254Live : laisser la musique nous dépasser
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Auteur·ice : Diego Mathy
08/05/2023

254Live : laisser la musique nous dépasser

On a quitté les bruits de la ville, ceux qu’on entend mais qu’on écoute rarement, pour rejoindre les profondeurs de la musique électro. Dans le fin fond des genres musicaux ou au bout d’un long couloir blanc, la musique ambient attend timidement d’être (re)découverte. Prête à glisser dans les oreilles, parcourir les corps et les âmes pour devenir sensation et émotion.

Pour la deuxième fois, le 254 Forest, collectif d’artistes et espace de création et d’exposition, organise son Non-Dancing Music Festival. Deux jours entièrement consacrés à la musique ambient-experimental, un genre trop peu mis en avant et encore loin d’avoir ses propres lieux de représentation. En effet, l’offre d’événements centrés uniquement sur ce style de musique est assez pauvre. Alors que de nombreux artistes, avides d’expérimentation et de recherche sonore, proposent ces moments de calme et d’écoute plus approfondie. Ici on nous invite à tendre l’oreille, comme celle de la vidéo projetée entre chaque représentation, et à s’arrêter un peu. S’arrêter le temps d’une succession de sons, de quelques mélodies, de bruits connus et inconnus, naturels ou électroniques.

Alors, dans cet archipel de tapis super confo, personne ne danse. On s’assied, on se couche, on se roule, on se tourne et on se retourne mais, surtout, on écoute et on observe. Car les regards sont aussi invités, encouragés à se perdre dans les visuels hypnotisants de l’artiste Gretar Gunnlaugsson, membre du 254. Nos yeux s’habituent à l’obscurité de la salle, juste après la lumière éclatante du jour et celle du couloir blanc qui nous y amène. Il fait beau ce samedi-là (deuxième jour du festival), mais la peur de regretter le soleil s’envole vite, en même temps que les premières notes du set d’Hypna et Cabasa. Les deux artistes proposent une musique futuriste et dreamy. On y trouve des sons électro complexes, parfois robotiques, sur des fonds mélodieux et flottants. Oscillant entre légèreté et gravité, le duo nous tire d’un état à un autre, sans qu’on aie le temps de s’en rendre compte. On se surprend aussi à reconnaître ou deviner, au milieu de cet univers sonore fictif, des bruits de vagues, de chants d’oiseau et même d’accordéon.

I Photos : Dylan Tihon

Ensuite, ce sont les paroles de Laryssa Kim qui viennent nous toucher en plein cœur, chantées en italien, anglais et français. Avec une certaine innocence, comme celle d’une histoire d’enfance qu’elle nous partage, elle parvient à nous transmettre une nostalgie déconcertante. L’artiste compose ses musiques en live, en loopant ses vocalises, entre autres. Après les douceurs de la chanteuse et compositrice, on tombe dans quelque chose de beaucoup plus abstrait avec la prestation de Special Guest DJ. De la pure drone ambient : une atmosphère musicale créée par une superposition de notes maintenues plus ou moins longtemps. Son caractère hyper méditatif nous donne envie de fermer les yeux, malgré la beauté des visuels projetés. Comme un murmure continu, une conversation entre ondes sonores et interférences électroniques, le set nous captive complètement.

Pour finir, après une expérience sensationnelle avec la musique expérimentale, brut et trash de Mimi, c’est Maxime Denuc, coup de cœur perso, qui clôture le festival. C’est son dernier album, Nachthorn, sorti en octobre 2022, que l’artiste bruxellois nous offre en live. Composé avec un orgue contrôlable à partir d’un ordinateur, transformé en synthétiseur par une compagnie allemande. Et comme si ce n’était pas assez stylé, il a été enregistré dans une église à Düsseldorf. Cet album est carrément unique et admirable par sa recherche technique et musicale. Dans une interview pour le média Gonzaï, Maxime Denuc évoque l’idée de « trouver de nouvelles formes de sacré » ou encore de « faire de la musique électronique avec les codes de la musique classique ». On oscille alors entre des morceaux rythmés, répétitifs et entraînants avec Agoraphobia ou Function Music, et d’autres plus mélancoliques et doux, comme Edo. L’émotion est à son max, les frissons sont de sortie et le cœur s’emballe. On sent une sorte de tension dans le public, tout le monde a l’air super accro et comme hypnotisé par la musique. En fait on est en transe totale devant ce spectacle, conclusion d’un festival ponctué de moments d’écoute intenses et profonds. Les sons ont pris le dessus, nous ont dépassé·e et replongé·e en nous. On a enfin pris le temps d’écouter, vraiment écouter.

I Photo : Dylan Tihon

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