L’Or du Commun : Sapiens, une brève histoire du rap belge
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
16/11/2018

L’Or du Commun : Sapiens, une brève histoire du rap belge

Lointains sont les temps où “niquer ta reum” et “faire du biff de la moula” étaient nécessaires pour produire du rap à succès. Phénomène notable de ces dernières années : le rap francophone a appris les bonnes manières, notamment du côté du plat pays. 

Alors poli oui, mais pas trop quand même. Car ce n’est pas parce qu’il pose sa serviette sur ses genoux qu’il mange la bouche fermée : le rap belge est moins vulgaire mais toujours aussi insolent, pour notre plus grand plaisir.  Déjà bons élèves en la matière, les trois Bruxellois prouvent que punchlines et insultes sont dissociables, que rap et musique sont synonymes. Fort d’une écriture ingénieuse, c’est crescendo que L’Or du Commun s’affiche aujourd’hui comme l’une de ces figures du rap belge qui s’envole.

Et si le jeu de mot qui compose leur nom de scène ne vous est pas inconnu, c’est sûrement dû à leur parcours déjà bien chargé et à des apparitions aussi nombreuses qu’efficaces aux côtés des pointures du milieu. Déjà en 2013 et 2015, c’était armés de leurs EPs “L’Origine” et “L’Odyssée” qu’ils faisaient vibrer les pogos les plus chauds du pays sur les traces de Roméo Elvis, maître en la matière de bordel scénique et proche ami du collectif. Le même Roméo retrouvé deux ans plus tard sur le projet Zeppelin, écrin du diamant Appollo qui signera le premier gros coup du groupe entonné depuis lors sur la route des meilleurs festivals belges et français. Le même titre qui les amènera à partager leur musique et leurs textes saisissants aux quatre coins du pays. C’est aussi en solo que le ténébreux Primero s’est exploré en 2017 sur son EP Scénarios avant la sortie encore fraîche de Swing, l’atout chill de la bande, qui s’est démarqué en janvier dernier sur son EP Marabout porté par la finesse du titre Cercle. Inspirés par ces opportunités uniques, c’est plus matures qu’ils se dévoilent aujourd’hui sur Sapiens. Un album à la poésie étonnante qui retournera sans doute autant les salles de concerts que les esprits pour conter l’histoire d’un rap belge en plein essor.

Chapitre I : Le rap belge ardent

Habitées par les drops sulfureux de Vax1, leur fidèle beatmaker aux doigts d’or, – à l’oeuvre sur les instrumentales Lambda et Outro – les instrus fracassantes s’enchaînent et c’est sans difficulté que l’on s’imagine déjà la Plaine de la Machine à Feu du Dour Festival et l’Hippodrome des Solidays s’embraser au rythme des énervés Truman Show et Téléphone. L’un des premiers extraits dévoilés, Sur Ma Vie, est un véritable coup de coeur par son mélange de punchlines humoristiques tristement réalistes et de flows ravageurs traitant de sujets légers avec force pour faire danser et sourire. Une chaleur communicative qui leur permet de témoigner avec sarcasme de l’investissement monstre demandé à un jeune groupe qui veut percer sans sombrer dans l’hégémonie d’un rap francophone trop conforme et limitant. Le titre s’offre l’éclat d’un clip coloré et malin : une bonne barre de rire entre potes tournée avec la finesse esthétique du talentueux Romain Habousha, notamment aux commandes des visuels de l’épuré Sade Blu de notre chouchou Blu Samu. Des jeux de nuances qui viennent renforcer l’ardeur du titre et cristallisent cet esprit de festivité et de frénésie. Bref, dans la lignée de l’iconique Appollo, la triade n’a pas fini de secouer les têtes et faire voler les casquettes.

Chapitre II : Le rap belge solidaire

Là où certains se disputent le micro, d’autres agrandissent la scène et se la partagent. Bienvenue dans le monde où l’on préfère se checker que se concurrencer. Le prouve l’apparition réjouissante du belge Isha sur l’électrisant Nos Gènes qui signe ici une collaboration de qualité et s’offre des couplets tapageurs faisant ainsi pousser, le temps d’un morceau, une quatrième tête au Cerbère. Moins étonnante mais tout aussi affolante, la présence de celui-qu’on-ne-présente-plusRoméo Elvis. Sur Vraion s’éloigne de l’innocence d’une partie de l’album pour s’enfoncer dans des sonorités plus crues et sombres sans perdre une once de vivacité. Un refrain entêtant, une atmosphère transmise avec brio et une mélodie brillante : l’association est – sans surprise – d’une classe typiquement belge. Et à la vue de l’ascension collective des artistes qu’elle a bercé, Bruxelles ne peut s’empêcher de rougir de fierté.

Chapitre III : Le rap belge poétique

C’est ici que la surprise est de taille. Car s’il est coutume de souligner l’humour et la voracité d’une punchline, il est toutefois plus rare d’en retirer un véritable potentiel d’écriture qui viendrait à rappeler la proximité qui peut exister entre le rap et le monde de la poésie. Trois titres viennent ainsi prouver la fragilité de la frontière qui sépare les deux univers pour venir “unir les deux antipodes”. Prison Vide, ce sont des vers emplis de nostalgie et d’inquiétude qui s’entremêlent dans un refrain touchant et vibrant qui questionne notre rapport au temps qui file. “On sait qu’on ne fait que passer” scande notamment avec ferveur cette crise existentialiste transparente et impudique. Homosapiens se présente comme le procès de l’être humain égoïste, égocentrique, irréfléchi et robotisé. Et pour réaliser ce clip somptueux pour ce titre si particulier, qui de mieux qu’une des trois têtes pensantes qui l’ont écrit ? C’est ainsi qu’on découvre les talents de réalisateur du peroxydé Loxley qui habille cette ode frissonnante. “Homosapiens, y’a pas assez d’amour entre nous”. Chacun à leur tour, les trois comparses viennent cracher la virulence de leur pensée à coups de punchlines adressées directement à une race humaine qui s’est perdue. Finalement, Antilope aborde l’hostilité du monde qui nous entoure pour un face à face intense avec la mort. Une ambiance prenante qui permet aux trois bad boys d’exploiter une fragilité attachante aux travers d’un sujet plus poignant. L’outro du titre condense les émotions par une citation de l’écrivain Jean D’Ormesson affirmant que “La pire catastrophe ce serait d’être immortel. Vous savez qui meurt ? Ne meurent que ceux qui ont vécu”. Frissons garantis. Ou quand le rap belge nous donne un cours de philo.

Un tel rendu demande forcément une pléthore d’inspirations, d’expériences et de travail et il semble que ce n’est pas ce qui a manqué aux trois jeunes artistes. Quel plaisir de voir le rap instrumentalisé pour refléter de façon légère la dureté de la société. En bref, ce premier album de L’Or du Commun brille par la qualité de son écriture et la solidité de ses sujets et il nous tarde de témoigner de l’ascension de ce trio au mérite indéniable.


 

 

 

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