Aporia : gage du talent de Sufjan Stevens, l’homme aux multiples facettes
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Auteur·ice : Mathilde Lefebure
31/03/2020

Aporia : gage du talent de Sufjan Stevens, l’homme aux multiples facettes

Un an après la sortie de The Decalogue, album en collaboration avec Timo Andres, Sufjan Stevens nous revient avec de nouvelles sonorités, cette fois sous une collaboration familiale qui prend des horizons plus électroniques. Un sacré tournant pour l’artiste qui, avec ses précédents albums, avait plutôt tendance à rester dans une atmosphère chamber pop/folk et indie folk.

Depuis déjà deux décennies, Sufjan Stevens a le pouvoir de nous emmener hors du temps. Sa musique est faite d’une recette de tendresse dont il a le secret. C’est un refuge rassurant où l’on peut se perdre et s’oublier. Elle a guéri nos maux et nous a certainement fait mûrir à travers ses mélodies intimistes. Sa discographie éclectique nous a aussi permis de toujours trouver une place, peu importe l’album ou le morceau. Ce talent et cette sensibilité ont d’ailleurs permis de créer des atmosphères uniques pour le film Call Me By Your Name

C’est rythmée par l’amour et la bonne entente qu’Aporia est née de la collaboration entre Sufjan et son beau-père, Lowell Brams. Des histoires musico-familiales qui ne datent pourtant pas d’hier, puisqu’en 2015 les deux hommes avaient déjà créé le label Asthmatic Kitty. C’est deux ans plus tard que l’on réentendra parler de celui-ci au sein de la musique de Sujfan grâce à l’album Carrie & Lowell, album d’un récit amoureux entre la mère et le beau-père de l’artiste aux saveurs mélancoliques et aux thématiques complexes. Touchant par son franc-parler et par son hommage aux deux personnes importantes de sa vie, Carrie & Lowell resta longtemps un classique dépeignant l’amour et la misère familiale. La boucle sera peut-être enfin bouclée en cet an 2020, avec la sortie d’Aporia. Un disque aux couleurs de Lowell par son côté ambient et new age mais à la touche matoise de Sufjan

 

Même si ce nouvel opus s’éloigne des autres, l’artiste n’en est pas à ses premiers essais en termes de musique électronique. D’autres albums s’en rapprochent comme Planetarium en 2017, The Age of Adz en 2010 ou même Enjoy Your Rabbit en 2004. Cependant, comme pour ce dernier, nous n’aurons pas la chance d’entendre la voix langoureuse du chanteur à travers des balades atypiques. C’est un nouvel horizon qui va jusqu’à l’appellation de l’album, qui n’est pas choisie au hasard. En effet, Aporia est apparu plus prématurément  puisqu’il a été avancé de trois jours et a une signification lourde de sens, encore plus en ces temps de confinement. Le label s’explique sur son site avec ceci : 

“Le mot «aporia» est d’origine grecque, signifiant littéralement «sans passage» ou «à perte». Ceci est une bonne description de ce que nous ressentons en ce moment. Qu’est-ce qui se passe? Que se passe-t-il ensuite? Que pouvons-nous faire? Et maintenant?”

Voici encore une preuve que chaque détail compte pour Sufjan Stevens. Chaque détail a son importance pour nous toucher au plus profond de nous, peu importe les temps qui courent. Des questions qui restent cependant sans réponse et qui reflètent encore une fois la grande flexibilité dans ses œuvres.

Mais que nous dit cet album à la nouvelle parure ? Est-il réellement une difficulté à résoudre ou encore une contradiction insoluble dans un raisonnement comme le voudrait son appellation ? Même si Aporia pourrait apparaître comme un paradoxe dans cette discographie, il n’en est rien. L’album évolue à la manière d’une épopée où l’on serait le héros principal partagé entre plusieurs sentiments. D’entrée de jeux, cela nous bouscule et nous emmène dans cette chose nouvelle, comme aspiré·es de plein fouet. Et puis vient Misology, moment de plénitude et d’exaltation. Moment de sérénité avant quelque chose de court et dense. Telle une course à travers le temps, les morceaux dessinent les uns après les autres des rencontres tantôt chétives, tantôt macabres. Fatigué·es, The Red Dessert nous accueille sur son sable chaud guettant la lueur d’espoir qui est pourtant proche grâce à Ataraxia. Ce n’est qu’à partir de The Runaround et sur ce titre exclusivement que l’on pourra entendre la faible voix de Sufjan, annonçant la fin certaine. 

“Qu’est-ce que tu attends ? Une porte ouverte ? […] Qu’est-ce que tu attends ? Marche à travers la porte.” 

L’album se termine paisiblement avec les titres Eudaimonia et The Lydian Ring, deux morceaux parfaitement choisis pour le clôturer. Vous aurez noté que beaucoup de références dans les choix des titres peuvent prendre une tournure philosophique. C’est évidemment le cas de ce premier, évoquant la doctrine philosophique selon laquelle le bonheur serait le but de la vie humaine. Cela confirme bien une fin de quête qui avait pour but un bonheur ultime, peut-être la recherche du précieux anneau Lydien ?

Au bonheur des uns et au déplaisir des autres, Aporia nous a stupéfait·es par son tournant audacieux et new age. Un nouveau chapitre se clôt pour Sujfan Stevens et Lowell Brams entre quelques envolées lyriques et un côté plus électro, mais toujours avec autant de sensibilité. Une trame de titres cohérente qui n’a cessé de nous en apprendre et nous surprendre au fil des écoutes. Nous attendons avec impatience les prochains tomes des péripéties de l’artiste aux fabuleuses collaborations et à la sensible générosité.

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