Amour Colère : l’indie double-face de Nicolas Michaux
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
08/10/2020

Amour Colère : l’indie double-face de Nicolas Michaux

Avec Amour Colère, Nicolas Michaux dégaine l’une des prouesses indie les plus convaincantes de l’annéeUne collection de dix morceaux tantôt légers et aériens, tantôt bruts et frontaux : le crooner belge joue de la poésie de l’antagonisme du titre de l’opus pour guider ses compositions. En résulte une véritable proposition folkrock organique et sincère, forcément touchante. Il nous accordait un moment de partage quelques jours avant la sortie de son deuxième album, sous les derniers rayons du soleil estival, pour déchiffrer son Amour Colère.

© Photo : Mayli Sterkendries

Le nécessaire et l’indispensable, rien de plus.

Un disque qui fait suite à À la vie, à la mort, travail remarquable qui prouvait déjà en 2016 toute l’aisance du musicien à voguer entre une soft-rock anglo-saxonne et une chanson française intemporelle. Si la production de ce premier élan se voulait beaucoup plus collective et déstructurée, fruit d’expérimentations éparses entre potes musiciens, Amour Colère aura suivi un processus plus personnel et direct.

“C’est un disque créé dans une certaine solitude, avec un niveau de concentration plus élevé. J’ai dû travailler sur une quinzaine de morceaux, mais assez vite j’ai pu sélectionner les dix de l’album. C’était un processus beaucoup plus droit au but.” 

Une minutie qui s’explique aussi par l’endroit d’enregistrement des morceaux : au cœur de l’île de Samsø, éden danois du chanteur depuis près de trois ans.

“Si l’album avait été enregistré ailleurs, il aurait été très différent. Le fait d’avoir créé les morceaux dans mon salon, sur cette île, ça a forcément apporté le caractère épuré et dépouillé d’Amour Colère. […] Je voulais que tout ce qui soit sur la bande soit nécessaire et indispensable, rien de plus.” 

Nicolas Michaux décide alors de mettre en exergue les lignes de basses, les quelques chocs de batterie et la douceur de sa guitare dans des titres simples. Une volonté de sobriété qui traduit des notions d’authenticité et de vérité, lignes directrices du disque avec notamment Harvesters, manifeste de mise à nu musicale reflétant parallèlement la quiétude de Samsø.

Il y a toujours un peu d’amour dans la colère, et vice-versa.

S’il confrontait la vie et la mort sur son premier album, le chanteur décide ici de faire interagir deux notions plus complémentaires que diamétralement opposées.

“Il y a toujours un peu d’amour dans la colère, et vice-versa. Même une chanson comme Harvesters, qui est une chanson d’amour honnête pour ma femme et ma famille, s’ouvre sur des mots durs se rapportant à la colère. Ces titres antagonistes me permettent de montrer l’entièreté du tableau, par honnêteté. Je ne veux pas choisir un seul trait de ma personnalité et cacher tous les autres sous le tapis. Voilà ce qu’il se passe en moi en ce moment : il y a de l’amour, il y a de la colère, et aussi tout ce qu’il se passe entre les deux.”

Baignants dans la même sérénité que le titre introductif, Every WordNos retrouvailles ou encore le sensuel À nouveau continuent d’explorer la facette Amour de l’opus. Ici, on retrouve la rondeur des instruments de Michaux qui servent sa voix délicate, tirée vers des aigus sans artifices, pour un rendu d’une douceur imparable. Le fil conducteur est un classique : l’amour. Seulement, là où le compositeur belge se démarque, c’est dans la sélection de ses mots simples et directs. Nul besoin d’emprunter à la langue française une complexité inutile : Nicolas Michaux nous chante ses lubies sentimentales avec le jargon du quotidien. Et c’est d’une beauté rare. On retrouvera notamment dans le somptueux Une seconde chance (véritable coup de cœur du disque) les mots “Tu mets l’amour au planning, mais peux-tu me censurer ? Peux-tu me censurer le cœur ?”

Contraste alors avec ferveur la facette Colère de ce second travail. On y retrouve Enemies et ses percussions franches signées Morgan Vigilante, batteur de talent qui apporte à l’ensemble un dynamisme opportun. Plus explicitement colérique, Parrot s’érige en manifeste de l’engagement politique de l’artiste à la manière de The Times They Are a-Changing de Bob Dylan

“C’est une chanson qui parle de la nécessaire inversion des hiérarchies. C’est cette idée que les vainqueurs peuvent devenir des vaincus, et vice-versa. Il est temps d’écouter les gens du peuple, que ce soient les Gilets Jaunes, les écologistes, les activistes Black Lives Matter, les femmes. Que les dominants arrêtent d’avoir ce mépris de classe, qu’ils s’arrêtent et écoutent. Les gens en ont marre de faire de la merde dans des conditions de merde. Aujourd’hui, les langues et les corps se libèrent et je vois cela d’un très bon œil.”

Autre forme de colère, le morceau Cancer s’attaque de front au thème mortuaire de façon presque ingénue, à la fois enfantine et mature. “Tu bosses, tu fais tes heures, prends une pause d’un quart d’heure et tu meurs.” Sur une rythmique soutenue et chaloupée, contrepied intéressant face au sujet, des lignes de basse et de guitare électrique viennent enrober ce titre brutal.

“Ce n’était pas simple, même si c’est l’un des morceaux qui s’est créé le plus instinctivement. Je l’ai écrit rapidement, c’est réellement sorti de mes tripes. Après ça, je l’ai longtemps laissé dans les tiroirs car je le trouvais trop sombre, trop lourd et trop dur. Finalement, ce qui m’a vraiment ramené vers ce morceau c’est le fait qu’il n’y ait pas un gramme de sentimentalité. Juste les faits : tu as chopé un cancer et ça me fait peur. Cet esprit très direct me semblait intéressant.”

© Photos : Giulia Simonetti

L’amour colère, c’est le sexe après la dispute.

À notre grande surprise, le titre éponyme de l’album est purement instrumental. Une fois encore, la pièce est née d’un élan d’instinctivité honnête et authentique. Dans cette parenthèse évasive, presque spatiale, le solo de guitare de Michaux vient échauffer nos cœurs et garnir un fond sonore hypnotisant de riffs moelleux et romantiques à souhait. Un véritable condensé de douceur dans lequel il paraît presque impossible de discerner la pertinence du mot colère, jusqu’à ce que l’interprète nous éclaire d’une anecdote plutôt inattendue :

“Amour colère, c’est aussi une expression d’un de mes amis pour décrire ce que les Anglais·es appellent le make up sex. L’amour colère, c’est le sexe après la dispute. Le morceau étant assez sensuel, j’ai décidé d’y apporter le solo de guitare le plus guimauve qui soit. D’ailleurs, si on l’accompagne d’un clip, j’ai déjà des idées de vieux films érotiques qui colleraient bien avec l’atmosphère.

La musique est quelque chose qui se passe, et pas que l’on fait.

Avec ce second long format, Nicolas Michaux semble canaliser une certaine vérité, celle de soi, celle des autres, celle du monde qui l’entoure ou qui l’habite. Son leitmotiv “La musique est quelque chose qui se passe, et pas que l’on fait” se voit démontré de multiples façons pour cristalliser la nature organique de l’art musical. Rien sur Amour Colère n’est superficiel, la parcimonie fait loi. Un minimalisme qui n’enlève rien à l’efficacité des dix œuvres qui le composent, reflets délicieusement disparates d’un homme de son temps, envieux de se livrer entièrement à travers les prismes symbiotiques de l’amour et de la colère.

 

 

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