À l’évocation de leur nom, c’est une myriade de souvenirs émus et d’émois adolescents qui reviennent immédiatement en tête avec une saveur forcément particulière. Pourtant, les garçons de Kyo ont su traverser les époques et sont plus que jamais ancrés dans leur temps à l’heure de la sortie de leur sixième album studio, La part des lions. On a rencontré Ben et Flo pour évoquer avec eux ce retour en grâce, l’évolution de leur musique et la manière dont ils la portent désormais sur scène.
© Alice Sevilla
La Vague Parallèle : Hello les gars, comment allez-vous ?
Flo : Ça va bien !
Ben : Écoute… Je peux me plaindre ?
F : Oui, vas-y, c’est ton moment ! (rires)
B : C’est pour que les gens comprennent pourquoi j’ai une posture bizarre : j’ai une double fracture du coude et je commence tout juste la rééducation, c’est pour ça que je suis comme ça. Donc ça va bien, mais ça pourrait aller mieux (rires) !
LVP : On vous retrouve la veille de la sortie de votre nouvel album, La part des lions. Comment est-ce que vous appréhendez cette sortie ? Est-ce qu’il y a moins de pression quand il s’agit d’un sixième album ou est-ce qu’il y a tout de même une part de doute qui subsiste ?
B : Cette part d’appréhension, elle est toujours là.
F : Oui, c’est toujours excitant et flippant à la fois !
B : Après, là, on fait tellement de promo que ça nous évite de gamberger. C’est plutôt quand tu ne fais rien que tu peux commencer rapidement à trop réfléchir. L’album sort demain donc là, de toute façon, on n’a plus d’impact dessus. Après, ce qui est important pour nous, c’est surtout de ne pas avoir de regrets. On a mis beaucoup de temps à faire ce disque donc on a eu le temps de le peaufiner, de le travailler, d’aller au bout du truc. Il y a des morceaux qu’on a refaits 150 fois… Quoi qu’il se passe, on n’aura pas de regrets.
F : On espère toujours toucher le plus de gens possible, mais là, on est assez fier. Artistiquement, on est serein.
LVP : Cet album arrive 4 ans après le précédent, Dans la peau. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous pendant ces 4 ans ? Est-ce que vous pouvez nous parler de la conception de cet album ?
F : D’abord, il s’est passé plus d’un an de tournée. Ensuite, on s’est mis à écrire des titres et c’est vrai qu’on est assez long à le faire. On prend beaucoup de temps à faire des maquettes assez poussées et quand on arrive en studio, la direction des titres est faite à 80%. On peut évidemment remettre des choses en question par la suite, mais on aime bien savoir où on va à l’avance.
Ensuite, il y a le temps nécessaire à l’enregistrement, à la réalisation des clips, à la pochette…
B : C’est particulièrement vrai concernant cet album où on a tourné les clips avant la sortie. On voulait vraiment être prêt. Sur l’album précédent, on était toujours à la bourre : on devait tourner les clips alors qu’on n’avait pas encore l’idée… Ça s’est ressenti d’ailleurs, les clips étaient moins percutants. Cette fois, on a pris le temps de tout préparer comme on le voulait, on a tourné quatre clips sous la forme d’une minisérie. Pour une fois, on est bien préparé !
F : Je me demande si le confinement ne nous a pas donné les 6 mois qui nous auraient manqué à un moment ou à un autre. Ça nous a permis de ne pas être à la bourre en permanence (rires) !
B : Oui, pour une fois, on est bien préparé !
LVP : La particularité de cet album, c’est que vous avez commencé à l’écrire pendant votre tournée. Est-ce que ça a changé quelque chose dans l’énergie qu’il porte ? Est-ce que c’est un album que vous avez davantage réfléchi par rapport à la manière dont vous alliez le jouer ? Et est-ce que les concerts que vous avez commencés à jouer avec Jocelyn ont eu une influence là-dessus ?
B : Tu as tout dit ! C’est tout à fait ça : on a commencé à écrire à la fin de la tournée précédente et il y a des titres comme Mon époque, Margaux, Omar, Marlow ou Enfant de la patrie qui portent en eux cette énergie live. C’est vrai que l’arrivée de Jocelyn dans le groupe a aussi influencé le son de notre musique. Il avait à coeur qu’on puisse visualiser le groupe en écoutant l’album et je crois qu’on a bien réussi à le faire. Que ce soit dans les morceaux énergiques ou dans les morceaux les plus doux, ça reste simple et ça va droit à l’essentiel, il n’y a pas dix mille couches d’arrangements. Tu retrouves vraiment l’énergie du groupe. Le simple fait d’être un groupe en France c’est déjà une identité et en singularité en soi, donc on s’est dit qu’on allait l’assumer à fond. L’incarner, même.
F : On voulait épurer notre musique au maximum, avoir quelque chose de très organique, que tu puisses presque visualiser ce que tu es en train d’écouter au moment où tu l’écoutes. Je pense que ça vient aussi d’une volonté de changer un peu de ce qu’on avait fait précédemment, c’est quelque chose qui nous revient de manière cyclique. D’ailleurs, les fans trouvent que cet album ressemble davantage à 300 lésions. Le son de Jocelyn s’entend aussi, en tant que batteur, et il a aussi pas mal d’idées d’arrangements mélodiques. Son apport n’est pas que dans la rythmique, c’est ce qui a joué aussi…
B : En même temps, il est payé aussi pour ça, hein ! Il ne va pas seulement taper sur des trucs (rires) !
LVP : L’album file la trajectoire de trois personnages, Margaux, Omar et Marlow, qui sont à la fois très contemporains dans leur écriture et assez intemporels puisque tout le monde peut se reconnaître en eux. Qu’est-ce qui vous a inspiré ces personnages et qu’est-ce que vous avez voulu mettre en eux ?
B : Le point de départ de la création de ces personnages, c’est leur âge. Ils ont 20 ou 22 ans, c’est vraiment le moment où tu sors de l’adolescence. Tu commences ta vie, tu te poses des milliards de questions, tu as des ambitions mais tu es livré à toi-même… C’est une période de la vie qui peut être une source d’inspiration inépuisable car elle est extrêmement riche.
F : C’est aussi le moment où tu as envie de dévorer le monde, de tout défoncer. “La part des lions”, ça fait référence à ça également.
B : Ces personnages, ils sont attachants parce qu’ils vivent dans une forme de précarité mais qu’ils se nourrissent de leur relation à tous les trois, avec les ambiguïtés qu’elle comporte. On a mis tout ce qui nous touchait dans ces personnages : cette amitié si forte qu’elle peut devenir de l’amour, le fait de se serrer les coudes quand on n’a plus rien d’autre que des amis. Ils sont touchants, en fait. On vient de faire une écoute avec des fans dans un cinéma, on a diffusé les quatre clips comme un moyen-métrage, et c’était cool de voir à quel point le public était rentré dans l’histoire et s’était attaché aux personnages.
Les comédiens sont venus sur scène avec nous et le réalisateur, on avait peur que le public ne leur pose pas de questions car on était là, mais c’était carrément le contraire ! Les gens voulaient savoir comment les acteurs avaient vécu le truc, comment ils avaient créé cette alchimie sans se connaître… C’est que ça a touché et intrigué !
LVP : De la même manière, dans l’écriture, vous abordez beaucoup le thème de la jeunesse, de ses préoccupations, de ses peurs, en alternant entre un point de vue à la première personne et un point de vue extérieur, un peu à la manière de grands frères. Quelles différences vous voyez pour les jeunes entre l’époque où vous avez grandi et celle-ci ?
F : Oui, forcément. Mais malgré tout, on n’est plus jeune aujourd’hui donc c’est difficile de se prononcer (rires) !
B : Ces personnages-là, on les a écrits de la manière dont on a vécu notre propre adolescence et le début de nos vies d’adultes.
F : Cela dit, c’est vrai que ces personnages ont un côté universel, on pourrait les placer facilement à une autre époque parce qu’ils ne rentrent pas dans certains détails qui datent trop le truc. Ils sont suspendus dans le temps, d’une certaine manière.
La grosse différence entre ces époques, j’imagine qu’elle réside dans la manière de communiquer avec Internet, les réseaux sociaux… La rapidité dans leur façon de consommer. Pour la musique, c’est intéressant quand même : quand on était jeune, le format du CD avec 15 morceaux c’était aussi un truc nouveau. Je trouve que le fait d’aller plus vite dans la production, ça ressemble un peu à la manière de fonctionner des années 60 : les Beatles, ils sortaient des albums tous les 6 mois par exemple. C’est le CD qui a changé ça, parce que tu pouvais mettre plus de musique sur le support donc tu pouvais faire des albums plus longs… Aujourd’hui, on revient à un truc où tu peux faire un morceau, le poster le lendemain, avoir des retours immédiats. Tu peux faire ça toute l’année si tu en as envie !
B : Oui, enfin, nous, ce n’est pas ce qu’on fait : on prend toujours 4 ans pour faire un album (rires) ! Génération CD !
LVP : Dans vos textes, les thèmes que vous abordez transparaissent de manière un peu plus frontale, avec un angle plus affirmé, comme si cet album était davantage ancré dans le réel. Est-ce qu’il y a des sujets qui vous ont donné envie d’aller plus loin dans vos textes ou est-ce que c’est quelque chose qui est venu naturellement au fil des années ?
B : Je me suis vraiment mis un coup de pied au cul, en fait. Il y a des thèmes que je veux aborder depuis longtemps mais je ne le faisais pas. Ce n’était pas de la fainéantise mais plutôt de la peur, de la peur de ne pas être juste. Il fallait que je trouve le bon angle pour parler des choses qui me touchaient et toujours essayer de sonner juste, d’être pertinent. J’ai vraiment la phobie d’enfoncer des portes ouvertes ou de donner des leçons. Quand je le vois de la part d’autres artistes, ça me met mal à l’aise et je n’ai pas envie d’être comme ça. Du coup, j’ai mis beaucoup de temps à parler de ces thèmes qui pourtant sont importants pour moi. Ça m’a pris un moment pour trouver une façon de m’exprimer avec laquelle j’étais vraiment à l’aise. Sur cet album, pour la première fois, j’y suis arrivé. Je suis très content parce que c’est vraiment la voix que je veux porter à l’avenir.
F : Comme tu le faisais remarquer tout à l’heure, il y a sur cet album un jeu entre la première personne pour certains thèmes et d’autres morceaux où on incarne un peu plus le rôle du grand frère. Avec le temps, peut-être qu’on se sent plus légitime à dire certaines choses aussi. Quand je serai jeune ou Mon époque, on n’aurait pas pu l’écrire à 18 ans. Il y a plusieurs outils qui peuvent être utilisés pour aborder certains thèmes de manière plus frontale, effectivement.
© Alice Sevilla
LVP : À l’arrivée, on a le sentiment que cet album vous a permis de prendre du recul pour vous recentrer sur l’essentiel de ce qui compose votre musique. On a aussi l’impression que vous vous êtes autorisé plus de liberté, avec deux duos sur l’album (un entre Ben et Flo sur Quand je serai jeune, un avec Alice on the roof sur Comète), ce qui est assez rare puisque vous en aviez fait très peu jusque-là. Est-ce que vous pouvez revenir pour nous sur ces collaborations ?
F : C’est vrai ! Il y a eu Le Chemin, notre premier succès qui était un duo, et bizarrement il n’y en a plus trop eu après.
B : Le duo entre Flo et moi sur Quand je serai jeune… C’est le morceau sur lequel on a le plus galéré de toute notre carrière !
F : D’ailleurs, il s’est appelé “le morceau sans fin” pendant longtemps (rires) !
B : Il a eu je ne sais pas combien de versions différentes, on n’arrivait pas à capter l’émotion qu’on voulait y mettre… Un des moyens qu’on a trouvés pour arriver à nos fins, c’était de faire un duo parce que ça apportait vraiment une richesse supplémentaire au titre. Le thème étant universel, ça ne posait pas de problème qu’il y ait deux voix.
F : Oui, ça permettait de créer une sorte de dialogue. Ben avait fait 8 ou 10 couplets à l’origine, et il nous a dit “faites quelque chose avec ça” (rires) ! On a essayé de restructurer ce morceau, j’en ai fait une version acoustique pour voir ce que ça pouvait donner et j’ai proposé de chanter la moitié. Ça a commencé à faire avancer le truc et à donner l’impression d’une conversation, plus vivante et plus touchante. On a presque l’impression qu’il y a une tierce personne qui pourrait rentrer dans la danse !
B : Oui, tu avais aussi cette idée que les fans puissent faire leur couplet à eux. C’était une belle idée !
F : Ensuite, on a fini par trouver un refrain, après des dizaines d’essais… On a pleuré quand on l’a terminé (rires) ! En fait, il fallait absolument qu’on ait l’impression que ce morceau avait toujours été simple, spontané, alors qu’on l’a trituré dans tous les sens. C’était ça, la principale difficulté.
B : Tu vois bien que le traumatisme est encore frais pour nous, ça fait 20 minutes qu’on en parle (rires) !
Pour le morceau avec Alice on the roof, c’était plus simple. Le morceau était déjà écrit et on cherchait une voix féminine pour l’incarner parce que c’est comme ça qu’on l’avait imaginé. C’est Jocelyn et Flo qui ont proposé Alice on the roof et c’est vrai qu’elle a un super grain et un univers assez décalé qui est très intéressant. Quand elle a commencé à chanter, on s’est regardé comme des suricates et on s’est dit “waouh, c’est trop bien” ! On était très content parce que c’était exactement ce qu’on avait en tête et en général, il y a un gouffre entre ce qu’on s’imagine et ce qui se produit en vrai.
F : C’est difficile de trouver la bonne personne pour faire un duo parce qu’il faut trouver quelqu’un qui plaise aux quatre membres du groupe. Ce que j’aimais beaucoup chez elle, c’était sa voix. Je la trouvais aussi intéressante en anglais qu’en français, ce qui est assez rare, car on peut vite perdre l’intérêt de son timbre quand on chante en français. Elle, elle gardait sa brillance, son énergie. Elle y a mis beaucoup d’émotions et en plus de ça, elle est extrêmement marrante !
LVP : Sur les albums précédents, il y avait souvent un ou deux morceaux chantés par Flo. Comment est-ce que vous vous répartissiez ces morceaux ? Flo, tu chantais toujours les morceaux que tu avais composés ou écrits ?
F : Oui, souvent. Il est arrivé au début que Ben chante certains titres que j’avais écrits. Comment te dire, Sur nos lèvres, c’étaient des morceaux que j’avais écrits. Ensuite, on s’est dit que ça pouvait être intéressant d’avoir quelque chose de différent en termes d’écriture, dans la manière de chanter les mots et c’est devenu une petite habitude. On s’est dit que ça pouvait être cool d’avoir deux ou trois chansons différentes. Au bout d’un moment, j’ai commencé à chanter les textes que j’écrivais.
B : C’est devenu comme une petite tradition, les fans savaient qu’il y aurait un ou deux morceaux de Flo sur chaque album… Et d’ailleurs, sur celui-là, il n’y en a pas. Je t’ai bien niqué sur ce coup-là : je t’ai dit ok pour le feat mais tu n’auras pas ton morceau ! Je t’ai eu en douceur (rires) !
F : J’avoue, d’ailleurs les fans sont déçus (rires) !
B : Bon, tu pourras en faire trois sur le prochain album alors !
LVP : Ce nouvel album aborde des thèmes très contemporains tout en multipliant les références aux années 90, comme un trait d’union entre le passé et le présent. Comment est-ce que vous avez construit cet équilibre ? Quels sont les ingrédients des années 90 que vous avez eu envie d’incorporer, de conserver dans votre musique ?
B : C’est nos racines, tout simplement. On s’est rencontré, réuni autour de ce son-là, et c’est ce qui forge ton identité quand tu es ado. Tu te définis par les artistes que tu écoutes et c’est comme ça que tu te fais des amis. Ce son fait vraiment partie de nous. À l’origine, Mon Époque n’était pas du tout comme ça, on avait fait une version qu’on appelait “version lounge”, qui était hyper lente. On s’est dit qu’on pouvait faire mieux avec des grosses guitares et plus d’énergie.
Margaux, Omar, Marlow, c’est aussi un mélange entre Muse et Deftones, qui sont des groupes qu’on adore, avec ce côté rock orchestré. Dans Enfant de la patrie, il y a un petit côté Nine Inch Nails, qui est un groupe qui influence beaucoup Jocelyn. On y trouve un peu de Smashing Pumpkins, aussi. C’est que des trucs qu’on kiffait en étant ado !
F : Ce que tu disais tout à l’heure sur la façon d’être plus percutant dans les textes, c’est aussi vrai sur la musique. Je me suis dit que ce qu’on savait le mieux faire, c’est ça. On s’amuse avec les synthés, on adore s’imprégner de l’air du temps, mais c’est moins notre culture. Finalement, moi, quand je veux jouer Mon Époque, je pense que je suis plus pertinent quand j’y mets des grosses guitares parce que c’est plus dans ma nature et dans ma culture.
LVP : En 2022, vous vous lancerez dans une grande tournée qui va vous porter en France mais aussi en Belgique, en Suisse et au Luxembourg. Comment est-ce que vous allez faire vivre cet album sur scène ?
© Alice Sevilla
B : Comme on sait qu’il y a beaucoup de gens qui nous ont déjà vus en concert et qui vont revenir nous voir, on a à coeur de proposer quelque chose de vraiment différent à chaque fois. Là, je crois qu’on commence à trouver des pistes assez cool. Je crois qu’on va s’orienter vers quelque chose d’assez rock, d’assez brut. Là où d’autres artistes font des choses assez sophistiquées, on va essayer de revenir un peu aux basiques, comme ce qui est dans l’esprit de l’album.
LVP : Pour finir, est-ce que vous pouvez partager avec nous un coup de coeur ou une découverte musicale récente ?
B : Cet été, j’ai lu le bouquin d’Olivia Ruiz, La Commode aux tiroirs de couleur. Je l’ai trouvé vraiment bien, très bien écrit.
F : Il y a un truc que j’attends avec impatience, c’est le nouveau projet de Thom Yorke, The Smile. Il y a quelques titres qui sont sortis dans une vidéo live et ça m’a donné envie de découvrir le reste. Il y a un presque un côté punk là-dedans, ça m’a bien plu. J’ai hâte de voir ce que ça peut donner !
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.