Les albums de 2018 qu’on n’a pas oubliés — Partie 2
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Auteur·ice : Chloé Lahir
31/12/2018

Les albums de 2018 qu’on n’a pas oubliés — Partie 2

2018 fut longue et intense. Alors que celle-ci se termine, plutôt que de faire un bilan des meilleurs albums de l’année (qui frustrerait la plupart de nos chroniqueurs), on a décidé de mettre en avant des albums dont on n’a pas eu le temps de parler, mais qu’on a beaucoup aimés. La première moitié de ces disques était ICI. Voici la seconde.



Brace! Brace! – Brace! Brace! (Chloé L) : Il est dans mon top 3 personnel des meilleurs disques de l’année, le premier album du groupe parisien d’origine lyonnaise Brace! Brace! sorti dernièrement chez Howlin Banana est une petite merveille qui donne carrément la banane ! L’album a un goût particulier, à mi-chemin entre un indie rock donné par les nombreux riffs de guitares et une pop acidulée créée par les divers sons rétros de synthé qu’on apprécie tant. Station Walls annonce à la perfection l’acidité dès le début de l’album avec des dialogues de guitares qui ne cessent de jouer en arpèges, oscillants entre des effets d’overdrive et de chorus prononcés. Ce sont d’ailleurs ces effets, largement repris sur l’ensemble de l’album, qui nous font reconnaître le son de Brace! Brace!. A l’heure où il n’est pas évident de se démarquer et de créer un son authentique sans qu’il soit comparé à moult artistes déjà bien connus de la scène, le groupe a réussi à se forger une identité particulière, bien que l’on en ressente les diverses influences. C’est ce qui en fait leur réussite et les jeunes n’ont d’ailleurs pas manqué de nous surprendre et nous bousculer au travers de leur disque au son addictif : I’m a Jelly et son long pont sur 2 notes, tel un bug de piste rayée, nous tient intensément en haleine, ou Tease, morceau très pop vintage qui s’achève sèchement nous laisserait presque sur notre faim. Le groupe s’attèle aisément au rock garage (Ominous Man, Whales) ça réveille terriblement bien ! On y distingue même quelques influences plus new wave, post punk qu’on retrouve dans Casuel Fanciness ou dans Club Dorothée, qui donne juste envie de remuer son popotin. Brace! Brace! est un cocktail surprenant qu’on n’a pas manqué de boire lors de leur release party au Pop-Up du Label en décembre dernier et on a pas été déçu ! Brace! Brace! jouera aux côtés de T/O et Eggs aux Bains le 10  janvier prochain à l’occasion de la Super Pool Party des Inrocks.


Veence Hanao et Le Motel – Bodie (Fanny) Si le hip hop belge semble être à son apogée depuis quelques années, l’un des meilleurs disques du genre est signé Veence Hanao. Accompagné du beatmaker Le Motel (Roméo Elvis, YellowStraps,..), il marquait son retour début 2018 après quatre ans de break forcé suite à des problèmes d’oreille interne. Un disque, neuf titres, beaucoup de noirceurs : Bodie est la bande originale d’une promenade nocturne dans des rues mal éclairées. Les pieds qui rasent l’Alphalte humide, des cernes sous les yeux et des substances dans le sang alors que l’aube n’est plus très loin. Mais entre noirceur et défaitisme, quelques lueurs, une Mélusine. Des papillons, est-ce un mirage ?


Boygenius – Boygenius EP (Fanny) : Si Boygenius a tout du génie, il n’a rien de masculin, puisqu’il s’agit du supergroupe formé par les jeunes Julien Baker, Phoebe Bridgers et Lucy Dacus, trois des plus grands espoirs de l’indie folk rock. Sur ce premier EP en commun, les trois protagonistes se retrouvent tour à tour au chant lead, aux choeurs, au piano ou à la guitare, dans six morceaux où leurs univers artistiques s’imbriquent sans pour autant se phagocyter. Car à l’écoute de chaque morceau (à l’exception peut-être de Ketchum, ID ?), on distingue aisément laquelle des trois a posé les jalons du titre. La sobriété crève-coeur de Baker, les balades au style clair-obscur de Bridgers et les guitares distordues de Dacus. On a vu pire mélange.


Vulfpeck – Hill Climber (Chloé L) : Le groupe américain qui avait rempli deux Olympia lors de son passage dans la capitale en automne dernier vient tout juste de nous concocter son dernier album, Hill Climber, qui une fois de plus nous renvoie, de manière contemporaine, faire un joyeux bond dans les seventies. Sans surprise, le nouveau disque du groupe funky est un divin concentré de groove. On peut diviser l’album en deux parties dont la première nous livre des morceaux plus jazzy comme Darwin Derby (feat Theo Katzman et Antwaun Stanley) qui donne une pêche d’enfer. La seconde relate plus de la performance de ces musiciens monstrueux, qui nous emmènent de manière graduelle vers une apogée du funk. Comment se retenir de ne pas taper du pied, hocher la tête ou même se déhancher à l’écoute de cette musique ultra fraîche ? Joe Dart, le mythique bassiste de Vulfpeck remplit toujours aussi bien son cahier des charges en performant des morceaux tels que Disco Ulysees ou It’s Get Funlier IV dans lesquels la sainte Fender bass mène avec technicité la cadence. La recette magique de Vulfpeck : une guitare rythmique exquise, une batterie qui donne le tempo à la perfection, agrémenté de percussions et de congas, des envolées de clavier à la “piano jazz”, un saxophone endiablé et des voix entrainantes, dignes de celles des plus grands soul man. Hill Climber c’est simplement 30 minutes de son d’une dynamique à nous décoller du siège. Encore un disque qui va tourner un long moment sur nos platines.




SHAME – Songs Of Praise (Victor) : “My voice ain’t the best you’ve heard / And you can choose to hate my words / But do I give a fuck?” Attention, les lads de SHAME ne sont pas là pour se faire des amis. Dans la plus pure tradition du punk anglais, Songs of Praise est un album sans concession. Bruyant, sale, rugueux, cet opus londonien va droit au but dans une tornade qui balaye tout sur son passage et qui illustrerait parfaitement une scène de baston des Peaky Blinders. Les guitares sont incendiaires, la section rythmique sans fioriture, tandis que les textes sont récités dans un style mi-chanté, mi-braillé. Des textes qui sont également bruts, qu’il s’agisse d’évoquer la prostitution adolescente sur Gold Hole, la tourmente sur Concrete ou le suicide sur Angie. Le quintet possède pourtant une autre facette, presque mélancolique, qu’on aperçoit sur des chansons comme Angie, justement, mais aussi et surtout One Rizla et ses accents pop. On conclura cette revue sur la satisfaction d’avoir parlé de punk anglais sans citer The Clash ou The Fall.


Bodega – Endless Scroll (Charles) : Le fantasme principal de tout groupe européen est de traverser l’Atlantique. Mais pour beaucoup de groupes américains, l’inverse est aussi vrai. Le parcours de Bodega peut sembler sinueux mais la lumière est toujours au bout du chemin pour tout bon album. Et Endless Scroll en est un sacré bon exemple. Si le groupe n’a pas joui d’une grande visibilité par manque de réelle sortie dans l’hexagone, sa prestation furieuse aux Trans Musicales et la tournée qui s’annonce en France en 2019 devrait rebattre les cartes du jeu. L’album de Bodega a la saveur du post punk des années 80 : du cynisme, du sarcasme, un propos politique et sociétal et une basse aussi obsédante que jouissive. Le tout ramené aux obsessions modernes puisque le groupe s’intéresse principalement aux nouvelles technologies (Endless Scroll, Bodega Birth), mais aussi à la société de consommation (How Did This Happen?) en passant par des délires cinéphiles (I Am Not A Cinephile et Jack In Titanic)  et une ode à la joie sur la masturbation féminine (Gyrate). Le tout reste toujours joyeux, dansant et souvent très drôle, citant autant Joy Division et Wire que LCD Soundsystem ou Parquet Courts.
En un peu moins de 35 minutes, Endless Scroll de Bodega nous offre donc une bonne claque rageuse, puissante qui nous fera danser autant qu’elle nous fera réfléchir sur notre manière de consommer et nos rapports à des réseaux pas si sociaux. La recette parfaite d’un album post punk en somme.




Génération(s) Éperdue(s) (Charles) : Et voici donc le second album de reprise qui aura réussi à évacuer le cynisme qu’on portait sur le genre. Sans doute parce qu’on connait très peu Yves Simon (après consultation parentale, il semble qu’il soit un héros de leur jeunesse…) et qu’on a eu un véritable plaisir à découvrir son univers rempli de rêverie, de poésie et d’évasion. Et là où d’autres sentent la précipitation et le manque de minutie, ici, comme pour C’est Extra, on sent un véritable soin qui a été porté à la direction artistique du projet, du choix des chansons aux choix des artistes. Le rendu est assez hétéroclite, mais c’est ce qui fait la force du projet. Chaque artiste apporte sa patte, tant et si bien que si l’on ne connait pas Yves Simon, on pourrait y voir par moment des chansons personnelles des artistes qui se sont prêtés au jeu de la reprise. Et puis comment ne pas craquer quand la quasi-totalité des artistes présents ici font parti de ceux qu’on adore ? On citera pour exemples l’excellente Macadam A Quatre Voies qui offre un terrain de jeu parfait au grand Flavien Berger, Diabolo Menthe qui permet de réaliser que l’univers de Soko se conjugue parfaitement au français tandis que Petit Fantôme pare L’abyssinie d’apparats électroniques et psychédéliques toujours plus proches des jeux vidéos. On appréciera  les effluves 60’s de Juniore, la sensualité de Moodoid ou l’inévitable piano de Juliette Armanet qui font aussi raisonner avec bonheur les mots d’Yves Simon. Vous l’aurez compris, en deux albums sortis coup sur coup, notre opinion sur ces maudits compilations de reprises aura bien évolué. Et ce, pour le meilleur.


Le Jouage – A la croisée des chemins (Charles) : Comment ne pas parler du dernier projet de Le Jouage. S’il est plus connu pour ses projets collectifs, que ce soit le projet de science-fiction Gravité Zéro avec James Delleck, Hustla son duo culte avec Grems ou encore le super groupe Klub des 7, la carrière solo du bonhomme n’est clairement pas à négliger. La preuve avec ce nouveau projet intitulé A La Croisée Des Chemins. Des chemins, on en trouve beaucoup sur ces 12 très bon titres. Que la production soit rétro (La Mixture), enjouée et rythmée (Au Lointain, Donne), cinématographique (C’est Inutile) ou électronique (Carpe Diem), Le Jouage malaxe son flow souvent nonchalant, l’accélère et le ralentit, s’amuse avec les mots et les rythmes pour offrir un rap divers dans ses intentions et ses influences. S’il parle beaucoup de lui, plongeant allégrement dans l’égo-trip, il fait preuve d’assez de recul et d’humour pour se sauvegarder et ne pas plonger dans un premier degré souvent délétère et jamais satisfaisant. Niveau featuring, on est ici au strict minimum et surtout avec des invités assez évidents puisqu’on retrouve Cyanure et Grems. Alors que le rap s’impose définitivement comme la nouvelle pop, on se désespère un peu de voir un artiste comme Le Jouage aussi peu mis en avant. Pourtant, A La Croisée Des Chemins reste un excellent album de rap, qualitatif, intelligent et réfléchi. On tenait à le signaler ici, Le Jouage restera toujours le genre d’artistes qui trouvera un passage vers nos oreilles.



Janelle Monáe – Dirty Computer (Adrien) : En 2018, Janelle Monáe était partout. On connaissait Janelle actrice au cinéma (elle est apparue cette année dans les succès mondiaux Moonlight et Hidden Figures). On connaissait Janelle actrice à la télévision (elle tient le rôle principal dans l’ambitieuse série Philip K. Dick’s Electric Dreams depuis l’année dernière). Désormais, please welcome Janelle superstar de la pop. Avec le blockbuster Dirty Computer, sorti cette année sur le label Bad Boy Records – aux côtés de Diddy et de French Montana notamment -, la chanteuse-productrice-auteur-compositrice-interprète-actrice assoit son statut d’artiste globale et bouscule la concurrence. Dans le sillon de Donald Glover aka Childish Gambino et son Awaken, My Love! sorti il y a deux ans, le disque dévoile enfin au grand public l’immense talent de performeuse de la chanteuse texane. En plus de nous offrir des tubes irrésistibles tels que Crazy, Classic, Life, I Got The Juice et surtout Make Me Feel, qui apparaît dans la liste des chansons préférées de l’année de Barack Obama, elle s’offre également le luxe d’inviter des invités aussi prestigieux que Brian Wilson, Grimes et Pharrell Williams. La machine est bien huilée et, à la manière de Beyoncé ou de Janet Jackson à son époque, Janelle Monáe se démarque par ses talents scéniques ultra charismatiques. Son affirmation récente en tant que pansexuelle – ce qui a par ailleurs fait exploser les recherches à ce sujet – ajoute un degré de lecture à cet album, relatif à son aura sensuelle mystérieuse et hors des conventions. Elle chante ainsi à la fin de Screwed, en compagnie de Zoë Kravitz :

“Everything is sex
Except sex, which is power
You know power is just sex
Now ask yourself who’s screwing you”

Définitivement ancrée dans son époque et excellant dans tous les domaines de l’entertainment US, Janelle Monáe compte bien mettre le monde à ses pieds et renverser les codes établis. Retenez bien son visage et son talent : 2019 sera Janelle ou ne sera pas.


Rhye – Blood (Flavio) : Le simple fait que l’album continue de siéger sur nos playlists presque dix mois après sa sortie pourrait largement suffire pour vous expliquer ce choix. Mais alors qu’on tient ici une raison de la présence de cet album dans notre liste, Blood nous en redonne onze. Onze véritables petits délices qui s’inscrivent comme un mémento de sensibilité. Et la voix androgyne de l’incroyable Mike Milosh n’y est pas pour rien. Sans la patte de Robin Hannibal, présent sur le sublime premier projet Womanc’est en solo que l’artiste s’impose ici en prouvant que les cinq ans d’attente en valaient la peine. Laissez-vous donc bercer par la sobriété, la classe et surtout la douceur de ces voluptueuses balades portées par l’élégance de cette voix si particulière. Coup de coeur pour Song For You, quintessence même de ce que Rhye a de plus beau à nous faire ressentir. Frissons garantis. 

 


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