| Photo : Daniel Mayne
Si la voix chaude et réconfortante qui se cache derrière les mélodies ensorcelantes de Dope Lemon vous semble familière, c’est normal. Depuis près de quinze ans, Angus Stone nous conte ses peines et ses joies aux côtés de sa sœur, Julia, sur les scènes du monde entier. Et pourtant, échappé en solitaire depuis ses débuts, c’est sous son dernier alias en date, Dope Lemon, qu’Angus Stone nous revient en 2016. Un voyage intense et langoureux au cœur de son imaginaire psychédélique, qu’Angus réitère avec un troisième opus des plus poétiques. Alors, bouclez votre ceinture et laissez-nous vous emmener dans cette nouvelle aventure layback qu’est Rose Pink Cadillac.
L’ère Big Jet Plane
Nous sommes en 2007 quand nous découvrons pour la première fois les voix presque innocentes d’Angus & Julia Stone, frère et sœur originaires de Newport dans les environs de Sydney en Australie, au travers d’un premier album des plus acoustiques. L’année suivante, le duo s’offre un second album se positionnant à la cinquième place des classements australiens, et se transforme rapidement en un disque de platine. La machine est en route pour le duo plus que prometteur. Ce n’est qu’en 2010 que frère et sœur atteignent les sommets, grâce à un troisième album étincelant, offrant ainsi la chance à des millions de personnes de se mettre le mythique Big Jet Plane dans les oreilles pour la première fois.
Cependant, après six albums et de nombreuses tournées, le duo à la renommée internationale a d’autres projets derrière la tête : Julia travaille sur un album en solitaire, quant à Angus, après un premier album en 2012, c’est sous le nom de Dope Lemon que l’Australien continue son aventure musicale. Un besoin commun de se détacher de cette écriture à quatre mains se fait alors ressentir au fur et à mesure des années. L’écriture de l’un ne colle plus à l’écriture de l’autre, et au final, c’est normal. Rassurez-vous, cela ne veut pas dire que l’alchimie familiale a disparu. Loin de là. Pour preuve, la sortie surprise cette année de Life Is Strange. Un septième album venu mettre en chansons les aventures des héros de ce nouveau jeu vidéo du même nom.
Voir la vie en rose
Un an avant la sortie de Snow en 2017, Angus nous dévoile son nouveau projet : Dope Lemon. Imaginé sur base de substances illicites – mais naturelles, évidemment -, Dope Lemon s’approche résolument de ces sonorités psychédéliques qui nous font voyager sans difficulté. Avec Honey Bones, premier album sous son nouveau nom, Angus nous chante sa passion pour les psychotropes et nous plonge dans ses rêves de la plus belle des manières. Une ambiance plus que chaleureuse qui ne nous donne qu’une envie, nous allonger sous les étoiles et oublier ce qui nous entoure. Un premier album aux arrangement très purs et authentiques, qui nous dévoile de nouvelles pépites comme Stonecutters ou Best Girl, mais qui a cependant du mal à percer les frontières de l’Australie. De nouveau, il s’agit ici d’un phénomène plus qu’ordinaire, car Angus prend un virage musical assumé avec ce nouveau projet. Une période qui prendra rapidement fin avec le succès à l’international de Marinade et de Uptown Folks, atteignant ensemble plus de 100 000 écoutes sur les plateformes de streaming.
Enregistré dans son ranch perdu dans les plaines australiennes, chaque album de Dope Lemon est une nouvelle aventure, avec de nouvelles histoires et de nouveaux personnages. Après ce superbe premier album, Angus ne compte pas s’arrêter là. Pendant trois années, entre les nombreuses sessions d’enregistrement avec sa sœur et son quotidien de cowboy vagabond, Angus nous prépare en cachette la suite de l’aventure.
Nous sommes alors en 2019 quand Smooth Big Cat arrive dans nos oreilles impatientes. Le maître-mot de ce deuxième album : la décontraction. En effet, écrit autour d’une bouteille de whisky au bord d’un lac, guitare à la main, Angus nous plonge cette fois-ci dans les péripéties et les émotions en tous genres de ce personnage principal imaginaire qu’est Smooth Big Cat. Des sonorités proches de son prédécesseur, qui nous envoient pourtant dans un univers encore plus langoureux et hypnotisant. Une immersion directe dans cette atmosphère tant nonchalante que mélancolique, avec notamment le somptueux Hey Little Baby, véritable déclaration d’amour venue détruire nos petits cœurs apaisés par le reste de l’album.
Une fois de plus, Angus nous invite à nous oublier dans nos rêveries, loin de l’absurdité du monde, et ce, le temps d’un instant. Une grande partie de l’album s’appuie ainsi sur ce personnage central, qui se balade tel un fantôme bienveillant à travers les pièces de ce fameux ranch. « C’est un chat très cool. Il aime juste veiller tard, boire des coups et écouter des vieux disques. » racontait Angus à nos collègues de Rolling Stone lors de la sortie de l’album.
Embarquez, la navette décolle
Après le succès de Smooth Big Cat, lui valant une première tournée européenne sous l’étendard Dope Lemon, Angus n’est pas en reste. De nouvelles histoires plein la tête, c’est dès son retour d’Europe que l’Australien se met à l’écriture du prochain chapitre. Ses albums s’organisant, la majeure partie du temps, autour d’un même fil rouge, Angus nous raconte ici sa version de l’amour idéal, celui aux apparences époustouflantes. Cet amour qui nous paraît parfois trop beau pour être vrai mais qui, au final, nous arrive en plein cœur. Un amour symbolisé métaphoriquement par cette sublime Cadillac Fleetwood rose des années 60.
Sans surprise, on y retrouve les premiers singles dévoilés par Angus quelques mois auparavant. Avec Rose Pink Cadillac, Kid’s Fallin In Love, Every Day Is A Holiday aux côtés de Winston Surfshirt, et Stingray Peet, la couleur générale était annoncée. Cependant, c’était sans compter sur l’imaginaire débordant de celui-ci, désireux de s’aventurer toujours plus loin dans de nouveaux territoires sonores. High Rollin en est alors le parfait exemple. Énorme coup de cœur personnel, ce morceau marque l’histoire de l’artiste, qui s’essaye au français pour la première fois de sa carrière. Une expérience des plus réussies, qu’il partage à l’occasion, aux côtés de l’incroyable Louise Verneuil, venue déposer sa sensibilité sur cette mélodie impeccable. Outre le soutien sans faille du charismatique Alex Turner, avec qui elle partage son quotidien, Louise Verneuil fait partie de ces artistes françaises talentueuses qui arrivent à mêler des arrangements rock très travaillés, avec une sincérité aussi douce qu’elle peut être brute.
Emmène-moi dans un voyage sur la route
Ma petite chérie
Dis-moi toutes les choses que tu connais du monde
On a fait le plein, un paquet de cigarettes
Et les rayons du soleil dans les yeux
J’ai vu ton sourire, tu me donnes le soleil dans les yeux
Les surprises s’enchaînent sur ce nouvel album. Avec Howl With Me, Angus nous plonge dans un univers très gainsbouresque. Sur fond de riffs entêtants et de percussions tout droit issues des bushs australiens, celui-ci nous raconte l’histoire d’amour naissante entre une jeune fille élevée par des loups et ce gigantesque ours, qu’elle rencontre lors de sa quête d’une nouvelle vie. Une histoire d’amour au final, des plus sincères, qui semble s’enflammer avec cet incroyable solo de guitare en guise de clap de fin. Peu de temps après, le cotonneux Sailor’s Delight vient nous apaiser. Un titre qui dépeint cette honey moon phase dans les relations amoureuses, ce moment magique où deux univers différents s’emboîtent, afin de laisser place à un potentiel nouvel amour. L’atmosphère de bord de mer y est poussée à son maximum, et ne nous laisse pas d’autre choix que de fermer les yeux avant d’être emporté par la douceur qu’Angus a décidé de nous offrir ici.
Il n’y a plus de doute, l’amour sous toutes ses formes est bel est bien la colonne vertébrale de ce nouvel album. Lovesick Brain vient alors nous le confirmer avec sa mélodie enivrante très chaleureuse. Ici, Angus nous parle d’amours de jeunesse, cet amour presque innocent et naïf en fin de compte. La mélancolie de Lovesick Brain réside alors dans la simplicité des relations que l’on pouvait avoir à cet époque. Une simplicité qui nous semblait pourtant si spéciale sur le moment.
I don’t mind if you wanna go back to how things were
We can go to the place where we used to go get drunk
When I saw you
Dancing on the floor
She got them pretty eyes that make you hit the wall
She got that sunshine that has you asking for more
Une part de noirceur habite tout de même ce nouvel album. Avec des sonorités nous rappelant sans vergogne celles de Hounds Tooth, premier EP du groupe après la sortie de son premier album, ce sont des lignes de basses plus sombres qui nous arrivent dans les oreilles. « Yeah Baby, I Got a Monster in My Head », nous chante-t-il par exemple sur God’s Machete. Rassurez-vous, Angus Stone va bien. Même s’il est certain que les émotions de l’artiste rentrent aussi en jeu dans son processus d’écriture, ne perdons pas de vue que Rose Pink Cadillac s’organise autour d’histoires ayant vu le jour dans l’imaginaire de celui-ci. Stingray Pete en est d’ailleurs le parfait exemple. Sur fond de country plus sombre qu’à son habitude, Angus nous conte les récits nocturnes de ce cowboy australien.
Malgré un détachement constant de ce côté plus acoustique, auquel Angus nous a si brillement habitués au fil des années, Rose Pink Cadillac est potentiellement son album le plus complet. Entre mélodies gorgées de soleil australien, nous donnant des envies de roadtrip improvisé, et des sonorités plus dures, nos émotions sont mises à rude épreuve pendant plus de cinquante minutes. Rose Pink Cadillac est alors un véritable voyage, dans lequel Angus prend les commandes de la Cadillac, et ce, pour nous emmener avec lui dans son univers tant luminescent qu’ombrageux. Un voyage qu’il nous tarde de découvrir sur la scène de Het Depot et du Trix en mars prochain, du moins on croise les doigts.
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.