Vous avez bien lu. Tout ce beau monde, mais pas que, a été réuni autour de Everyone’s Getting Involved: A Tribute to Talking Heads’ Stop Making Sense, un album hommage à l’un des groupes les plus emblématiques de l’histoire du rock. Vous ne le saviez peut-être pas encore et nous non plus, mais c’est le crossover dont nous avions tous·tes besoin en 2024.
Il semblerait que la consigne pour célébrer le quarantième anniversaire du mythique Stop Making Sense (1984), désigné presque unanimement comme le meilleur film de concert de tous les temps, ait été assez claire : on veut tout, tout le monde, au même endroit, tant que c’est excellent et pas trop premier degré. C’est bien joué. Parce que si ce film et l’album qui en découle sont iconiques et méritaient effectivement ce qu’il y a de mieux, on peut quand même se demander comment ça a pu arriver. S’il aurait pu s’agir d’une expérience d’intelligence artificielle qui aurait trop bien tourné, il n’en est rien, cet album est lui aussi entré dans l’histoire et on ne veut plus du monde où il n’existe pas encore.
En mars 2023, la société de cinéma indépendante A24 annonce qu’elle a obtenu les droits de distribution mondiaux pour le remaster 4K du film, initialement réalisé par Jonathan Demme en 1984. Un peu moins d’un an plus tard, A24 annonce pour mai 2024 la sortie d’un album hommage réunissant un grand cru de seize artistes qui révolutionnent à leur tour la scène internationale. Nous y voilà donc. Et c’est terriblement intrigué·es, quelque part entre le doute et l’excitation, que nous avons finalement entrepris l’écoute de ce disque.
Et c’est bien évidemment le légendaire Psycho Killer qui ouvre le bal. Repris à la sauce Miley Cyrus, c’est sans doute la chose la plus déroutante que vous entendrez aujourd’hui. Mais on se rend compte aussi qu’il n’est plus envisageable de vivre dans un monde où cette version n’existait pas. Sans exagérer. Si Miley nous a surpris·es de par la maturité de Endless Summer Vacation, nous voilà à nouveau projeté·es en 2013 dans un clip un peu too much à base de flammes, d’haircuts inattendus, de flashes et de talons beaucoup trop hauts. Certain·es y verront du gâchis, d’autres du génie, on vous laisse trancher.
Oh, Heaven
Heaven is the place
A place where nothing
Nothing ever happens
C’est ensuite au tour de The National de s’attaquer à un monument avec Heaven. C’est tout de suite moins déroutant, légèrement décevant aussi, mais assez doux pour se remettre de nos émotions et laisser place à l’idée d’une sortie de bar un peu catastrophique en écoutant cette chanson très fort. Parce que l’amour qu’on porte à cette chanson nous ferait presque tout pardonner.
Et évidemment, lorsqu’on commence à avoir recours au champ lexical de l’amour, Blondshell n’est jamais loin, toujours prête à fondre nos cœurs. Oui, comme d’habitude. Mais Thank You for Sending me an Angel sonne cette fois “si Blondshell” qu’on en oublierait presque qu’elle n’est pas d’elle. Tout y est, cette voix qui transpercerait n’importe quel muscle cardiaque, cette manière de faire sonner les guitares comme si c’était la première fois qu’on en entendait et ces envolées dramatiques dont elle garde précieusement le secret. On ne va pas se mentir, bien que la suite du peloton soit également très prometteuse, ça risque d’être difficile de faire mieux.
Et pourtant… Quelques rangs derrière, Girl in red foule également la piste. Vous commencez à comprendre que quand il s’agit de faire battre les cœurs de La Vague Parallèle, la fille en rouge ne se loupe jamais non plus. Et c’est évidemment à Girlfriend is better qu’elle s’attaque. Bah oui, qui d’autre aurait pu transformer une chanson de Talking Heads en hymne queer ? Non, personne. Un léger remaniement des paroles, un réarrangement de type pop sucrée-salée à base de grosses lignes de basse et de synthés arc-en-ciel, un ton à la fois jouette et dramatique et le tour est joué.
Quelque part entre ces deux finishers, d’autres concurrentes de taille, dont on vous en parlait justement il n’y a pas longtemps, réussissent malgré tout à se démarquer. Au milieu de cette joyeuse bande, Linda Lindas sont un peu les invitées qu’on ne connaît pas depuis longtemps mais qui n’arrivent jamais les mains vides et sans qui la fête n’aurait plus la même saveur. Sous le bras, cette fois, la délicieuse Found a Job remaniée sur un fond de guitares bien énervées, de groove juste comme il faut et d’un métronome difficile à suivre, nous fait promettre de continuer à les inviter.
Pour clôturer ce classement de nos invité·es préféré·es qui défie toute objectivité, comment ne pas souligner la présence de Paramore avec Burning down the House. C’est d’ailleurs avec un clip bien décalé dans lequel on retrouve Hayley Williams que A24 avait décidé de teaser la sortie du projet. Dans une esthétique qui rappelle le film et un espace temps qui se situe quelque part entre les années 80 et aujourd’hui, la chanteuse de Paramore découvre, sur le pas de sa porte, un paquet contenant un costume gris géant, exactement le même que celui que portait David Byrne dans Stop Making Sense. De quoi se mettre bien comme il faut dans la peau du personnage, ou presque.
Au milieu de cette belle fête d’anniversaire, Paramore nous offre finalement de quoi réveiller les quelques endormi·es du fond de la salle et les ramener fissa sur le dancefloor.
Convié·es également à cette joyeuse sauterie : BADBADNOTGOOD et Norah Jones s’amuseront de This Must Be The Place dans une ambiance un peu champêtre, Toro y Moi et Brijean entretiendront le dancefloor avec une version entre synthpop sucrée et disco de Genius of Love, Teezo Touchdown inaugurera de son côté les stroboscopes avec une version plus sombre, presque psyché, mais tout aussi disco de Making Flippy Floppy, Lorde jouera au jeu risqué de la séduction sur Take me to The River et Kevin Abstract nous fera l’étonnante proposition d’une version mi radio-sur-l’épaule-en-bas-de-la-rue, mi introspection de Once in a Lifetime.
Au niveau de la direction artistique en tout cas, aucun choix ne sera posé et les sonorités afro, latino, club, un peu rock, (quand même) et même des airs de flûte continueront à s’enchaîner jusqu’à ce que la fête s’arrête. De quoi satisfaire tout le monde dans une ambiance aussi conviviale que surprenante.
Si les albums tribute ont souvent tendance à faire grincer les dents des audiophiles bien trop premier degré et les nôtres aussi parfois, celui-ci nous procure le même sentiment d’euphorie inattendue qu’un rayon de soleil en Belgique au mois de mai. Parce qu’une fois passé le “Talking Heads c’était mieux quand c’était Talking Heads“, on peut enfin se réjouir de voir nos artistes actuel·les préféré·es s’amuser de ces morceaux et leur proposer une nouvelle vie. C’est un peu un crossover Disney Channel X Rolling Stones qui aurait vraiment pu mal tourner, mais qu’on a quand même envie de regarder.
Idéaliste en colère, j’aime ma musique comme le petit monde qui m’entoure : abimée et authentique.