Pépite et les lumières dans la nuit
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Auteur·ice : Victor Houillon
12/04/2019

Pépite et les lumières dans la nuit

Ils s’appellent Thomas et Edouard, et forment un duo qui parait tellement impliqué dans le renouveau de la pop française qu’on avait peine à croire qu’ils n’avaient toujours pas sorti d’album. C’est désormais chose faite. Après deux EP (le solaire Les Bateaux en 2016 et surtout l’impeccable Renaissance en 2017), les deux romantiques partent cette fois-ci à la poursuite de la lune pour le très attendu Virages. Une véritable Pépite.

On les avait quittés fin 2018 sur deux évènements qui sentaient bon la chaleur et les vacances. Non contents de voyager à travers la France en ouvrant la scène pour les surfeurs de Parcels, le duo avait réuni un millier de chemises hawaïennes dans une Cigale pour autant d’âmes qui scandaient les refrains fédérateurs de La Vie Douce ou Reste Avec Moi. Des paroles inlassablement mélancoliques et universelles sur fond de kitsch et de psychédélisme pour un cocktail qui avait su toucher la rédaction de La Vague Parallèle en plein coeur. Des Flèches qui font “démolir le coeur“, c’est justement ce dont parle la chanson qui ouvre l’album. Une chanson qui annonce d’ailleurs une nouvelle couleur : le halo d’un néon remplaçant désormais les rayons du soleil, tandis que les bruits de la ville éclipsent les cris des mouettes. Si les textes de Thomas célèbrent toujours ce “goût doux et amer” des “romances éphémères“, les arrangements d’Edouard se rapprochent du disco de L’Impératrice, leurs camarades de chez Microqlima. 

Un disque plus dansant, donc, mais surtout un disque qui porte bien son nom. On embarque pour un trajet en voiture en regardant les lumières défiler par la vitre. Un voyage lors duquel le duo oscille entre le rôle de conducteur et de passager. Certains Virages apparaissent comme autant d’expérimentations au fur et à mesure que Pépite navigue à vue au cours du trajet nocturne que constitue l’album. On découvre avec surprise des clavecins et des bongos qui épousent un rythme électro sur une Zizanie plutôt funky. On perçoit même des lignes de synthés analogiques sur Revues, dont les basses auraient toute leur place dans la BO de Drive. Une chanson qui évoque une situation bien connue de tous : tomber par hasard sur une photo d’un amour passé, pour un tourbillon de questionnements involontaires. Un sentiment à la fois heureux et triste que l’on retrouve dans ces arrangements étonnants où percussions exotiques côtoient textures de synthés en un ensemble vaporeux. Peut-être toute l’esthétique de ce nouveau Pépite. 

On reconnait tout de même instantanément la signature sonore du groupe, présente depuis leur tout premier morceau Les Bateaux, disponible sur ce nouvel album au même titre que Hiéroglyphes afin d’assurer une certaine continuité. Cette signature sonore, à mi-chemin entre le yé-yé des années 60 et les productions modernes de Beach House ou Tame Impala, tient autant du timbre de voix caractéristique de Thomas que du ton de la guitare d’Edouard. Fait rare pour un guitariste en 2019, il suffit d’une arpège nappée de chorus ou d’un solo confus et émotionnel pour reconnaître la patte du grand gaillard. On retrouve ces gimmicks sur Champagne, où Thomas constate que certaines pages sont plus difficiles à tourner que d’autres. À contre-courant de ces paroliers qui excellent dans l’art de draper leurs paroles de mystère, la touchante candeur avec laquelle se livre le sosie vocal de Jean-Louis Aubert fonctionne à merveille. Sans vouloir le comparer au maître en la matière Leonard Cohen, l’impudeur avec laquelle il se livre résonne au sein de tous, comme si ces maux personnels devenaient universels. Surtout, la mélodie du refrain est du genre à rester en tête plusieurs heures.

J’ai vu la neige tomber,

La chaleur en été

Mais tu me manques encore un peu

J’ai visité quelques chambres

J’y ai laissé des draps froissés

Mais tu me mens encore un peu

Dans le même registre, Allo se pare d’habits de ballade r’n’b. Mais c’est surtout Monte Carlo qui a retenu notre attention. On était fier d’avoir tenu jusqu’ici cette chronique sans avoir mentionné la figure ultime du romantisme à la française. Mais sur cette chanson, entre les nombreuses références au Sud de la France, le contraste entre les champs lexicaux de la tristesse et de la Dolce Vita, la base nostalgique composée de pianos et de synthés, les chœurs qui s’élèvent et les instruments qui s’envolent, impossible de renier plus longtemps la filiation évidente avec Christophe. Un héritage par ailleurs assumé par le duo.

Une influence toujours présente qui laisse pourtant place à une dose de fraîcheur. Sur Feu Rouge, le duo est notamment rejoint à l’écriture par Benoit David, parolier de la nouvelle génération (Grand BlancRequin Chagrin) et à la trompette par Voyou. Des alliances qui permettent un tube sous forme de métaphore sublime, avec un narrateur en passager d’un taxi qui, comme la vie, défait les relations dans une fuite en avant sans possibilités de revenir en arrière. On apprécie beaucoup le clip qui retranscrit cet état d’esprit en toute simplicité. On reconnait sur quelques tournures de phrases l’amour de Benoit pour les jeux de mots:

A chaque feu rouge de colère
Paris qui défile sous la pluie
Je me défile, je suis parti

Quand la chanson l’exige, Pépite ne s’interdit pas des arrangements plus bondissants. Avec sa batterie à la fois rétro et actuelle, Tant De Peine choisit ainsi l’optimisme pour évoquer deux amants qui se trouvent, se perdent et se tournent autour. On note à nouveau l’influence de Benoit David sur ce morceau, que ce soit au niveau des paroles ou de la composition. Silence Radio est peut-être la chanson la plus surprenante de l’album, tant elle rompt avec le reste. À mi-chemin entre surf rock et new wave, la basse galopante répond aux rapides arpèges de guitare dans un ensemble joyeux qui rappelle Alvvays. Le duo en profite pour s’offrir un chœur de prestige composé de Voyou et de ce bon vieux Benoit, décidément dans tous les bons coups. Il est alors temps de conclure l’album sur Rubis, bijou de douceur et de naïveté. C’est surtout un morceau qui permet de mettre en valeur les deux talents de Pépite. D’un côté, le songwriting poignant de Thomas sur une ballade piano-voix mélancolique. De l’autre, les arrangements grandioses d’Edouard, qui apparaissent par surprise à la fin de la chanson, comme un bouquet final psychédélique. D’ailleurs, même armé d’un simple piano (blindé de chorus bien sûr), on reconnait les tics mélodiques de celui qui sur scène est guitariste.

À l’arrivée, cela donne un album à mi-chemin entre tradition et modernisme. À la fois kitsch et pointu, Virages s’inscrit dans la lignée de Petite Amie de Juliette Armanet, autre disque qui sied aussi bien à une animation dans un centre commercial qu’à une inauguration dans une galerie d’art contemporain. C’est aussi le point culminant d’un cycle qui avait débuté en 2016, l’aboutissement d’un projet fait d’alliances audacieuses mais efficaces. Il y a dans cette manière d’embrasser la pop d’antan sans la rendre caricaturale quelque chose d’incroyablement beau. Alors bien sûr, on ne pouvait pas finir cette chronique sans exprimer notre étonnement de ne pas avoir inclus Reste Avec Moi, chanson ô combien magnifique, dans ce disque. Mais ça nous donnera une raison de plus de foncer les voir en concert à la Gaîté Lyrique le 28 mai prochain. En attendant que la vie douce revienne.

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