Amantique, le bruit et la fureur
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Auteur·ice : Paul Mougeot
14/02/2025

Amantique, le bruit et la fureur

Né dans la sueur et la poussière des salles de concert parisiennes les plus confidentielles, Amantique pousse tout juste ses premiers cris. Il serait pourtant injuste de réduire la musique du quatuor à son côté criard tant elle surprend par ses élans littéraires et par la sensibilité qui l’imprègne au plus profond. Derrière le bruit et la fureur, un entretien à dix mains pour tenter de percer à jour le phénomène Amantique à quelques jours de la sortie de leur premier EP, Laurent, et d’une release party au Sample qui s’annonce explosive. 

La Vague Parallèle : Hello les gars ! Est-ce que vous pouvez vous présenter pour celleux qui ne vous connaîtraient pas encore ? 

Sam : On s’appelle Amantique, on est un groupe de rock alternatif psyché avec du chant en fançais. Je suis à la guitare, Matis est à la basse et Shady est à la batterie. On a commencé en 2022 avec une formule instrumentale, faute de chanteur, et c’est en novembre 2023 qu’on a rencontré Louis.

Depuis que Louis nous a rejoint, on a commencé à tourner et on a pas mal écrit. Le 17 février, on sort Laurent, un EP qu’on a enregistré cet été à Nantes au Studio Arpège et qui a été mixé par Alistair Groves. C’est un projet dont on est très fiers, c’est assez fou pour nous de commencer comme ça.

La Vague Parallèle : Vous êtes un groupe à l’histoire relativement récente puisque vous jouez ensemble depuis 2022. C’est quoi, le point de départ de ce projet ?

Shady : Le groupe, c’est d’abord Matis et Sam. Ils jouaient déjà ensemble depuis quelques temps. Je les ai rencontrés ensuite. On a répété ensemble quelques jours après notre rencontre et au bout de 10 minutes, on s’est rendu compte qu’il se passait quelque chose.

Sam : On n’avait jamais joué avec des bons batteurs et dès qu’on a joué avec Shady, ça nous a paru évident. Il n’y a pas eu une seconde de doute, c’était la bonne personne pour nous. À l’inverse, au chant, on a beaucoup tâtonné, on a essayé avec pas mal de personnes et ce qui distinguait Louis, c’était vraiment son approche. Au bout de deux phrases, on a su que c’était lui.

Louis : Quand on s’est rencontrés, Matis m’a demandé si je pouvais chanter en français, je lui ai répondu « ouais ouais » et je suis très vite passé à autre chose. Lui n’a pas oublié et il m’a envoyé un message le lendemain pour me faire écouter les maquettes d’Eau Salée et de La Météo et j’ai vraiment halluciné. J’ai trouvé ça hyper novateur et franchement, je n’avais jamais joué avec des musiciens aussi bons. J’étais un peu sur le cul.

Sam, il utilise des accords qui sortent de nulle part, il fait des trucs qu’on ne comprend pas avec ses doigts, Shady, c’est un fucking monstre et Matis compose des lignes hyper mélodiques à la basse. Ils m’étonnent toujours.

Matis : Je crois qu’on essaye vraiment d’exploiter nos instruments dans leur entièreté et à 100% de nos capacités. Pour chaque morceau, on essaye d’aller le plus loin possible. Notre direction artistique, c’est ça.

Shady : C’est vrai qu’on ne se sent aucune limite. C’est la liberté totale. Je pense qu’on a tous le sentiment qu’on peut faire ce qu’on veut, en gardant une certaine forme de respect pour le morceau. On est toujours à la recherche du morceau parfait pour nous, on en jette beaucoup. L’écriture est assez fluide et rapide mais si on ne sent pas quelque chose, on jette.

LVP : Est-ce que vous vous souvenez du moment précis où vous avez su que vous aviez trouvé votre son ?

Matis : Je pense que le déclic de cette direction artistique, on l’a trouvé avec Eau Salée. Shady était en Suède à ce moment-là, on lui a envoyé la maquette et il était assez sceptique. Nous, on adorait ce morceau mais je pense qu’avec la distance, c’était assez difficile pour lui de se projeter alors que nous, on avait vraiment ressenti le truc à fond sur le moment.

On le sentait sur la réserve donc on a écrit La Météo, et c’est là qu’on a vu toutes les possibilités que nous offrait Louis. On s’est rendu compte que ses paroles pouvaient être plus douces, plus subtiles. On avait le sentiment d’être face à quelque chose d’assez novateur qui n’était pas du Feu! Chatterton, pas du Philippe Katerine, pas du Le Réparateur, qui ne ressemblait à rien de ce qu’on a pu entendre en français…

C’est vraiment quelque chose de nouveau. Et même si on n’est pas des stars internationales, pour moi, c’est vraiment incroyable de pouvoir vivre cette musique avec eux. C’est une vraie chance.

LVP : Vous avez assez bien caractérisé ce qui représente votre musique d’un point de vue instrumental. Louis, comment tu es parvenu à t’intégrer à cette base pour apporter ta propre patte artistique au chant ?

Louis : Comme le disait Shady, les gars sont assez perfectionnistes. Leur musique est très travaillée, il y a une vraie réflexion derrière et ils n’ont pas peur de trancher dans le vif quand ça ne fonctionne pas. Moi, je viens plutôt du punk à l’origine, j’ai été influencé par des chanteurs comme Jean-Luc Le Ténia ou Le Réparateur. Ce sont des artistes qui vont parler de sujets importants, profonds ou même badants, mais en y ramenant une touche d’ironie qui rendent leurs textes beaucoup plus digestes et beaucoup plus funs.

C’est ça, que j’ai essayé de faire avec Amantique. J’ai voulu apporter une touche décalée en essayant de ne pas tomber dans ce côté plaintif, je ne veux pas qu’on entende juste « je me plains, ça va mal dans ma vie ». J’essaye de ramener un petit côté ironique et quand ça va trop loin, les gars n’hésitent pas à me le dire (rires).

Généralement, ils composent la musique d’abord et j’y ajoute ma voix ensuite. Je ne suis pas un topliner donc c’est souvent un peu improvisé, d’autant qu’avec Amantique, on attend quelque chose de moi qui est plus chanté que ce que je faisais dans mon groupe précédent. C’est plus difficile pour moi mais j’apprends beaucoup avec eux.

LVP : On se retrouve quelques semaines avant la sortie de votre premier EP, Laurent. Comment vous vous sentez ?

Matis : Hyper pressé. Je n’appréhende pas vraiment la manière dont il sera pris parce que moi je l’ai très bien pris (rires). J’ai surtout envie qu’il sorte, qu’il ait sa propre vie, que les gens puissent l’écouter.

Sam : On ressent quand même un vrai sentiment d’accomplissement. Pour nous, la musique c’est une passion depuis très longtemps et c’est aussi un rêve qui nous anime beaucoup. C’est aussi une première vraie réalisation dans nos vies. Matis et moi, on aura 20 ans cette année, on sort à peine du lycée et il y a un peu ce truc de se dire que c’est la première fois qu’on fait un truc qui a vraiment de la valeur et du sens. On en est très fiers.

En plus, ce sont des chansons qu’on a composées il y a deux ans pour la plupart, donc elles ont eu le temps de mûrir. On les voulait vraiment, ces titres.

LVP : Est-ce que vous pouvez nous parler de cet EP, de sa conception, de son histoire ?

Shady : Quand on a rencontré Louis, on a tout de suite voulu enregistrer des morceaux et on a eu l’idée de faire ça à Trempo, une structure qui fait de l’accompagnement artistique à Nantes et pour laquelle mon père travaille. J’y ai rencontré Alistair “Al” Groves, qui est connu pour son travail avec Bring Me The Horizon en assistant à l’enregistrement de Technicolor Life de Ko Ko Mo, l’un des albums qui m’a le plus marqué en grandissant. On avait sympathisé et à l’époque, je m’étais promis que je ferais un album qui sonnerait aussi bien que cet album de Ko Ko Mo.

Pour cet EP, on ne pensait pas forcément à lui parce que ça nous semblait inaccessible mais mon daron m’a encouragé à lui écrire, ne serait-ce que pour avoir un retour sur notre musique. Après quelques semaines à attendre sa réponse, Al nous a dit qu’il retrouvait en nous le côté funk rock des Red Hot Chili Peppers, la colère de Rage Against the Machine… Mais surtout, il avait vraiment à coeur que ça sonne Amantique. Nous, on voulait que tout soit mixé de la même manière, que la voix soit un instrument comme les autres. Finalement, on a mis la barre un peu plus haut et on a fait ça au Studio Arpège, à côté de Nantes, avec Sébastien Condolo qui était l’ingé son en studio et Philippe Louineau, le propriétaire. D’habitude, il ne reste pas pour l’enregistrement et là, il est resté tout le long parce qu’il était hyper intrigué par le projet !

On a enregistré ça en juillet dernier, après une journée de répétition qui nous a servi à bosser les dynamiques des morceaux. On a fait ça en trois jours : un jour d’installation, un jour pour enregistrer les instruments et un jour pour les voix et les overdubs. Ça a été beaucoup de stress, on était malade, fatigué… On a dû faire pas mal de sacrifices, notamment sur les overdubs, pour arriver à tout faire.

Sam : Émotionnellement, c’était très intense. Avec Matis, on fait de la musique ensemble depuis la troisième, c’est dingue de se dire qu’on vient de là.

Il faut dire qu’on est très bien entourés aussi. Que ce soit par le père de Shady, qui a beaucoup cru en nous et qui nous a coachés, par Sébastien et Philippe, de Studio Arpège, par les gens qui font notre DA, Sacha et Hector. Ce sont des gens qui acceptent de travailler sur le projet parce qu’ils croient en nous et ça nous touche énormément. Ça nous a légitimé dans notre démarche, on s’est dit qu’on avait raison de croire en nous, qu’on n’était pas fous. On a beaucoup de chance.

LVP : Est-ce que l’un des enjeux de ce premier EP pour vous, c’était de parvenir à capter en studio l’énergie que vous mettez dans votre live ?

Sam : C’était un des enjeux principaux pour nous, oui. On voulait quelque chose d’explosif, un truc qui déborde parfois, qui est un peu baveux, pas toujours tight. On avait en tête des groupes qu’on avait adorés en live et qui nous avaient ensuite un peu déçus en les écoutant en studio. On trouvait que ça perdait un peu en énergie et on voulait absolument éviter de susciter ce sentiment-là.

Pour nous, le live est vraiment central, il fait même partie du processus d’écriture de nos morceaux. Souvent, on termine à peine un titre qu’on veut déjà le jouer. La réaction du public, l’ambiance, les interactions qu’il provoque nous permettent d’avoir un premier retour sur un morceau, de nous dire que telle ou telle partie fonctionne plus ou moins bien, de nous faire réfléchir sur la structure du son.

LVP : Cet EP, il porte un drôle de prénom… Vous voulez nous en parler ?

Sam : En fait, on aimait l’idée de personnifier ce projet, de faire en sorte que les gens puissent s’imaginer ce personnage fou qu’incarne Louis en entendant sa voix, sans voir son visage. On a beaucoup cherché et on a fini par lui donner ce prénom, qui est assez lié à l’histoire du groupe. Mais on n’en dira pas plus…

LVP : Ce qui m’a tout de suite frappé à l’écoute de cet EP, c’est la trame narrative que vous parvenez à y établir. J’ai l’impression que chaque morceau se déroule comme un court-métrage ou comme une nouvelle, avec un récit qui défile et des instrumentations qui lui donnent corps. Est-ce que c’est comme ça que vous l’avez pensé ?

Matis : C’est quelque chose que je trouve intéressant dans la manière dont écrit Louis : il faut toujours creuser pour saisir le sens profond de ses textes parce qu’au premier abord, c’est un peu lunaire. Quand j’ai découvert La Météo pour la première fois, j’ai mis du temps à comprendre que ça parlait d’un couple qui va mal.

Louis : Il y a autant une narration dans les paroles que dans la musique, à mon sens. Les morceaux d’Amantique, ce sont quand même des structures qui sortent de l’ordinaire et cette particularité sert vraiment la narration. C’est quelque chose qui m’avait marqué quand je suis venu auditionner : moi, je viens du punk et je travaillais avec des structures très classiques. Quand j’ai écouté Eau Salée pour la première fois, j’ai dû me noter chaque partie pour bien me rappeler de la trame du morceau.

LVP : Ces textes, on se les approprie facilement parce qu’on y retrouve beaucoup de petits éléments du quotidien qui viennent ancrer le récit dans le réel. Je pense notamment à l’évocation de Joël Collado dans La Météo ou à la place de Clichy dans Eau Salée qui m’ont fait sourire. Comment elles te viennent, ces références ?

Louis : C’est un truc que j’aime bien faire et qu’on retrouve aussi chez des artistes comme Jean-Luc Le Ténia ou Vincent Delerm. Sur son premier album, il fait un peu cette espèce de name-dropping en parlant de Fanny Ardant, de la porte Champerret et ça m’a fait grave marrer. Ces petits éléments du quotidien, ils permettent de rajouter un peu d’ironie et de casser cette poésie qui, autrement, serait peut-être un peu plombante ou un peu péteuse.

Je n’ai pas envie de faire du Fauve, avec tout le respect que j’ai pour Fauve. C’est un peu mon flip, de tomber là-dedans.

Sam : Louis, il incarne un truc que j’adore en littérature, c’est cette espèce d’humour noir qu’on retrouve chez Huysmans ou dans le théâtre de l’absurde et qui permettent de traiter des sujets très sombres avec une forme d’ironie ou de détachement. C’est aussi le ton qu’il prend en live, qui fait presque penser aux Viagra Boys, qui permet de créer le contraste.

LVP : Vous avez très vite choisi de miser sur la scène et vous avez déjà un joli palmarès à votre actif, avec des dates au Pop-Up du Label, au Supersonic ou à l’International notamment. Qu’est-ce que ça représente pour vous la scène, qu’est-ce que vous allez y rechercher ? 

Louis : Si on est monté si vite sur scène, c’est parce qu’on voulait se confronter rapidement avec le public. Parce que si tu passes des plombes en studio à tout peaufiner et que finalement, tu arrives sur scène, que c’est à chier et que les gens n’aiment pas, c’est naze. On avait besoin de voir si notre musique suscitait une réaction auprès des gens qui venaient nous voir.

Après, pour ce qu’on vient y chercher… J’ai un égo surdimensionné et je prends juste un immense plaisir à faire ça. Le moment qui m’a le plus marqué, c’est quand on a joué Eau Salée et que le public a repris le refrain en choeur alors qu’on venait tout juste de sortir le morceau. J’étais sur le cul.

Sam : On a cette envie de faire kiffer les gens et de provoquer chez eux des émotions intenses, profondes. C’est l’héritage musical qu’on tire de toutes nos influences : on a envie de travailler une palette émotions hyper large.

LVP : Pour terminer, est-ce que vous pouvez partager avec nous un coup de cœur artistique récent ?

Louis : C’est le truc qui cartonne en ce moment : en rentrant chez moi hier soir, j’ai écouté l’album de Theodora. J’ai trouvé ça monstrueux ! Elle a une voix qui peut passer d’une texture à l’autre sans transition, sa manière d’écrire est incroyable. J’étais en train de viber comme un ouf alors que ce n’est pas du tout ce que j’écoute à l’origine !

Matis : En ce moment, je suis sur Menahan Street Band, c’est un groupe instrumental que j’aime beaucoup.

Shady : De mon côté, ce serait le dernier album de Pierrick Pédron. C’est un saxophoniste qui vient de revisiter The Shape of Jazz to Come, l’album d’Ornette Coleman et franchement, ça tue. Et sinon, le dernier single de Deafheaven, Magnolia.

Sam : On attend aussi la prochaine sortie de Viagra Boys.

Matis : Et le prochain album de Jean-Pierre Fromage. On veut la suite !

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