Aloïse Sauvage jusqu’à perdre haleine
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Auteur·ice : Julia Vanderborght
27/02/2020

Aloïse Sauvage jusqu’à perdre haleine

Dans 24 heures, Aloïse Sauvage dévoilera les onze titres qu’elle a couchés sur son premier album Dévorantes. Un disque coloré qu’on pourrait laisser tourner en boucle pour pécho du carburant par les oreilles, car Aloïse Sauvage est une boule d’énergie incandescente et inspirante. Elle fonce sans jamais s’arrêter. Et qu’importe le risque de s’épuiser. L’artiste qui porte le cycliste mieux que personne présente ici un projet intime, authentique et entier. Alors courez vite, il est déjà presque demain.

© Photo : Téta Blémont

LVP : Bonjour Aloïse ! À la veille de la sortie de ton premier album, comment te sens-tu ?

Aloïse Sauvage : Je me sens très bien. Je suis fière de mon album et j’ai hâte de le partager. J’ai l’impression qu’il me ressemble et que je suis vraiment en adéquation totale avec ce que je dis. Je sens que j’ai beaucoup évolué depuis Jimy, peut-être même que j’ai grandi. Cette fois, je suis à fond dans le lâcher prise et j’assume totalement ce que je dis sur toute la longueur de l’album.

LVP : En quoi ce projet te ressemble-t-il davantage que le premier ?

Aloïse : Avec cet album, je joue enfin la carte de la présentation officielle. Sur l’EP, il n’y avait que cinq titres donc c’était trop court pour que ce soit réellement représentatif de ce que je suis. Sur cet album, je mélange beaucoup plus de styles et j’aborde différents thèmes. J’avais envie de parler de ces choses qui se passent dans ma vie, de ce qu’elle est maintenant. C’est un projet plus complet, plus assumé. Plus tard, tout ça aura sans doute changé mais j’ai envie de pouvoir me dire en l’écoutant “voilà qui j’étais à 25 ans”. Quand j’écoute ces onze titres, je trouve qu’ils incarnent bien ce que je veux dire à cet “instant T” de ma vie. Aujourd’hui, voilà qui je suis, voilà ce que je veux dire. 

LVP : Comment as-tu ressenti cette évolution ?

Aloïse : Je crois que j’avais besoin de cet album. J’ai passé deux années très denses, émotionnellement et professionnellement. Tous ces moments où tu te demandes quand tu vas pouvoir sortir du noir. Là, je suis contente parce que j’ai l’impression qu’en sortant ce disque, je suis complètement dans cette phase de renaissance, tant pis pour les clichés. Et c’est forcément grâce à cet exercice d’écriture. J’ai tellement tout mis sur cet album que je peux enfin me dire “ok, on passe à la suite maintenant.” 

LVP : Entre l’enregistrement, la tournée et les tournages pour tes différents films, comment as-tu trouvé le temps d’écrire ? Tout ça n’a pas été trop rapide ?

Aloïse : Si, un peu. Mais j’aime bien les timings très rapides parce qu’ils t’obligent à lâcher le plus sincère. Si j’avais mis des années à écrire, je me serais posée trop de questions. J’aurais sans doute effacé beaucoup de choses. Je pense qu’aller vite évite de trop réfléchir et te pousse à te donner à fond. Quand tu as du temps devant toi, ça te pousse à penser plus, parfois trop. Ici, j’assume ce disque. C’est mon premier album et il y en aura plein d’autres mais, aujourd’hui, je ressentais l’urgence de balancer tout ça, de cette manière-là. Et j’en suis très fière. Selon moi, la vitesse n’empêche rien à la qualité. C’est une question d’émotion avant tout. Puis l’urgence, ça définit aussi mon parcours musical, d’une certaine manière. Tout a été si vite. Peut-être qu’un jour, j’aurai besoin de plus de temps. Mais pas maintenant. Pour l’instant, j’ai besoin d’avancer avec cette urgence. J’ai besoin de cracher tout ça comme ça.

LVP : Sur Dévorantes, on retrouve deux chansons qu’on connait déjà : Jimy et À l’horizontale. Pourquoi as-tu choisi ces deux-là ? 

Aloïse : Je ne voulais pas mettre les cinq parce que j’avais envie de nouveauté et que je préfère les albums courts. Et parmi celles-ci, ce choix m’a paru assez évident. Je pense que le titre Présentement caractérise vraiment le mieux l’EP. Il a eu sa vie avec lui. Par contre, je suis persuadée que À l’horizontale et Jimy ont encore des choses à vivre. Et chacune différemment d’ailleurs car je sens qu’elles ne suivent pas du tout le même parcours l’une et l’autre. J’ai encore envie d’exploiter la chanson Jimy car elle me touche toujours autant et que je veux l’emmener plus loin encore. Puis j’ai du mal à lâcher À l’horizontale parce que je sais qu’elle parle à énormément de gens. Sans doute parce qu’elle est un peu plus légère mais surtout parce qu’elle est plurielle, peut-être encore plus que les autres. J’avais envie qu’elle se retrouve sur l’album parce que la thématique me parle encore.

LVP : Dans ton écriture, on trouve beaucoup de morceaux très imagés, assez métaphoriques et d’autres qui sont beaucoup plus explicites, comme Jimy et Omowi. Qu’est ce qui influence ta manière d’écrire ?

Aloïse : Je pense que mon écriture était un peu plus imagée avant parce que c’était plus facile de m’exprimer comme ça. Sur cet album, j’ai essayé d’être plus frontale, plus directe. En fait, la manière d’écrire vient avec le sujet dont je parle. Quand j’écris une chanson, je ne sais pas toujours l’intention que je vais y mettre car celle-ci vient avec le message et la manière dont je veux l’exprimer. Mon style évolue en fonction de l’histoire que je vais raconter. Et je trouve que c’est souvent plus intéressant d’aller à l’essentiel que de raconter de longues histoires. Parfois, une seconde suffit pour exprimer un morceau de vie. Par exemple, le moment où la personne que tu aimes te claque la porte au visage. C’est tellement vrai, c’est tellement violent. C’est rapide mais c’est ça que je veux raconter. Tout dépend donc de ce que je veux dire et de la manière dont je vais être capable de l’écrire. Ici, j’avais envie de cibler les choses pour être plus percutante. 

LVP : Tu as l’impression d’être moins pudique qu’à l’époque ?

Aloïse : Carrément. Il y a beaucoup de chansons de l’album que j’aurais été incapable d’écrire pour l’EP. J’ai évolué, je le sais. Quand j’ai fait Jimy, je découvrais beaucoup de choses totalement nouvelles pour moi. J’avais du recul sur ce que je vivais mais pas encore assez pour écrire une chanson comme Omowi, par exemple. J’avais une certaine pudeur parce que c’était l’inconnu. Mais maintenant, j’assume totalement tout ce que je suis et les personnes que j’aime. J’ai l’impression que j’assume enfin de parler librement de tout ça.

LVP : Et au fond, qu’est-ce qu’un bon texte pour toi ?

Aloïse : Je ne sais pas vraiment. Je dirais un texte dans lequel tu es sincère et avec lequel tu peux être toi-même. Après, je pense que les choses peuvent être belles qu’elles soient dites de manière subtile ou de manière plus brute. Parfois, j’ai envie d’être plus poétique, plus dans l’image. A d’autres moments, j’ai envie de dire le mot pour le mot pour ce qu’il est, dans un langage quotidien. Dans un texte, j’aime la langue, j’aime les allitérations, j’aime que ce soit poétique et que ce soit beau en bouche. Je veux que mon texte parle aux gens, qu’il les touche directement. Donc même quand le langage est simple, j’ai envie qu’il soit mélodieux. 

LVP : Mélodieux mais sur un tempo bien rapide ! 

Aloïse : Alors là, clairement ! Je vis dans l’urgence parce que j’ai des choses urgentes à raconter. Ce qui me traverse émotionnellement, c’est intenable. Il faut que je le dise. J’ai besoin d’en parler, que ce soit d’une rupture, d’un deuil, d’une maladie, d’une histoire d’amour, ou de ma tristesse. Ca doit sortir, parce que c’est urgent, c’est vital. Finalement, toutes ces choses me procurent cette énergie créatrice qui fait naître des chansons.

LVP : Sur cet album, comme sur l’EP, on retrouve une très belle invitation à la danse. En mélangeant, avec la même intensité, le break, l’art du cirque et de la poésie, l’envisages-tu comme une manière de désobéir ? La danse peut-elle ainsi devenir un moyen d’action ?

Aloïse : Je ne sais pas si on peut parler de moyen d’action. Je préfère parler de moyen d’expression. La danse, c’est le corps qui s’exprime. Avec cette énergie qui le traverse et qu’il ne peut contenir. Quand je danse sur scène, je suis la version de moi dans ce que j’ai de plus entier. Je suis multiple comme tout le monde et la danse me permet d’exprimer ça. Toutes ces catégories m’épuisent parce qu’elles créent des limites qui interdisent d’oser faire des choses. Donc bien sûr, j’ai envie d’exploser ça. J’ai envie de dire à mon public et à mes proches : “Tu as cette vie terrestre entre les mains. N’aie pas peur, fonce, sois qui tu veux, aime qui tu veux, fais ce que tu veux. Fais le bien, avec vigueur, avec amour.” C’est un message qui me semble essentiel et que je veux porter toute ma vie. 

LVP : Donc danser pour se sentir libre ?

Aloïse : C’est surtout un moyen d’être connectée à ton corps et de te trouver. Personnellement, dans la vie, il n’y a pas un moment où je ne danse pas. D’ailleurs, je me suis rendue compte que durant les moments un peu douloureux que j’ai traversé, j’ai oublié mon corps. J’étais tellement dans la musique et dans le cérébral que je dansais moins, je prenais moins soin de moi. Quand tu écoutes ton corps, il a tellement de choses à te dire. Il sait tout avant toi. Si tu es amoureux·se ou que tu es stressé·e, ton corps le sait avant même que tu t’en sois rendu·e compte.  Mais dans notre société, on ne l’écoute pas assez. Donc, avec la danse, j’ai l’impression que je suis en connexion totale avec moi-même et c’est peut-être en ça que la danse peut libérer cette énergie presque militante. Parfois, quand je chante une phrase, mon corps chante déjà celle d’après. 

 

LVP : Sur cet album, tu poses aussi tes angoisses et tes doutes (cette notion de “non futur” dans Toute la vie, par exemple). Quelles sont les choses qui te frustrent ou t’empêchent d’avancer ?

Aloïse : Le plus grand obstacle dans la vie, c’est la peur des autres. Parce que la peur engendre la violence des mots et des gestes. Et ça devient difficile de s’aimer soi quand on nous renvoie toujours à nos complexes. Il faut faire preuve de beaucoup de force pour s’aimer quand on est discriminé·e. Le plus angoissant c’est que je ne sais pas comment on fait pour surmonter tout ça. C’est très paradoxal. Je prône la liberté et je pense être quelqu’un d’assez libre, de fougueux, mais à la fois, j’ai très peur. J’ai peur de me perdre donc j’analyse beaucoup. Puis j’analyse trop alors j’ai besoin de lâcher prise. Je suis tout le temps dans des extrêmes de ouf ! J’ai envie d’adrénaline, j’ai envie d’amour et en même temps j’ai aussi très peur de me planter, de rater, j’ai peur d’avoir des regrets. Je réalise que j’ai peur et c’est pas bien. Peut-être que c’est ça la clef finalement, que le secret c’est apprendre à être imparfait et surtout à l’accepter. Parce que c’est bien aussi.

LVP : La plupart des gens auraient tendance à s’arrêter pour prendre du recul. Mais toi, tu accélères ?

Aloïse : C’est vrai, je vais vite. Je fonce. J’ai envie de ne rien louper donc je donne beaucoup et je prends beaucoup. C’est une question de personnalité, j’ai peur de passer à côté des choses donc je sprinte. Alors, oui, ce serait peut-être bien de s’arrêter mais seulement si c’est pour mieux reprendre. En tout cas, c’est mon moteur dans la vie ! Ce n’est pas une parole sacrée mais c’est la méthode de survie que j’ai trouvé. C’est comme ça que je me sens vivante.

Comment des flics auraient-ils pu comprendre que des garçons puissent courir sans aller nulle part, juste pour être ensemble, parce qu’il n’y a rien à faire, ici, rien d’autre que courir jusqu’à devenir le vent, la nuit, et l’univers tout entier ? Que l’on puisse courir, pour éprouver ses muscles, sentir sa force, sa puissance, alors même que le jour on n’est rien, on n’a aucun avenir – que l’on puisse courir pour l’ivresse, la classe, le combat, et non pas pour s’enfuir ?” – Monica Sabolo

LVP : En ce moment, je lis Eden de Monica Sabolo. Dans ce livre comme dans ta musique, on y trouve une véritable soif de vitesse. Une envie, justement, de se débarrasser de toute notion de limite. Un besoin de courir jusqu’à l’épuisement. Alors, cours-tu seulement pour l’ivresse ou aussi pour t’enfuir ?

Aloïse : Je cours pour l’ivresse avant tout ! Peut-être qu’il m’arrive parfois de courir pour m’enfuir mais je réalise vite que ça ne sert à rien. Tu ne peux pas t’enfuir toute ta vie. En tout cas, personnellement, ce besoin de faire autant de choses à la fois, je n’ai jamais vu ça comme une manière de s’éparpiller ou comme une sorte de lubie. Je le vis comme une quête d’absolu. Depuis que j’ai sept ans, je veux tout faire, je veux tout voir, je veux tout manger. Je veux l’ivresse, je veux l’adrénaline, je veux l’amour, je veux tout. Quand tu goûtes un jour à des émotions si fortes, ça devient difficile de s’en passer. 

LVP : Mais ce n’est pas un peu dangereux de foncer comme ça ? 

Aloïse : Si, bien sûr. C’est dangereux parce que quand tu te livres comme ça, il arrive que tu t’oublies toi-même. Je n’ai pas encore trouvé la réponse à ce problème, j’essaie tous les jours de trouver l’équilibre mais ce n’est pas évident. D’un côté, tu te donnes tellement aux autres que tu finis par te perdre et à t’oublier dans ce rapport perpétuel à toi-même. Tu parles de toi toute la journée, tu te racontes dans tes chansons, c’est très spécial comme miroir. Puis d’un autre, c’est hyper vibrant. C’est un cadeau immense de pouvoir transmettre des émotions comme ça, de parvenir à figer des instants de vie, des choses qui restent et qui touchent les gens. Je trouve ça trop beau. C’est peut-être naïf, mais je m’en fous. Moi, c’est pour ça que je fais de l’art ! 

LVP : D’ailleurs, sur scène, cette vitesse on se la prend aussi en pleine figure. Comment construis-tu cette scénographie si brute, si sobre et pourtant si puissante ? 

Aloïse : Pendant mes concerts, j’essaie de prévoir des “rendez-vous” mais je fais en sorte de garder une place très importante pour l’inconnu. J’aime bien arriver sur scène et me demander ce que je vais raconter après chaque chanson. Pour le moment, je me cherche encore un peu. J’aime bien les choses assez épurées parce que ça te donne plus de liberté, ça évite de tomber dans des automatismes. Peut-être qu’un jour, j’aurai plus de moyens et je construirai plus précisément les choses pour que ce soit encore plus beau. Mais à l’intérieur de moi, il faut que je préserve des espaces de jeu.

LVP : Quand tu t’envoles sur scène, n’as-tu jamais peur de tomber ? Ou au contraire, la danse est-elle ce qui te fait tenir debout ?

Aloïse : J’ai toujours peur de tomber. Même quand je suis au sol, j’ai peur de tomber. Sur scène, je flippe tout le temps mais c’est très bien d’avoir peur. Je me sens à la fois invincible et à la fois ultra vulnérable. Pour moi, le live est important justement parce qu’il peut y avoir des accidents. Et je n’ai pas peur des accidents. Chaque fois, ils dévoilent ces choses que tu ne sais pas prévoir. Et, souvent, quand tu n’as pas prévu un truc et que tu l’acceptes, tu tombes mieux. Tu ne te fais pas mal, tu tombes en faisant une roulade. Les accidents sont beaux quand ils sont bien vécus. C’est comme ça que je vois le live, c’est un moment unique donc il doit être vécu de façon unique. 

LVP : Tu es passée des plus petites aux grandes salles. Est-ce possible de reproduire ce que tu fais dans le grand salon du bota sur la scène de l’Olympia, par exemple ? Que préfères-tu ? L’intimité des petites salles ou le vertige des grandes scènes ? 

Aloïse : C’est très différent mais j’aime vraiment les deux. Et étonnamment, ce sont souvent les petits espaces qui peuvent être les plus vertigineux. Tu vois les gens de près, tu as moins de place, tu es dans un rapport plus intime, plus sensible avec le public. Et dans les grands espaces, c’est toujours très perturbant de te sentir si petite tout en recevant autant d’énergie. Tu es en communion avec le public, c’est une sensation incroyable. Cette immensité m’a permis de découvrir une nouvelle manière de danser et de construire des choses qui sont intéressantes esthétiquement. Dans les petites salles, on est un peu plus à l’étroit avec le public et tu as ce rapport forcé avec la précision. Tu vois les regards et tu perçois une émotion très particulière, à la fois collective et individuelle. 

LVP : Que peut-on en attendre pour cette tournée ? Après les acrobaties, prévois-tu de descendre en tyrolienne sur scène?

Aloïse : Rien n’est encore écrit mais je suis quand même sûre de certaines choses. Je vais intégrer davantage ce micro magique, j’en ai pas encore fini avec ça. J’ai envie qu’il soit moins anecdotique. Par contre, je serai toujours toute seule avec mes deux musiciens. Je n’ai pas encore envie d’être accompagnée par des danseurs, par exemple. Quand ça arrivera, ce sera voulu très précisément et pas seulement pour créer un effet de remplissage. Mais j’ai trop de choses à explorer d’ici là. Pour le moment, je peux occuper la scène toute seule. Et surtout, j’ai encore besoin d’appréhender toute seule, d’avoir peur toute seule, de rencontrer des gens en me présentant seule à eux, etc. Pour le reste, on prend ce qui est là et on améliore ce qu’on peut mais avant tout, ce qu’on veut. Je vais changer un peu tout ça. On va grandir avec ça.


 

 

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