As Long As You Are, le retour ensorcelant de Future Islands
"
Auteur·ice : Hugo Payen
09/10/2020

As Long As You Are, le retour ensorcelant de Future Islands

La musique étant souvent vue comme cathartique pour certains, le mot ne pouvait être plus adéquat quand il s’agit de Future Islands. Une voix habitée, inchangée, survolée par cette ligne de basse et ce synthé-pop reconnaissables entre tous : voici l’ADN du groupe depuis plus de quatorze ans maintenant. C’est ainsi avec un sixième album des plus travaillés, As Long As You Are, que le groupe nous revient. Une immersion des plus profondes dans les pensées mélancoliques de Samuel T. Herring, qui nous transporte dans son monde si sombre et pourtant si lumineux.

Formé par Gerrit Welmers, William Cashion et Samuel T.Herring en 2006 sur les cendres encore chaudes d’un premier groupe, le trio prend son temps et décide de sortir son premier album, Wave Like Home, en 2008. Un album brut, qui reflète l’état d’esprit de Herring à l’époque. Il est vrai que, si les deux premiers albums du groupe ne sont pas des plus épurés, leurs sonorités en sont, elles, des plus osées. Et si les débuts du trio n’ont pas été des plus faciles, c’est à l’occasion d’un live dans the Late Show with David Letterman, en 2014, pour la sortie de Singles, quatrième album du groupe qui révèle au monde son talent, entraînant une reconnaissance mondiale et leur ouvrant ainsi de nouvelles portes. On y découvre le corps vibrant de passion de Herring sur Seasons (Waiting For You), une performance qui dépeint sa réalité et qui lève le voile sur cette énergie et cette aura physique indétrônables.

D’album en album le groupe se réinvente, sans oublier ce qui fait partie intégrante de sa réputation. Avec Singles, Future Islands arbore une nouvelle facette musicale, dévoilant une pop plus épurée, laissant de côté cette électro-punk des débuts. Un choix risqué, mais qui se voit sublimé par la plume de Herring, qui nous invite sans difficulté dans sa bulle émotionnelle, comme nous le livrent les paroles de A Dream of you and Me ou de A Song For Our Grandfathers. De véritables perles mélancoliques qui nous exposent avec brio cette nouvelle musicalité.

Après trois années intensives de tournées à travers le monde, c’est avec The Far Field que le groupe décide de refaire surface. Un album qui contraste avec le précédent, de par son attitude plus pop sur certains morceaux, mais tellement complémentaire quant à la manière qu’a le groupe de nous raconter des histoires, aussi tragiques puissent-elles être. En effet, cette fois-ci, Herring nous confie ses peurs, ses doutes et ses émotions les plus sincères sur ses relations passées. Un album qui rejette encore une fois les excès des premiers, sans forcément s’éloigner trop loin de cette colonne vertébrale musicale tant appréciée de tous. Un album qui déborde de tristesse à travers une écriture plus poétique que jamais, comme sur Through the Roses, un titre nous laissant sans voix et qui nous expose les dessous de cette vie allant peut-être un peu trop vite pour Herring. Magnifiquement amorcé, ce titre nous dévoile la sincérité et la générosité du chanteur, qui développe au fur et à mesure cette envie de vouloir donner un moyen au public de se libérer de ses émotions refoulées.

Avec As Long As You Are, dernier chapitre en date pour le groupe, c’est un véritable voyage temporel qui s’annonce pour Herring et ses 3 compères, Mike Lowry se joignant officiellement au reste du groupe. Se confrontant à d’anciens fantômes tout en laissant la lumière de nouvelles lueurs d’espoir rentrer, cet album nous submerge de toutes ces émotions doucement amenées par Herring au fil du temps. Un chef-d’œuvre mélancolique porté sous le signe de l’honnêteté et de la confiance en soi, mais surtout de la confiance que l’on peut accorder aux autres. S’apparentant à un message de rédemption, As Long As You Are nous laisse entrevoir la guérison de vieilles blessures encore ouvertes.

Enregistrées dans la ville de Baltimore, aux États-Unis, de nouvelles mélodies synthé-pop viennent s’ajouter au catalogue déjà fourni du groupe, apportant avec elles de nouvelles couleurs surplombant la voix habitée de Herring, qui nous avait tant manqué.

Un nouveau voyage qui débute avec les notes romantiques de Glada, ballade introspective sur fond de synthétiseur ondulant. Un premier titre qui nous donne instantanément la couleur de ce nouvel album s’annonçant déjà unique en son genre. Un repos de courte durée pourtant, coupé par les notes un peu old school du groupe qui remonte le temps avec For Sure. Un second titre lourd de sens qui ne laisse pas d’autres choix à notre corps que de se dandiner sur ce rythme fort. Les riffs plus pop-rock se poursuivent ensuite sur Born In A War.

Un démarrage haut en couleur qui laisse place à I Knew You, accalmie sentimentale portée par la plume gorgée de tristesse de Herring. Ce titre est une véritable ode à un amour interdit qui n’est plus ce qu’il était, faisant ainsi référence à tous ces obstacles rencontrés en cours de route. C’est par la suite, grâce à City’s Face, que le rythme accumulé depuis le début redescend pour nous offrir le pic émotionnel dont on avait besoin. Portée par un synthétiseur digne des années 80, l’écriture poétique de Herring ne cesse de nous faire ressentir des émotions oubliées, parfois enfuies au plus profond de nous-même.

It’s so strange, how a person can change a city’s face

Par la suite, le rythme fort du début nous revient en plein visage avec Waking, titre venant tout droit réveiller nos entrailles, et ce de la plus belle des manières. On y retrouve cette touche pop d’il y a quarante ans, digne des grands groupes de l’époque. Ce sera ensuite ce rythme qui s’enchaînera ainsi pendant près de 20 minutes avec des titres s’apparentant à de véritables lettre d’amour comme nous l’expose Moonlight, et ce, jusqu’à l’apogée que nous apporte Hit The Coast. Ce message d’adieu à la personne qu’il aime résonne dans nos cœurs et nous fait ressentir toute la douleur que Herring nous chante. Et comme pour fermer ce chapitre chargé d’émotions qu’est As Long As You Are, ce dernier titre est une véritable pépite musicale, qu’il s’agisse de l’écriture de Herring ou des arrangements tout simplement brillants du groupe.

As Long As You Are, c’est un véritable combat entre démons passés et futurs que nous présente Future Islands. Encore une fois le groupe ne cesse de nous surprendre avec un sixième album étonnement éblouissant, qui méritait amplement cette longue attente. Depuis plus de quatorze ans maintenant, le groupe nous chamboule et réveille nos émotions interdites. Alors oui, la musique, disions-nous au début, est souvent vue comme un moyen cathartique d’exprimer les choses. Une fois de plus, Future Islands nous le prouve, et on espère qu’ils continueront pendant encore de longues années.