| Photo : Hugues de Castillo (Liberation Frequency)
L’artiste suédoise présente en live son sixième album, All thoughts fly, œuvre instrumentale jouée à l’orgue. Contrainte à annuler son concert nantais la semaine passée par des ultra-cathos ultra-pas contents, Anna Von Hausswolff s’est produite lundi à Bruxelles malgré les menaces. L’organiste fait salle comble et livre une performance émouvante, vertigineuse, divine.
Devant l’église Saint-Dominique de Schaerbeek, on peut entendre des cantiques du bout de la rue. Une petite foule est venue protester le concert d’Anna Von Hausswolff, accusée par des intégristes catholiques de satanisme. La raison ? Un titre, Pills, daté de 2010 dans lequel l’artiste scande « I made love with the devil». Il n’en fallait pas plus aux valeureux soldats de Dieu pour s’attaquer à une nana d’1m60 venue jouer de l’orgue dans une église (imaginez un peu) un lundi soir. Preuve, si l’on en doutait encore, que la bravoure religieuse n’est pas morte.
Dans la salle, on s’installe. Les chaises font face à l’autel, le public est dos à la musicienne venue dépoussiérer l’orgue suspendu sur le balcon au fond de l’église. La lumière tourne au rouge sang et anime les sacro-saintes effigies. Anna Von Hausswolff se met à jouer et fait voler en éclat le silence rigide des lieux. Première chanson, premiers frissons. Un bourdonnement engloutit l’espace, des basses répétitives résonnent en boucle. Puis, la mélodie s’élève, des notes plus hautes percent le son opaque et entraînent le morceau vers la lumière. La salle vibre sous l’impulsion. Si Dieu existe, Elle longe les murs de l’église dominicaine ce soir. C’est Theatre of Nature, et c’est vraiment très beau.
| Photo : Hugues de Castillo (Liberation Frequency)
Les morceaux s’enchaînent. Pas d’applaudissements, le public attend sagement la suite. Performance strictement instrumentale, l’expérience est si électrique que l’on en oublie presque les capacités vocales de l’artiste, notamment sur The Mysterious Vanishing of Electra, titre phare de son album précédent. Anna Von Hausswolff revêt un caractère sacré par la maîtrise de son instrument. L’église et l’artiste se répondent, indissociables et indispensables. Le curé fait une apparition par une petite porte près de l’autel. Appel de la musique ou besoin pressant ? Les voies de Dieu sont impénétrables.
Toujours, l’orgue envahit la pièce. Sur Sacro Bosso, la musique est presque combative avec des basses toutes puissantes qui se taisent, soudain, pour ne laisser suspendues que des tessitures aiguës superbes. D’aucun pourrait croire à une banale messe, il n’en est rien. Des synthétiseurs modulaires habillent les titres joués sur un orgue centenaire d’une couleur radicalement moderne. Le contraste offre une expérience sonore absolument unique et spectaculaire.
Le concert a été scindé en deux représentations consécutives afin d’accommoder la configuration assise. La performance ne dure que 40 petites minutes. Déjà le dernier morceau, le plus mélodieux jusqu’ici. L’organiste nous plonge dans un océan sonore où les effluves musicales sont à la fois sourdes et stridentes, calfeutrées et à vif. Un coup de talon, et l’artiste nous entraîne à la surface. Dans l’audience, beaucoup d’yeux sont clos. Dolore di Orsini, apothéose de l’album distribué par Southern Lord Records, clos le set. La chanson résonne à l’infini puis s’arrête nette, comme une sortie de transe. Le public applaudit et Anna Von Hausswolff apparaît au balcon. Elle prononce un timide “thank you so much” et traverse l’allée centrale jusqu’à l’autel au milieu d’une standing ovation.
L’artiste disparaît par une petite porte et la salle se vide peu à peu. Dehors, une longue file patiente pour la seconde performance de la soirée en dévisageant les manifestants qui entament un Ave Maria à genoux, ces drama queens. Pour notre part, on préfère quand même une artiste au sommet de son art à 20 chanteurs du dimanche qui entament un “priez pour nous pauvres pécheurs” en claquant des dents, ne leur en déplaise. Une chose est sûre, si toutes les messes dominicales ressemblaient à un concert d’Anna Von Hausswolff, on troquerait presque mimosas et œufs Bénédicte pour de l’eau bénite et une hostie.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.