“Il y a une fissure dans toute chose ; c’est ainsi qu’entre la lumière” disait Léonard Cohen. Il y a plus d’an an déjà, Pomme célébrait ses fissures et sa lumière dans les failles, son deuxième album studio. Un condensé intime et touchant qui aura ponctué ces long mois tout en légèreté, pour constituer la B.O. idéale de cette année complètement fucked up. Après une première réédition en février appelée les failles cachées, elle partageait le 30 octobre dernier les failles cachées version halloween.
Nommé Album Révélation de l’année aux Victoires de la Musique, les failles aura su imposer toute la force et la grâce d’une sensibilité incontournable, véritable thérapie pour la chanteuse. On a eu la chance de discuter avec elle de pancakes au sirop d’érable, de sa collaboration loufoque avec Flavien Berger, de nos angoisses de mort, d’un potentiel album d’ASMR, de l’espoir tour qui arrive et de nos passions communes pour Phoebe Bridgers. Et il n’y a pas plus vendeur que ça.
La Vague Parallèle : Bonjour Pomme ! Comment vas-tu ?
Pomme : Ça va super bien ! Je suis au Québec depuis trois semaines, et honnêtement je vis ma best life. Je suis actuellement en train de déguster des pancakes aux noix et à la pâte de noisette : le rêve. Avec la pandémie, beaucoup de choses ne sont pas possibles, que ce soit les concerts ou la promo. Mais du coup j’en profite pour chiller un peu parce que j’ai un peu travaillé comme une folle depuis genre… deux ans. (rires)
La Vague Parallèle : Le Québec, c’est l’endroit où tu as écrit ton morceau soleil soleil, l’un des morceaux les plus lumineux de ta discographie. On peut dire que c’est ton happy place là-bas ?
Pomme : Exactement ! D’ailleurs j’ai un autre morceau, les oiseaux – qui n’a pas été écrit au Québec mais qui parle de Montréal – et qui raconte bien mon rapport avec cet endroit. C’est “mon endroit rêvé” comme je le dis dans la chanson. Je m’y sens bien. Ici, c’est tellement plus avancé sur les droits sociaux et l’ouverture d’esprit. Les gens se laissent vivre, ils sont vachement moins coincés du cul, pour le dire platement. La première fois que je suis venue ici, j’avais 19 ans, et je me suis rendue compte que j’étais vraiment libre d’être qui je voulais sans être jugée : comment je m’habille, comment je parle, avec qui j’ai envie de sortir. Cette ouverture d’esprit me manque en France.
LVP : Ton album les failles, gagnant aux Victoires de la Musique pour le prix Album Révélation, fêtait il y a peu son premier anniversaire. Un an après avoir partagé tes failles avec ton public, ta relation avec celles-ci a-t-elle évolué ?
P : Je travaille beaucoup sur moi-même, notamment à travers ma musique. Elle m’aide vachement parce qu’elle fait en sorte que je me sente validée aux yeux de plein de gens. Et ce sentiment de validation m’a beaucoup manqué étant enfant et ado. Jusqu’à récemment j’ai toujours eu cette sensation de ne pas être “adéquate”. Du coup, l’effet que m’a procuré le succès de cet album, c’est que je me sens légitime. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ma personnalité, mon existence et mes failles ont lieu d’être. Ça fait du bien.
LVP : Tu parles du regard des autres, cette forme de pression prend-elle de la place ?
P : Forcément, une partie de ma confiance en moi va être nourrie par le retour des gens qui m’écoutent. C’est compliqué de se détacher de l’avis des autres, surtout dans ce métier. Le truc, c’est d’apprendre à gérer cette pression. Tout le processus derrière cet album, de sa création à sa réception, ça a été une leçon sur mon appréhension du regard des autres, qu’il soit positif ou négatif. Et ce n’est pas toujours facile à gérer. Du coup, ce n’est pas parce que l’album connaît une bonne réception que tout va bien dans ma vie. Ça aide beaucoup, certes, mais ça ne fait qu’alimenter une partie de ma confiance en moi qui reste assez superficielle. Pour le reste, notamment au vu de mon caractère anxieux, il ne faut pas que j’en oublie ma santé malade et que je sollicite toute l’aide dont j’ai besoin pour ne pas laisser d’autres choses me submerger.
LVP : Parmi les failles que tu abordes, il y a notamment ta relation épineuse avec le thème de la mort. De nombreux·ses artistes s’y sont frotté·es récemment, à l’instar de Phoebe Bridgers sur son dernier album Punisher. Comment toi tu t’es confrontée à ce sujet sur pourquoi la mort te fait peur ?
P : C’est vrai que j’ai un rapport complexe avec la mort dans le sens où j’ai tellement cette pulsion de vie, ce besoin de toujours être en mouvement, d’avoir la tête dans mes projets, que la mort symbolise l’opposé de ces choses-là. J’ai du mal à croire en quelque chose après la mort, et ça alimente forcément des angoisses. Depuis très jeune, c’est quelque chose qui m’a toujours fait peur. Et comme pour les autres failles de l’album, j’essaie d’en parler et de désacraliser cette peur via la musique. Dans cette chanson, j’utilise beaucoup d’images poétiques et agréables qui représentent la meilleure mort possible. Notamment beaucoup de symboles d’infinité et d’immortalité, comme les fleurs et les arbres. Le titre pourquoi la mort te fait peur, il s’adresse à moi-même en fait, dans le but d’adoucir cette idée de la mort qui m’angoisse vachement.
Et en parlant de Phoebe Bridgers, je l’adore. C’est ma passion. D’ailleurs elle est nommée quatre fois aux Grammys, et c’est cool parce que ça va faire longtemps qu’elle est là et qu’elle sort de la musique. En plus elle a l’air folle, quand elle gueule à la fin de I Know The End c’est juste trop dingue. J’ai publié une cover de son morceau Funeral sur Instagram en janvier. C’est toute ma vie cette meuf !
LVP : Après une première réédition les failles cachées en février dernier, tu sortais ce 30 octobre les failles cachées version halloween avec trois morceaux supplémentaires. Tout d’abord, pourquoi avoir décidé d’intégrer la fête d’Halloween dans ton univers ?
P : La première raison, c’est tout simplement parce qu’Halloween est une fête qui me fascine. Et je trouve qu’on ne la célèbre pas forcément en Europe, en tout cas pas trop en France. On parlait justement de la mort, et Halloween c’est un moment de l’année où on célèbre les morts, comme au Mexique avec le Día de Muertos. Ensuite, j’ai toujours aimé tout cet univers visuel : les films d’Halloween, la culture de la sorcellerie, etc. En tant que petite Française, j’ai toujours eu cette frustration de ne pas avoir pu baigner dans tout ça. Du coup, je me retrouvais à aller chercher les infos moi-même pour me familiariser à ce monde-là. L’autre jour, par exemple, je me suis tapé toute la page Wikipedia du Samain, qui est la fête celtique d’Halloween liée à l’histoire des sorcières. Cette réédition, c’était un peu ma façon de célébrer ces thèmes un peu sombres à mon tour.
LVP : L’un des nouveaux morceaux s’appelle magie bleue et ne se compose que d’un instrumental et de vocalises. D’où vient cette envie de proposer un titre comme celui-là ?
P : En réalité, ce morceau, c’est la suite de chapelle. Dans ma tête, j’ai imaginé magie bleue comme la liberté de continuer chapelle pendant huit minutes de plus. Il y a une partie de moi qui a envie d’explorer ce domaine de l’instrumental sans paroles. Et c’est vraiment très surprenant, parce que je suis quelqu’un qui est très attachée au texte et au sens des mots. Mais raconter des histoires avec seulement des mélodies et des sons, je trouve ça fascinant. Quand je crée des morceaux comme chapelle ou magie bleue, c’est majoritairement de l’improvisation. L’idée, c’est d’être libre et de raconter instinctivement quelque chose sans avoir de but précis. La seule chose que je m’impose, c’est l’atmosphère : ici, en l’occurence, c’était une ambiance halloweenesque. Du coup, je me retrouve dans mon studio à chanter, librement et sans but, et c’est hyper libérateur parce que c’est à l’opposé des codes de la pop ou de la variété.
LVP : Sur ce morceau, on retrouve Flavien Berger. Comment s’est passée la fusion de vos deux univers ?
P : Flavien c’est un peu le roi de ce genre d’expérimentation. On observe beaucoup de moments instrumentaux dans ses morceaux et il est capable de faire ressentir tout un tas d’émotions avec juste des instruments. J’avais fait genre trois minutes de lalalala que je lui ai envoyées, et il a posé tout un tas de sons : des chuchotements, des bruits d’oiseaux ou de crapauds. À partir de ces bandes de son, il est parvenu à situer le morceau dans ce décor de forêt qu’il s’était imaginé à l’écoute de ce que je lui avais envoyé. Et c’est tellement beau ! Quand son piano arrive au milieu du morceau et que ça s’ouvre un peu, notamment à l’aide de petites nappes vaporeuses, je me dis qu’il a trop bien capté le délire. Il est si inventif. D’ailleurs, suite à ce morceau il m’a dit “Viens on refait la même chose tout les ans et on change la couleur à chaque fois !”
LVP : Pourquoi l’avoir appelé magie bleue, d’ailleurs ?
P : Parce qu’en l’écoutant, t’as un peu l’impression d’être dans le cosmos et de flotter. Tu sais plus trop où t’es. J’avais vraiment envie que cette chanson elle endorme un peu les gens, qu’elle les mette dans un état particulier. Ça fait un peu B.O. d’Halloween/musique pour être en transe. Et en vrai j’ai l’impression que je vais explorer ce monde-là dans les prochaines années. Si ça se trouve, mon prochain album ce ne sera que des trucs dans le genre, hyper chelous. (rires) Un album de méditation ou d’ASMR, ce serait pas cool ça ?
LVP : Tu penses que c’est le genre de morceaux que tu peux exploiter en live ?
P : C’est une bonne question ! De base, je m’imaginais ce morceau uniquement en version studio. Déjà parce que je n’ai pas la technique des machines à sons, et que du coup l’interpréter toute seule c’est mort. Mais je suis persuadée que ce serait trop stylé qu’avec Flavien on se fasse une session d’improvisation. Ce serait trop beau, à creuser !
LVP : Récemment, on a pu retrouver ta poésie sur un morceau de Julia Stone, pour qui tu as écrit le texte de Dance. C’est quoi l’histoire de cette collaboration ?
P : C’est cool que tu m’en parles parce que très peu de personnes ont souligné cette collaboration ! En fait, à 18 ans, j’ai eu la chance de faire la première partie d’Angus & Julia Stone lors d’un show à Clermont-Ferrand. Du coup, je les ai rencontrés et on s’en hyper bien entendus ! On a un peu gardé le contact, on échangeait environ une fois par an, et un peu avant le confinement on s’est écrit avec Julia. De base, c’était juste pour se faire un Skype et discuter de trucs pas forcément liés à notre musique. Et c’était tellement bien, on s’est juste rendues compte qu’on se kiffait trop. De là, on en est venues à aborder le sujet de son nouvel album, et du fait qu’elle aurait voulu avoir une version française d’un de ses nouveaux morceaux. C’est là qu’elle me propose de bosser dessus, et j’étais là en mode “De ouf !”. C’est quelque chose que j’adore faire depuis que j’ai traduit et repris Billie Eilish sur Konbini.
LVP : Après plusieurs reports, tu as réannoncé ta tournée en la surnommant l'”espoir tour 2021″. Tu dirais que c’est facile de garder l’espoir justement ?
P : Honnêtement, j’ai l’impression d’être extrêmement privilégiée. J’ai le privilège de pouvoir garder l’espoir parce que je peux compter sur un label, sur un tourneur, sur mon équipe. J’ai un album qui a fonctionné, malgré tout, dans cette année si spéciale. Donc oui, j’ai de l’espoir. Et c’est limite un luxe. Je dis ça parce que je me rends compte que des artistes qui n’ont pas eu les mêmes opportunités ne peuvent pas aussi facilement rester positif·ves. Quand t’écoutes les prises de parole du gouvernement, ça parle de tout le monde sauf des musiciens et des salles de concerts, et ça donne l’impression de se faire chier sur la tête. Pour les artistes en développement, avec les annulations de live par exemple, c’est très compliqué.
LVP : Tu avais partagé sur tes réseaux le projet d’inviter des associations locales sur chacune des dates de la tournée. C’est toujours d’actualité pour les concerts à venir ? P : On a pu le mettre en place sur le début de la tournée, avant le reconfinement. Avec les mesures sanitaires, on n’avait pas le droit d’inviter des “vraies” personnes et on a donc mis en place un système de capsules vidéos. Le problème c’est que toutes les associations n’ont pas forcément de vidéos de présentation ni les moyens d’en produire. Du coup, on a reçu quelques capsules, et on a eu l’occasion d’en passer seulement une. Ce n’est pas l’idéal parce que cela reste très anecdotique de passer une vidéo avant ton concert. L’idée de base, c’était que les associations puissent avoir un stand de sensibilisation avant et après le show, que je puisse les rencontrer l’après-midi et qu’elles prennent la parole sur scène avant le début du live. Je souhaite donner beaucoup plus de place à ces associations, de manière physique. Le but, pour moi aussi, c’est de découvrir des choses et des luttes que je ne connaissais pas avant. Et j’espère sincèrement qu’on pourra le faire l’année prochaine. On a mis en place un mail ([email protected]) via lequel les associations peuvent nous contacter pour la tournée à venir.
LVP : Une démarche qui corrobore bien ton esprit militant. On observe cependant moins explicitement tes engagements dans ta musique, à l’exception peut-être du morceau 2019 qui dénonçait l’homophobie. Quels sont les rapports entre ton art et ton militantisme ?
P : Je suis un peu partagée. D’une part, j’ai l’impression que mon militantisme est personnel. C’est le militantisme de moi en tant que Claire Pommet, et pas forcément en tant que Pomme. J’avoue que dans mon processus de création, ça ne m’inspire pas forcément d’écrire des chansons militantes. Sauf pour 2019, qui faisait écho aux actualités atroces de Tchétchénie. C’est la seule chanson militante que j’ai écrite. Mon militantisme il se retrouve davantage dans des actions que je fais au quotidien, et que les gens ne voient pas forcément. Ça passe aussi par le relai de posts et de causes via mes réseaux sociaux. J’ai appris à séparer les deux, parce que j’ai envie que mon projet de musique reste non politisé. Mais, en même temps, je me dis que Pomme et Claire Pommet ça reste la même personne, en fait. Je ne suis pas non plus complètement séparée en deux entités, c’est la même personne qui fait de la musique et qui va à des manifestations, qui se renseigne et qui s’investit dans des causes. Donc ça se mélange forcément, d’une certaine manière.
LVP : Qu’est ce qu’on te souhaite pour la fin 2020 ? Et pour 2021 ?
P : Pour cette fin 2020, beaucoup de pancakes au sirop d’érable, déjà. D’être en bonne santé, aussi, parce qu’en ce moment c’est un peu la base j’ai envie de te dire. Arriver à écrire des nouvelles chansons, parce que je t’avoue qu’en ce moment je ne suis pas très inspirée par le contexte actuel. Et puis pour 2021, mon seul souhait c’est de pouvoir faire des concerts. C’est ma seule et unique demande au Père Noël. Petit papa Noël, quand tu descendras du ciel…
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.