Avec GUTS, Olivia Rodrigo nous fait voir ce qu’elle a dans le ventre
"
Auteur·ice : Philomène Raxhon
21/09/2023

Avec GUTS, Olivia Rodrigo nous fait voir ce qu’elle a dans le ventre

| Photo : Jack Begert

Montre-moi tes tripes, je te dirai qui tu es. Telle est la philosophie du dernier album d’Olivia Rodrigo, pop-star d’ores et déjà incontournable depuis la sortie fracassante de SOUR, en 2021. La jeune artiste se lance aujourd’hui dans l’exercice périlleux du second opus, pérégrination d’autant plus monumentale lorsque le premier vous a déjà valu sept Grammy’s et une place de choix dans le monde convoité des sensations pop à ne pas manquer. Can’t relate. Ce à quoi on peut s’identifier par contre, c’est aux haut-le-coeur de l’adolescence qui fane en âge adulte raconté dans GUTS, ce second album tant attendu. 

Au rayon non exhaustif de celles capables d’élever l’expérience de l’adolescence féminine au rang de chef d’oeuvre narratif, on compte Sofia Coppola, Justine Kurland, Deniz Gamze Ergüven, Céline Sciamma, Avril Lavigne et désormais, Olivia Rodrigo. Sur Sour, l’artiste américaine contait déjà le goût amer des tribulations teenager-esques du premier chagrin d’amour. Si GUTS explore lui aussi la vaste thématique des hommes, ces gros nuls, ce second opus sent bon les leçons apprises des erreurs passées pour mieux en faire de nouvelles. Parce que c’est pas qu’on se fait toujours entuber, c’est juste qu’on a soif de savoir.

L’album s’ouvre sur un air de guitare. Posée, sage, presque angélique, Olivia Rodrigo fait son entrée dans la mélodie de all-american bitch comme une mini-miss sur un podium du Kentucky. On serait bien mal avisé·es de penser que l’ex-star de Disney s’en tiendrait à ça. En l’espace d’une seconde, le morceau vrille de la ballade de comédie romantique façon Ten Things I hate About You aux cris punk de groupe qui désespère une mère digne de Freaky Friday. Puis, aussi vite qu’elle est arrivée, la bande son rébellion se transforme à nouveau en hymne de fille rangée. Rodrigo extrapole sa recette préférée, celle qui consiste à faire valser son auditeur·ice comme une feuille dans le vent, nous saisissant in extremis avant que la brise ne nous emporte trop loin. Descentes vertigineuses, rattrapages en vol, un jeu de va-et-vient que l’artiste maîtrisait déjà timidement sur brutal, premier titre de SOUR, dont les violons jurent avec le fracas du reste du morceau.

Autre recette récurrente, celle de la ballade de l’inadaptée. Il y a teenage dream, morceau plein de mélancolie qui clôt l’album sur fond de douloureuse admission d’une presque plus ado qui n’a déjà plus rien à donner. Olivia Rodrigo y explore la fin de ses années lycée – ou plutôt, fait le deuil d’une insouciance de jeune fille qu’elle n’aura jamais, baladée comme elle l’a été dès l’âge de six ans d’audition en audition. Ce titre, il est pour les Miley, les Selena, les Lindsay, les Demi. Consciente de sa jeunesse exceptionnelle, Rodrigo n’ambitionne pas de jouer la nana lambda mais plutôt de donner à voir les écorchures des stars usées jusqu’à la moelle avant l’âge de vingt ans. Et puis, de toute façon, chacun·e ses tripes. Inadaptée, elle l’est aussi sur ballad of a homeschooled girl, hymne rock sur l’anxiété sociale qui nous rappelle l’âge d’or des premières sorties auxquelles on portait toujours le même t-shirt Blondie et péchotait toujours le même mec prénommé Marcelin. Folle époque. “Each time I step outside, it’s social suicide“, scande Olivia Rodrigo, mortifiée comme on l’a tous·tes été.

Si SOUR et GUTS ont une chose en commun, c’est bien la capacité de leur autrice à composer de la musique jouissive. Jouissive déjà quand Rodrigo appelait son ex un sociopathe sur good 4 u et jouissive encore maintenant qu’elle le traite de suceur de sang sur le premier single de GUTS, vampire, team Edward oblige. Drama queen décomplexée, Olivia Rodrigo transcende ses peines de cœur en opéra grandiloquent, élève les chagrins d’amour adolescents au rang d’enjeu moderne, celui de déconstruire ce qu’on a toujours appris aux filles : sourire et pardonner. Ici, pas de pardon, juste la rancœur, une “sweet revenge“. Rien d’étonnant, alors, que l’artiste pose dans le clip du titre get him back! avec un livre estampillé How to Mother Your Boyfriend (“comment materner son mec”) ou qu’elle fasse allusion à son psychologue de père avec les paroles “I am my father’s daughter, so maybe I could fix him“. get him back! – tout comme bad idea, right? ou love is embarrassing, bijoux d’auto-dérision – se démarque par son dynamisme, son irrévérence attachée à faire siens les comportements destructeurs, les erreurs répétées comme les riffs de guitare qui s’enchaînent, autant de coup de poings dans la poitrine imaginaire de ceux qui ont voulu la lui faire à l’envers.

I wanna meet his mom, and tell her her son sucks

Reine du titre punk rock strident accolé à une ballade doucereuse comme on porte une robe en tulle et des Dr. Martens, Olivia Rodrigo propose aussi un album parcouru de morceaux apaisés où la voix de la jeune artiste brille à la façon de ses débuts, ceux de driver’s license. Il y a making the bed, mais surtout lacy, ballade entraînante où Olivia Rodrigo raconte son coup de foudre platonique pour une autre fille, objet de tous ses désirs, provocation ambulante qui lui rappelle tout ce qu’elle n’est pas ; “I despise my jealous eyes and how hard they fell for you“. Peut-être à la base imaginée comme un aveu de son incapacité à ne pas se comparer aux autres filles, Rodrigo délivre finalement avec ce titre la plus belle déclaration d’amour de cet album. Parce qu’au-delà des mecs, des ex, la plus grande convoitise reste souvent celle que l’on porte aux autres femmes qui nous entourent. Jalousie, peut-être, admiration, sûrement, Olivia Rodrigo parle de ce vice comme de tous les autres, ne ménage aucun sentiment honteux dans ce second album du haut de ses 19 ans. Spill your guts, comme disent les ‘ricain·es.

Mauve:
Mauve: