Marion Brunetto (Requin Chagrin): “Je cherchais quelque chose de plus vaporeux, avec des accords bizarres”
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Auteur·ice : Victor Houillon
25/01/2019

Marion Brunetto (Requin Chagrin): “Je cherchais quelque chose de plus vaporeux, avec des accords bizarres”

A La Vague Parallèle, on est conquis quand une chanson nous rend à la fois heureux et triste. Adepte de nostalgie et de mélancolie, notre boussole pointe souvent vers le continent américain (Allah-Las, Alvvays, Day Wave….).  C’est pourtant au Point Éphémère que nous rencontrons Marion Brunetto, personnage central de Requin Chagrin, étendard français du mouvement surf-rock dont le deuxième album Sémaphore vient de sortir chez KMS. L’occasion de parler de pédales d’effets, de narration et de la catégorisation des artistes féminines.

 

La Vague Parallèle: Hello Marion, merci de me recevoir dans ton studio de répétitions. Tout d’abord, comment vas-tu ?

Marion Brunetto: Très bien, merci ! Et toi ?

LVP: Pareil ! Requin Chagrin sort un nouvel album, Sémaphore, premier projet à paraître chez KMS. Rejoindre un label a-t-il modifié ta façon de voir les choses ?

MB: Non, tout s’est fait petit à petit. Au moment de rejoindre le label, je n’avais que deux démos, c’est-à-dire pas grand chose. J’ai donc commencé par faire des maquettes à la maison, comme d’habitude, en créant un studio éphémère. J’ai ensuite été rejointe par Bénédicte Schmidt du Labomatic Studio, avec qui j’avais eu l’occasion de bosser sur des captations live ou le morceau Poisson Lune. Cette étape a fait office de pré-prod. Je me suis également entourée d’Adrien Pallot, qui a rapidement mixé Mauvais Présage. Je trouvais le rendu vraiment sympa, et j’aimais vraiment bosser avec lui. Au fur et à mesure, il a dépassé le fait de simplement mixer les morceaux pour s’attaquer aussi à la production. On a fait ça entre avril et mai.

LVP: Dans un studio plus pro ?

MB: Oui et non: il a une salle avec du matos, mais ça reste assez DIY, loin du studio avec cabine. On a d’ailleurs dû aller enregistrer les batteries chez Entreprise.

LVP: C’est donc toi qui a enregistré la totalité des instruments ?

MB: Oui, contrairement au premier où ce n’était pas moi qui avait fait les claviers, ni une ligne de basse qui avait été faite par Greg, le bassiste de Requin Chagrin. Sur cet album, c’est moi à 100%, même si ce fut compliqué pour les claviers (rires). Ce ne sont pourtant pas des parties folles, plutôt chiantes, mais ce n’est pas un instrument que je maîtrise très bien !

LVP: J’ai pourtant l’impression que les claviers sont plus mis en avant sur Sémaphore que sur RC.

MB: C’est vrai. Tout le monde rigole quand je dis la marque de mon clavier, c’est un Alesis Micron, tu connais ? C’est plutôt un clavier pour faire de l’électro bizarre, mais il y a quelques presets pas trop mal. Avec mes pédales d’effets, j’ai réussi à trouver un son d’orgue bizarre. Ça me plaisait bien d’explorer ça sur les nouvelles chansons, pour changer un peu.

 

 

LVP: Tu mentionnes tes pédales, qui participent à la signature Requin Chagrin. Tu utilises les mêmes pédales pour guitare et clavier ?

MB: Oui, réverb’, delay… C’est vraiment la première étape.

LVP: Pas mal de chorus aussi, non ?

MB: Oui, j’ai mis la main sur un super rack Boss d’occasion. C’est un chorus vraiment très simple : juste un bouton on/off, mais qui est vraiment nickel ! J’en ai du coup mis partout, y compris sur la voix… J’avais envie d’avoir autre chose que de la réverb’, en rajoutant de la modélisation, et c’était une belle surprise. J’utilise aussi un drive qui a le défaut de couper les basses, ce qui est très pratique en studio, un peu moins en live : ça colore juste ce qu’il faut.

LVP: En écoutant les deux albums bout à bout, on retient une identité Requin Chagrin qui se maintient. Mais on sent sur Sémaphore plus d’influences des années 80. C’est un choix conscient ?

MB: Ça s’est fait comme ça… Je me suis peut-être dit que je n’allais pas faire un truc trop garage, me séparer un peu des codes… Je ne sais pas ce qui s’est passé (rires), mais je ne me suis pas dit “il faut faire un truc plus eighties”. En revanche, je cherchais quelque chose de plus vaporeux, avec des accords bizarres. Pas non plus shoegaze, mais avec des cordes qui sonnent à vide, qui font des petites dissonances. C’est assez discret, mais ça me change de d’habitude.

LVP: Notamment sur Soleil Blanc, où les instrus font presque penser à du Grand Blanc. Tu as d’ailleurs collaboré avec Benoit David sur l’écriture de certaines paroles ?

MB: Oui, il m’a offert le texte de Minuit, et m’a aussi aidée sur Croisades.

LVP: Comment en êtes-vous arrivés à travailler ensemble ?

MB : C’est tout simple en fait. On bossait avec Adrien à la même période, en étant amenés à se croiser de temps en temps. J’avais des textes à finir au moment où Los Angeles venait de sortir. Et comme j’avais vraiment aimé cette chanson, je me suis dit “tiens, ça serait pas mal si…“.

LVP: Et musicalement, est-ce que tu écoutais Grand Blanc ou d’autres groupes français au moment de la conception de ton album ?

MB: Pas trop français. Plutôt des trucs un peu au pif sur YouTube en suivant des chaînes qui passent de la pop internationale, David quelque chose et Daisy je ne sais pas quoi… Bref, de la pop atmosphérique pour me mettre comme dans un bain avant de composer.

LVP: Au moment de composer une chanson justement, tu pars d’abord d’une mélodie, d’une phrase ou d’instrus ?

MB: D’instrus ! Jamais des textes. Je commence souvent par la basse et une boite à rythmes pour avoir une base sur laquelle trouver quelque chose. En tant que guitariste, le fait de commencer une compo à la guitare me bloque un peu en m’orientant trop dans mes habitudes, j’aime donc commencer par la basse. De cette manière, j’ai un socle solide et je suis plus libre. La seule exception est Sémaphore, où le socle s’était fait aux claviers. On entend d’ailleurs que la basse fait un peu plus que d’habitude.

LVP: En écoutant tes chansons, j’entends un gros contraste entre des riffs joyeux et des paroles très amères-douces.

MB: Ça s’est fait hyper naturellement sur le premier album, avec l’idée de faire un truc entraînant, ensoleillé comme on peut entendre sur Adélaïde. Pour ce qui est des paroles, je n’avais jamais écrit de textes avant, du coup c’est venu un peu comme ça.

LVP: Sur l’album Sémaphore, j’ai l’impression qu’il y a une narration qui prend place au gré de plusieurs voyages. Tu as envisagé ce projet comme quelque chose ayant un début et une fin ?

MB: Au début, pas vraiment. Les textes sont arrivés assez tard, de manière décousue. Mais d’un autre côté, j’ai su dès le début que Le Grand Voyage serait la fin de l’album, et au fur et à mesure je me suis dit “Pourquoi pas avoir un point A et un point B?” avec des petites histoires qui se suivent. Croisades, le premier morceau, parle donc volontairement d’un départ, d’une envie de voir ailleurs, d’explorer quelque chose même si ce n’est pas facile. Une sorte de conquête. Ensuite, au milieu, on a des espèces de chagrins d’amour, avant une fin épique avec un retour aux sources en forme de clin d’œil au début de l’album.

LVP: Tu as du coup structuré ton projet en partant de la fin.

MB: Oui voilà, exactement.

LVP: Est-ce que tu penses garder cette narration au fil des concerts?

MB: Oui, ça sera le cas. On commencera par Croisades pour finir par Le Grand Voyage. Bon après, le milieu sera un mélange avec le premier album.

LVP: D’ailleurs, comment abordes-tu les concerts et le fait de t’entourer d’un groupe ?

MB: Si, au départ, on reprend le format des versions studios, rien n’est figé : on s’adapte en fonction de ce qu’il se passe sur scène, voire en répétition. Sur Sémaphore, par exemple, on a trouvé une sorte de pont entre nous qui a permis de faire évoluer la chanson.

LVP: Requin Chagrin a été annoncé comme tête d’affiche du festival Les Femmes s’en Mêlent (au Trabendo le 4 avril). C’est parce que l’opportunité s’est présentée telle quelle ou par choix politique ?

MB: C’est un festival qui me plaisait pas mal, dont j’entendais beaucoup parler il y a quelques années. Je m’étais dit que ça serait trop cool d’y jouer un de ces quatre. Ça sera l’occasion de faire un Trabendo le 4 avril. La salle est cool, le festival est chouette… Oui, je suis contente (sourires). Après, je ne me suis pas non plus dit qu’il fallait absolument jouer aux Femmes s’en Mêlent.

LVP: Je te posais cette question car j’ai l’impression que beaucoup d’artistes aussi différentes que Cléa Vincent, Juliette Armanet ou toi sont rangées dans la même case “rock féminin“, ce que je trouve dommage.

MB: Oui, je suis d’accord avec toi. Après sur ce festival, même si évidemment la programmation est féminine, c’est plus l’occasion d’enfin découvrir cela de l’intérieur qui me plaisait. Mais effectivement, ça arrive qu’on me pose des questions du style “C’est quoi la différence entre un groupe avec ou sans fille ?“… Bon, c’est un peu compliqué d’y répondre, ce n’est pas parce qu’on est une fille ou un garçon que le jeu sera différent. Il y a des questions un peu maladroites de temps en temps. Après, je n’ai pas encore l’impression d’être dans une case “girl power“.

LVP: Clique a pourtant consacré un format “les femmes dans le rock” à ton sujet.

MB: C’est vrai qu’ils avaient proposé cette vignette. J’ai trouvé ça drôle comme approche. C’est dans l’ère du temps…

LVP: Autre sujet, les clips de Requin Chagrin ressemblent à des court-métrages. Si Sémaphore traite du couple auto-destructeur de manière assez évidente, peux-tu nous en dire un peu plus sur Mauvais Présage ?

MB: Il faudrait demander à Simon Noizat, le réalisateur ! Il avait envie de raconter une course infernale vers le chaos en clin d’œil au titre. Lorsqu’il a présenté le brief, j’ai trouvé ça cool d’avoir au départ deux personnages connectés puis tout un village qui se met à courir, que ça pouvait faire une image intéressante.

 

 

LVP: En revanche, tu es à la base de l’idée de Sémaphore ?

MB: Oui, j’avais une vision d’un couple qui se battait à la plage. J’avais commencé à préparer des séquences, faire un découpage, et Simon m’a rejointe dans le projet. J’avais déjà toute une sélection de lieux en tête. A partir de là, on s’est demandé ce qu’on pourrait raconter dans chacun des lieux. Il y a d’ailleurs un phare et un sémaphore chez moi à Ramatuelle, c’était une évidence (rires). Mais je trouvais ça assez malin d’alterner les scènes de douceur et de violence, de mélanger différents flash-backs, et de voir cette progression au fil de la vidéo où la violence prend progressivement le pas sur le reste.

LVP: Co-réaliser un clip a-t-il fait naître en toi une vocation ?

MB: Pourquoi pas, mais tout dépend des titres. Tu vois, sur Sémaphore, la vision était là depuis le début, mais sur certains titres il vaut mieux laisser Simon intervenir. En tout cas l’expérience aura été positive, donc si l’occasion se représente, ça sera avec plaisir ! Le fait que Sémaphore ai été tourné avec une toute petite équipe m’a permis d’être assez libre, au contraire de Mauvais Présage : beaucoup de figurants, un planning ultra-chargé pour tout faire en une journée…

LVP: Eh bien merci beaucoup pour ton temps Marion ! Bon courage pour ta tournée et on se retrouve au Trabendo !

MB: Merci à toi, à bientôt !