Pitchfork Music Festival 2018 : morceaux choisis
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Auteur·ice : Paul Mougeot
07/11/2018

Pitchfork Music Festival 2018 : morceaux choisis

Comme chaque année, le Pitchfork Music Festival de Paris a ouvert ses portes dans la Grand Halle de la Villette, avec une programmation soignée et exigeante, qui mêle habilement pépites émergentes et artistes confirmés. Et comme chaque année, on a pris notre pied avec un bémol qui se fait toutefois de plus en plus évident au fil du temps : l’apathie du public du festival. Morceaux choisis de ce qui figurera tout de même comme un excellent moment de notre année musicale.

John Maus

Il avait annulé toutes les dates de sa tournée après le décès de son frère et bassiste Joseph et on a longtemps craint de le rater au Pitchfork après l’avoir manqué à la Route du Rock, mais John Maus était finalement bien présent dans la Grande Halle de la Villette. Compte tenu du contexte, voir le chantre de la pop baroque s’agiter seul sur scène sans le moindre décor avait sans doute quelque chose de grave, d’intimidant, de presque pesant. Sa prestation n’avait certes pas grand chose à voir avec celle qui avait enflammé le Trabendo il y a quelques mois et pour cause, il y était alors accompagné d’un groupe. Mais voir John Maus seul sur scène a permis de dévoiler un tout autre pan de sa démarche artistique : ce qu’il fait habituellement passer pour une posture punk a révélé une immense sincérité et une fragilité troublantes, alors que le Californien semblait lutter avec ses démons et ses fantômes sur scène, hurlant, se tordant et se frappant la tête au gré de ses morceaux, tout en gardant intactes les mélodies alambiquées et les beats ravageurs de son répertoire

Sans qu’on puisse vraiment savoir si cela tenait de l’incompréhension, du snobisme ou d’un problème neurologique généralisé, c’est pourtant un public parfaitement apathique et immobile, qui se rend à un festival comme il se rendrait au musée, que le génial John Maus a trouvé devant lui. Au moment où le Californien a tourné le dos à la scène pour s’en retourner dans les coulisses, on a difficilement pu contenir la frustration de n’avoir pu vivre son concert comme il le mérite : au milieu d’une foule en délire.

Bagarre

Peut-on espérer rassembler un public digne de ce nom dans un festival lorsqu’on pratique des tarifs aussi exorbitants ? On a ruminé cette question une bonne partie du jeudi après le concert de John Maus et on craint bien de connaître la réponse. Fort heureusement, les cinq lascars de Bagarre nous ont sauvé d’une autre soirée bien peu mouvementée. En matière d’ambiance, de prestation scénique et de don de soi, le collectif parisien est sans égal et aura sans conteste livré le meilleur concert du week-end. À la manière d’un gang de magiciens, Bagarre a littéralement envoûté son audience dès les premières incantations d’Écoutez-moi, qui a ouvert son set.

Le public a même fait mieux que lui obéir : ivre de bonheur, il s’est instantanément embrasé sur Diamant, nouvel hymne féministe dont il s’est déjà approprié le slogan (“Index à l’envers, majeur en l’air”) et le geste de la main correspondant, sur la techno arabisante de Le Gouffre ou sur la rythmique quasi-martiale de Béton Armé. Mention spéciale, aussi, à Miroir, qui prend une toute autre dimension en live grâce à l’étonnante interprétation de Mus, qui oscille entre gravité et joie, et finit de toute façon son morceau dans le public. Et même si on est sorti du pogo ruisselant et avec une côte fêlée (véridique), on ne peut que remercier Bagarre d’avoir réussi à prouver que le public du Pitchfork était vivant et capable de remuer.

Unknown Mortal Orchestra

Moins de 5 minutes, c’est approximativement le temps qu’il aura fallu à Ruban Nielson pour se décider à venir se balader dans la foule du Pitchfork, guitare en main, se promenant tranquillement parmi les gens tout en assénant un solo de guitare à son From The Sun. Le groupe de Portland a délivré ce qui était sans doute le meilleur set du samedi soir. Nielson est un frontman hors du commun, capable de se fondre dans son groupe comme de se mettre en avant par des fulgurances aussi abruptes que jouissives, mais il ne faut néanmoins pas oublier ses camarades de jeu, Jake Portrait, Amber Baker et Quincy McCrary : c’est bien cette synergie entre les membres qui donne une véritable ampleur aux chansons d’Unknown Mortal Orchestra.

Si les chansons se drapent d’un côté psychédélique bien présent et augmenté par des lumières et une mise en scène qui nous emmènent au loin, en live, les chansons gagnent en brutalité, en puissance et nous portent vers un terrain bien plus dansant. On retiendra avec bonheur les géniales versions de Necessary Evil, Multi-Love et Hunnybee, qui auront fait de ce concert l’un des meilleurs du week-end.

Bon Iver

Il était attendu : c’est même lui qui avait fait pencher la balance dans notre envie de venir au Pitchfork Paris. Autant le dire : Justin Vernon et son gang auront tenu leur rang. Dès l’ouverture des portes, sa présence se faisait ressentir et son nom était déjà sur toutes les lèvres, ne faisant qu’accentuer l’impatience d’une foule compacte venue couronner un des artistes les plus novateurs et acclamés de ces dix dernières années.

Là où le show de Blood Orange de la veille paraissait trop calibré et artificiel pour permettre à nos cœurs de s’envoler, celui de Bon Iver nous a atteint de la première à la dernière note. Au niveau de la setlist, on aura particulièrement apprécié d’entendre Heavenly Father, tiré de la bande originale de Wish I Were Here l’excellent film de Zach Braff. Durant les 1h30 de show, en grande partie composé de titres de 22, A Million et Bon Iver, le groupe aura montré que bien loin de l’image chiante et arty qu’on voudrait lui prêter, Bon Iver est avant tout un son qui se vit en live, qui grandit et qui gronde, pour fatalement nous emporter. De 33 “God” à Creature Fear, le groupe joue juste, joue bien, mais ne rechigne jamais à déborder pour offrir de vrais moments de puissance et d’émotion. Bien entendu, c’est avec Blood Bank et l’immense Woods, à la mise en scène très christique, que Vernon nous achève et finit par nous faire chialer. On avait attendu 6 ans pour revoir Bon Iver en live, on ne refera pas la même erreur deux fois.

Pêle-mêle, du groove et du cool

On vous a parlé de certains artistes de manière spécifique, mais le Pitchfork, c’est un festival rempli d’artistes qui méritent d’être mis en lumière. Alors on voudrait vous  parler des autres aussi, ceux qu’on a beaucoup aimés pour diverses raisons et qui méritent un petit salut de notre part.

Au rayon des confirmations, le génial Mac DeMarco s’est bien sûr illustré. Si son public grandit d’années en années, le canadien garde cette attitude cool et décontractée qui fait tout son charme. Un sourire, une petite pause, de l’humour et surtout des chansons qui représentent à elles seules tout ce que le chill a de plus beau. On ne reste jamais indifférent au refrain de Salad Days ni à Ode to Viceroy, notre chanson préférée. Son virage crooner, avec tout ce qu’il a de décalé et d’hilarant, emporte aussi notre adhésion tant ce virage plus chanté et “sérieux” semble assumé. Bref, Mac DeMarco n’est pas trop cool pour nous, il est trop cool avec nous.

Il y aura aussi eu les autres cousins du Canada, Chromeo. Le duo plus funky de la planète aura réussi le pari de faire bouger un petit peu le public du Pitchfork parfois trop lymphatique pour se lâcher complètement face à ce genre de performance. Chromeo aura plongé avec bonheur dans ses cinq albums et ainsi apporté une bonne dose de groove au festival, notamment avec des hits tels que Fancy Footwork, Night By Night ou la plus récente Juice. En interview, ils nous ont annoncé qu’ils reviendraient bientôt avec un véritable groupe pour les accompagner et on a franchement hâte de voir ça.

Enfin comment ne pas parler de l’un de nos chouchous, Lewis OfMan ? Il y a chez le jeune homme une manière de ne rien calculer, de se laisser porter par le moment et par sa musique qui ne peuvent que nous toucher. Il faut dire qu’avec des morceaux instrumentaux aussi efficaces que Flash ou Yes, nos pieds ne peuvent que danser, possédés par un rythme qui nous happe. Mais c’est surtout dans ces moments chantés, entre classe et naïveté, que le Parisien nous touche définitivement. Seul sur Je Pense à Toi ou accompagné par Milena Leblanc sur Plein De Bisous ou Un Amour au Super U, le garçon déroule une musique solaire et feel good qui n’a qu’une ambition : nous faire passer un bon moment. Mission clairement accomplie.

 

Crédit photo : © Pitchfork Music Festival

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