Mildlife, ou comment aimer un groupe à tel point qu’il nous est impossible de finir cette phrase
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
20/05/2022

Mildlife, ou comment aimer un groupe à tel point qu’il nous est impossible de finir cette phrase

Si vous nous disiez ‘psyché jazz fusion australien’, on vous répondrait assurément : Mildlife. On vous l’accorde, il y a peu de chance que ça arrive, et c’est bien pour cela que La Vague Parallèle a décidé de prendre les devants et de vous présenter cette pépite que nous n’avons aucune intention de garder pour nous. Et parce qu’un album live c’est bien, mais le live en vrai, c’est mieux. On vous annonce qu’on a eu la chance de voir le groupe issu de Melbourne dans les murs de l’AB Club. Une soirée mémorable et peut-être (surement) le meilleur concert de l’année, à ce jour.  

Le monde regorge de talents nu-jazz et jazz fusion qui florissent et électrisent notre scène de jour en jour – la Belgique la première. Pourtant, le jazz et le fusion, c’est une longue histoire d’amour, parfois un tantinet arrogante. L’idée ici n’est pas de faire du name dropping (ça nous démange, on ne vous le cache pas), mais d’expliquer comment Mildlife est profondément ancré dans cette essence du jazz et cette mixité sonore qui s’en dégage. Le groupe gagnait d’ailleurs un ARIA Award en 2021 dans la catégorie “Best Independent Jazz Album or EP” avec Automatic.

En réalité, ce jazz fusion, il s’écoute en niche par des gens pompeux intéressés par ce genre musical et en quête de découverte, mais peine à s’exporter au grand public. Mais est-ce vraiment une injure ? Le groupe le disait lui-même dans une interview pour Mixdown : “We’re not really trying to capture the attention of someone who’s not interested“, tout en précisant qu’ils ne voient pas leur musique comme jazz, mais que beaucoup de mécanismes en viennent, comme la façon de composer à partir de l’improvisation. Si vous cherchez de la musique accessible, ce n’est pas ici que vous la trouverez, mais vous y trouverez plein d’autres choses comme du funk, un peu de disco, du psyché, etc.

Revenons-en au live incroyable de ces quatre aventuriers de la musique, avec “Live From South Channel Island“, tourné sur une île avec le bruit des vagues en guise de 68ème instrument. Du génie, un peu à la Toro y Moi – Live from Trona, mais avec une jolie histoire qui nous apparait en début de vidéo :

On March 10th, 2021, Mildlife travelled by boat to South Channel Island to perform a live concert. This was filmed and recorded resulting in the motion picture Mildlife Live at South Channel Island and the 2 disc set you see here. The artificial Island hosts a long abandoned 19th century fort, a labyrinth of underground concrete tunnels and an important breeding ground for the white-faced storm-petrel. Along with Mildlife, other visitors to the island include Abalone poachers, fairy penguins, black-faced cormorants and fur seals.

Before the island existed, the Boonwurrung people of the Greater Kulin Nation have lived on the land and waterways this performance was held on. Mildlife pays respect to their elders past, present and emerging and recognise that sovereignty has never been ceded.

La grande promesse de ce live, c’est celle de la virtuosité des musiciens : Tomas Shanahan (basse), Kevin McDowell (guitare), Jim Rindfleish (batterie), Adam Halliwell (claviers), Craig Shanahan comme invité percussions et le bruit de l’eau derrière eux. Semblable à l’ambiance servie à l’AB, l’interaction avec l’audience est inutile. Ledit public est connecté à chaque seconde et ce dès l’entrée en matière qu’est Rare Air, qui nous approvisionne en lyrics pour toute la soirée. Que la transe commence. On remarque directement les effets de la guitare qui ont tendance à nous faire douter de l’instrument qui se joue. Il arrive même que Kevin parle dans son micro, et que notre esprit s’y prenne à penser que c’est sa guitare qui joue. Les instruments se confondent et ça nous évite de nous tordre le cou pour regarder toutes les personnes sur scène, AMEN.

Il ne nous faudra pas deux chansons pour remarquer un élément en particulier. We need to talk about ces lignes de basse. Sur I’m Blau, on ne peut s’empêcher de balancer la tête, c’est frénétique. Inutile de vous préciser que cette chanson dure presque 10 minutes et c’est cet instrument qui en tient le pouvoir groovant, alors qu’il ne s’arme d’aucune complexité et d’aucune démonstration inutile. Tom est d’ailleurs le seul qui n’a pas étudié la musique à proprement parler, et c’est d’autant plus impressionnant. La guitare s’y fait discrète mais on a droit à une vocalise bourrée d’effet du musicien. L’utilisation d’un piano souffleur nous titille, la flute nous extasie ensuite, et le synthé nous déclare carrément brain dead. Ils sont passés maîtres dans l’art de faire durer une chanson en live sans jamais perdre le public. Le secret : la progression et la répétition.

Vient alors notre chanson fétiche, qui nous a introduit au groupe : The Magnificent Moon. Assurément la musique qui met le plus à l’honneur chacun des instruments. Une fois de plus, la progression est carrée, à commencer par le synthé d’Adam qui porte toute la charge spatiale présente à cet instant (t). Entre analogique et numérique, il nous garde intrigué·es jusqu’à l’arrivée des paroles – toutes aussi mystiques. Un sans faute. On terminera avec Automatic, issue du dernier album, qui nous donne des vibes de sensualité robotisée (on ne sait pas non plus ce que ça veut dire mais vous verrez). Cette dernière chanson s’offre un petit 15 minutes de set, qu’elle mérite amplement.

On pourrait vous parler pendant des heures de l’ingéniosité du groupe et de sa capacité à faire un live de 1h30 avec 9 chansons de spacey jazz funk. Mais le but de cet article est à l’introduction d’un groove plus accessible qu’il n’y parait, arborant une complexité si réfléchie qu’elle en devient évidente. On y retrouve la lenteur qui nous permet de nous languir de chaque note mais sans jamais arriver à s’ennuyer. On a vécu la meilleure introspection de notre vie, avec des ressorts sur les pieds et une impossibilité de s’arrêter de sourire. Ce groupe, on l’aime, un peu trop même. Quant à l’album live, c’est tout simplement une séduction sonique aux tracks progressifs à laquelle on succombe avec plaisir.


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