disque n’a pas de ligne directrice au niveau des thèmes abordés. Si on pouvait comparer Vive La Vie et La Fin de L’espèce à des romans, Le Chat et Autres Histoires se rapproche plutôt du recueil de nouvelles. Chaque chanson est une courte histoire, on y parle du temps qui passe sur Acétone, Générique ou Neuf moins Huit, de misère sexuelle sur Le Bouquet ou encore d’adolescence sur Fantômes. Fuzati prend la place d’un écrivain cocaïné sur la jouissive Sports d’Hiver, pointe du doigt les défauts de l’american dream sur Poing Américain et nous offre un point de vue assez déprimant sur le statut d’artiste sur Deux Clowns.
Fuzati ausculte la société, la regarde de loin pour mieux l’analyser, utilise avec sa plume – sans doute l’une des meilleures de la scène française actuelle – et la trempe avec bonheur dans son cynisme et son humour. Si certaines chansons peuvent paraitre désespérées, c’est bien cette distanciation et cette façon assez unique de les rendre drôles qui les éloignent définitivement de la sinistrose.
Grand amateur de vinyles, Fuzati, désormais seul maitre à bord du vaisseau Klub des Loosers, continue de creuser le sillon d’une musique personnelle, fermant la porte à un hip hop qui ne lui correspond plus pour insérer son style vénéneux dans la pop et la transformer comme il le souhaite. Si on pensait tout connaitre de sa musique, il continue de nous surprendre. Le Chat et Autres Histoires est un bel album de pop, excitant et aventureux comme on voudrait en entendre plus souvent.
Futur maître du monde en formation.
En attendant, chevalier servant de la pop francophone.
