Avec Close to Your Heart, Ed Mount fait le pari d’une pop exigeante et efficace
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
10/03/2022

Avec Close to Your Heart, Ed Mount fait le pari d’une pop exigeante et efficace

| Photo : Clara Rouget

Trois ans après la sortie de son LP Left My Heart, Thibault Chevaillier enfile à nouveau le costume de son alter ego Ed Mount. Avec son album Close to Your Heart sorti le 4 mars dernier, il réanime la soft pop des années 70 sans toutefois tomber dans le piège du pastiche. En esthète, le musicien qui a fait ses armes dans le jazz signe une pop lo-fi et dansante, et livre ainsi un premier album hautement réussi. Incarnant un personnage de dandy décalé, insufflant à ses clips une touche d’humour et ayant pris le parti de débuter son album comme un late-show américain, le musicien, bien que perfectionniste, invite ses auditeur·rice·s à prendre de la distance. L’occasion semblait idéale pour discuter avec lui de la conception de l’album, de ses collaborations avec des figures de la pop francophone et de concerts que l’on désire plus que jamais vivants.

Bienvenue à tous·tes ! Prenez place, La Vague Parallèle vous emmène dans les coulisses de l’Ed Mount Show

La Vague Parallèle : Salut Ed ! Ton précédent LP s’appelait Left My Heart, tu t’apprêtes à sortir ton premier album nommé Close to Your Heart, l’as-tu envisagé comme une suite ou comme un nouveau projet ?

Ed Mount : Je n’ai pas fait exprès mais on a quand même fait un clin d’œil au précédent avec la pochette du nouvel album. On a fait la même composition avec ma tête en frontal. Mais pour le titre, je n’ai pas fait exprès.

LVP : Quel a été le point de départ de l’album ? Est-ce qu’il s’agit d’un assemblage de morceaux que tu avais çà et là, ou au contraire tu es parti d’une idée précise, d’un concept, d’une couleur ?

Ed Mount : Non, je ne suis pas du tout parti d’un concept. J’ai écrit des morceaux comme on le fait tous·tes et ensuite on choisit dans ce tas de chansons. Après en général, je n’écris pas énormément de morceaux et ceux que j’écris finissent sur le disque. Je n’ai pas un surplus de quinze titres dont je ne sais pas quoi faire. Là, j’avais mes neuf morceaux, j’en avais peut-être même huit et puis j’ai dû en rajouter un ensuite pour faire un album. Le concept global est arrivé plutôt après. On a homogénéisé tout ça à la fin, on a essayé d’harmoniser l’ensemble autour de cette espèce de personnage que j’ai créé sans créer, avec ce costard un peu trop grand, etc. Il a un peu unifié le projet.

LVP : Ce qui est marquant lorsqu’on écoute ta musique et peut-être encore plus avec cet album, c’est la dualité entre un son assez vintage et quelque chose de plus moderne, avec parfois même des accents presque R’n’B. Est-ce que c’est voulu ? Comment as-tu pensé l’instrumentation de cet album ?

Ed Mount : Avant de le commencer, je savais déjà un peu la couleur que je voulais, c’est-à-dire un truc plus ancré dans les années 70 que 80. Je voulais que tout soit joué. Alors tout n’est pas joué en live, il y a des overdubs, des boîtes à rythmes, etc., mais je voulais que la basse soit presque un disque des années 70. En tout cas, je l’ai pensée dans cette décennie-là. Et après, il y a un peu deux trucs qui se détachent : les morceaux avec batterie et les morceaux avec boîtes à rythmes qui sont un peu plus R’n’B du coup. Mais c’est un truc que je kiffe de plus en plus et je vais plus vers une sorte de pop, soft pop 70’s plus que R’n’B.

LVP : Comment s’est passé l’enregistrement de cet album justement ? Vous enregistriez piste par piste ou ensemble dans une même pièce ?


Ed Mount : J’ai fait tous les pré-mix à la maison et après quand j’avais besoin de batterie on allait en studio. En fait, le seul truc qu’on a fait en studio ce sont les basses et la batterie, et même pas pour tous les morceaux. Le tout en une journée. Et ensuite les voix je les ai faites un peu partout, là où je me trouvais, chez moi, dans des studios…

LVP : Tu signes une pop assez efficace, lo-fi, et en même temps on sent que tu es très minutieux sur le travail des mélodies, des textures et des harmonies. Est-ce que tu as des procédés de composition et d’écriture définis et si oui, quels sont-ils ?

Ed Mount : J’écris les accords en premier en général, avec la mélodie en “ouh-ouh” même pas en yaourt, juste comme une ligne mélodique, comme si c’était un instrument, une trompette, un saxophone ou n’importe quel autre. Après, j’appose les paroles dessus, ce qui est vraiment difficile parce qu’il faut qu’il y ait les bons pieds et que les mots rentrent au bon endroit. Donc c’est en deux temps, je compose principalement toujours comme ça.

LVP : Dans ton album, on découvre un feat avec David Numwami. Il s’agit actuellement du seul morceau en français de ta discographie. L’as-tu appréhendé différemment ?

Ed Mount : Non, parce qu’en fait j’avais déjà produit ce morceau de mon côté. Tout était là : la structure, les accords, etc. Puis je suis allé en résidence à Bruxelles et avec David on a écrit la mélodie et les paroles ensemble. On n’était pas du tout fermés sur le fait que ce soit en français ou en anglais. C’est le français qui a gagné et j’étais très content parce que ça fait le pont avec ce que je suis en train de faire en ce moment, c’est-à-dire écrire en français. Donc ce morceau est un peu charnière pour la suite. C’était mon premier morceau en français donc je suis très content de l’avoir fait avec David pour débuter.

LVP : Comme on vient de le dire, tu travailles beaucoup l’instrumentation, les arrangements, etc. Tu ne pourras sans doute pas restituer les morceaux tels quels lors des concerts. Comment imagines-tu le live ?

Ed Mount : On est en train de le faire donc je ne peux pas complètement répondre, si ça se trouve ça va être une cata. L’idée c’est de ne pas du tout essayer de retranscrire le disque parce qu’effectivement on ne pourra pas, il y a trop d’éléments. Quand tu es en studio, tu peux toujours rajouter des couches et des couches. Là, on va prendre l’essentiel. Après presque deux ans sans jouer avec des gens, je veux qu’on joue, que ce soit un groupe qui joue. J’ai d’ailleurs pris une équipe où tout le monde chante, c’est très important pour moi pour ce nouveau projet. Je veux que tout le monde chante, qu’il y ait des chœurs, vraiment comme un groupe des années 70. On fait de la musique pour faire ça, pas pour rester derrière un ordi et faire “clic”. Là, l’idée c’est de jouer, avec tous les défauts que ça peut comporter. Aujourd’hui, on veut des shows parfaits. Ce ne sera peut-être pas le cas mais au moins, il y aura de la vie et ce sera vivant. Je pense que les gens ont besoin de ça en ce moment.

LVP : On parle du live mais avant ça, il y a la période de création. Est-ce que ton album était écrit et composé avant cette période de Covid ou ça s’est fait pendant ?

Ed Mount : Il a principalement été écrit avant. Après, on s’est pris le Covid, j’étais tout seul dans mon appart, j’ai vécu ma meilleure vie. J’avais 60% de l’album, mais dans cette période bizarre, je ne me sentais pas de le continuer donc j’ai fait un EP de reprises avec 4 morceaux, qui est sorti notamment au Japon. Je l’ai fait avec la contrainte de n’utiliser que deux claviers et un sample de batterie, donc quelque chose de très limité parce qu’on était dans une période compliquée. J’avais envie de marquer le coup en faisant quelque chose de différent, plutôt que mes morceaux. J’ai fini ce disque, enfin ce mini-EP pendant le confinement, et ensuite j’ai repris mon album. Donc ça m’a fait une pause dans mon album, je m’y suis replongé ensuite en ayant joué la musique des autres, ça m’a fait du bien en fait.



LVP : Tu penses justement que ça a eu un changement significatif dans ta manière de travailler ta musique ?

Ed Mount : Pas vraiment. Je n’en parle pas d’ailleurs. Je l’ai juste mentionné dans un petit texte qui accompagne ce mini-EP, où j’explique qu’il a été fabriqué pendant une période compliquée qu’on a tous connue. Je ne sais plus exactement ce que dit le texte, je ne parle pas directement du Covid mais tout le monde comprendra parce que c’est entre mars et mai 2020. Je l’ai donc juste mentionné mais sinon dans l’album Close to Your Heart, je n’en parle pas et ça n’a pas du tout déteint dans la musique, ni dans l’écriture.

LVP : Sur cet album, on retrouve deux feat : l’un avec Flore Benguigui qu’on a déjà pu découvrir et l’autre avec David Numwami. Peux-tu nous parler de ces collaborations ?

Ed Mount : Celui avec Flore s’est fait très vite. Comme pour celui avec David, j’avais quasiment le morceau entier, j’avais la mélodie et les paroles du refrain. Je me suis dit que j’aimerais bien une voix féminine pour les couplets et j’ai proposé à Flore qui a dit oui. Cela c’est d’abord fait par mail, parce qu’on était au deuxième confinement, ou en couvre-feu peut-être. Je lui ai envoyé le morceau, et lui ai dit : “ écoute, j’ai ce refrain qui a une thématique, est-ce que ça te dit d’écrire le couplet en fonction ? ”. Elle a accepté et m’a envoyé des paroles. C’était donc d’abord par mail, puis on s’est vus une fois pour tout corriger et valider les paroles. C’était la première fois qu’on se voyait. Un mois plus tard, on est allés en studio pour enregistrer la voix. On a fait le mix et c’était terminé.

LVP : En regardant les commentaires sous le clip de Distant Calls posté sur Youtube, on peut lire que certain·e·s voient avec ce morceau un clin d’œil à How Deep Is Your Love? des Bee Gees. Est-ce que c’est une référence qui te parle voire qui est voulue ?

Ed Mount : Je comprends très bien qu’on le dise. Je connaissais le morceau, je l’avais déjà entendu mais ce n’est pas voulu. On me l’a souvent dit, il y en a qui vont même jusqu’à parler de plagiat, il ne faut pas exagérer. En effet, il y a un truc dans la ligne de chant, une petite partie où on peut y penser mais ce n’est pas du tout une référence voulue.

 

LVP : Tu as également fait intervenir Ricky Hollywood pour les batteries et Blumi sur les voix. En parallèle de ton projet personnel, tu as aussi travaillé avec Malik Djoudi et Halo Maud. Comment te situes-tu par rapport à la scène pop francophone ? Quels liens tu entretiens avec celles et ceux qui la composent ?

Ed Mount : La pop c’est un peu une petite famille. Finalement, ça va très vite. À Paris, c’est un microcosme, on se connaît tous : machin joue avec machin, on fait parfois des remplacements pour tel ou tel groupe. C’est de la camaraderie. Enfin, ça ne marche pas avec tout le monde mais j’ai trouvé un peu les gens qui m’entourent. Là, je suis super content des personnes avec qui j’ai collaboré, que ce soit David, Flore, Ricky, Blumi, Halo Maud aussi même si elle n’est pas sur l’album.

LVP : Tu conclus ton album par Keepsakes,  un morceau qui se détache un peu du reste de l’album. Il est plus introspectif, a des couleurs harmoniques plus froides, d’où sans doute ce nom qui en français peut se traduire par souvenirs. Est-ce que tu pourrais nous parler de ce morceau, nous dire comment tu l’as composé et quelle place il a pour toi dans cet album ?

Ed Mount : C’est un morceau que j’avais écrit avant, c’est peut-être le plus vieux de l’album. Pour le coup, par rapport à ce que je disais tout à l’heure, c’était un des rares qui étaient dans les cartons. Il n’avait pas du tout cette forme-là, il était en quatre temps alors que là il est en trois temps. Ce n’était pas du tout pareil. Mais on ne s’en sortait pas avec ce morceau. On l’avait même joué en live à l’époque, et je m’étais dit que quelque chose n’allait pas. On l’avait mis de côté, puis je l’ai ressorti des cartons. Quand j’ai relu les paroles, ça me parlait. Je me suis dit qu’il y avait quand même une mélodie, quelque chose à faire avec. Je ne savais pas encore quelle forme il allait prendre mais je me suis dit que j’allais peut-être clore l’album par ça. Après je l’ai retravaillé, je le voyais comme une mélodie un peu Disney, très sucrée et je me suis dit : “ je ne vais pas chanter ça, ce n’est pas possible, on dirait La Reine des Neiges ”. Il y a vraiment un truc premier degré, naïf, que je ne me voyais pas chanter, ça aurait été trop kitsch, donc j’ai utilisé un vocodeur pour essayer de faire un décalage que je trouve pas trop mal. C’est une mélodie très pop mais peut-être un peu plus sombre, un peu plus mélancolique que les autres, moins solaire. La production a été faite comme ça parce je ne me voyais pas le chanter. Si un jour je devais le jouer en live je n’assumerais pas, donc autant qu’il soit déjà sous une forme hybride sur le disque. Et je l’ai vraiment vu après en dualité entre comment ouvrir l’album et le finir. J’ouvre avec ce morceau instrumental très talk show américain à la Jimmy Fallon, j’imaginais vraiment un groupe qui joue puis après tu as la caméra qui tourne, le présentateur avec son mug, etc. Et on finit par Keepsakes.

LVP : Au-delà de la création musicale, on parle souvent de l’importance du visuel dans la conception des projets et leur communication. Or, il semble que ce soit quelque chose auquel tu t’intéresses puisque tu as fait des études de graphisme et a également participé à des ciné-concerts. Quelle place accordes-tu à la conception visuelle dans ton travail ?

Ed Mount : En général, ça arrive après, même si lorsque je compose je peux avoir des images, voir un truc que je n’ai jamais vécu ou revivre quelque chose que j’ai déjà vécu. Par contre c’est très fugace et repart, ce n’est pas comme si à chaque fois que j’écoutais le morceau, je me disais “ ah ça me fait penser aux vacances quand j’étais là-bas ”. Mais parfois, des images sont là. Pour ce qui est pochette, photos et tout, ça arrive après. C’est ce que je disais tout à l’heure par rapport au personnage créé, c’est venu ensuite, il est arrivé naturellement et c’est plus fluide comme ça plutôt que tout pensé dès le début. Tout marketer dès le départ c’est compliqué.

LVP : Pour conclure, est-ce que tu pourrais nous partager l’un de tes derniers coups de cœur musicaux, cinématographiques, littéraires, visuels, le champ est libre !

Ed Mount : Il y a un truc qui m’a marqué. Je suis allé au Palacio d’Abraxas de Bofill, qui est mort deux semaines après d’ailleurs. C’est un endroit qui me fascine depuis longtemps. Ça faisait peut-être 5 ans que je voulais y aller et je me suis enfin motivé à y aller le 1er janvier. C’était désert, grosse claque.

Voilà qui présage en somme de belles promesses et attise notre envie de le voir sur scène. Pour fêter la sortie de son album, Ed Mount se produira par ailleurs au Consulat (Paris), le 31 mars prochain. Un concert qui s’annonce plein de surprises et que l’on vous conseille de ne manquer sous aucun prétexte ! 

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