Avec les yeux : réveil à l’aube de Fishbach
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Auteur·ice : Joséphine Petit
08/03/2022

Avec les yeux : réveil à l’aube de Fishbach

Il aura fallu cinq ans presque tout pile à l’incandescente Flora Fishbach pour nous confier un digne successeur à son premier disque. À l’époque, À ta merci nous avait littéralement avalé·es, mâchouillé·es, secoué·es sens dessus dessous, et recraché·es, changé·es. Fishbach avait très naturellement créé à la fois une voix, un personnage fougueux et une esthétique avant-gardiste du comeback des eighties.

Si certain·es désiraient y retrouver les marqueurs de l’artiste, alors que d’autres lui espéraient un nouveau souffle, Avec les yeux conjugue l’intelligence de combler toutes les attentes à la maturité d’aller plus loin encore. Sur une route sinueuse slalomant à travers les désirs et influences de sa créatrice, ce deuxième disque oscille entre plaisirs retrouvés d’une signature à la singularité inouïe et coups de théâtre inattendus et réjouissants.

Aujourd’hui, Fishbach n’a rien perdu de la force de frappe qui faisait toute la puissance d’un Mortel ou encore d’Un autre que moi. De Masque d’or à De l’instinct en passant par Démodé ou encore Presque Beau, sa voix prend la lumière et occupe magistralement l’espace. Le texte suit en ligne droite, la consacrant prêtresse au pouvoir d‘invocation d’images uniques. On ne peut que se réjouir lorsque “le désir loup-garou” et les “mille oiseaux dans ton carquois” attisent le sauvage et côtoient les délicieusement absurdes “mémoire qui rêve d’un torticolis” et déjà culte “je n’ai pas besoin d’interprète, j’ai des chaussures”.

La puissance de la composition est de nouveau portée par un groove et une éloquence toujours raffinés, qu’ils se cachent dans la basse addictive et dansante d’un Masque d’or, dans les synthés eighties de Presque beau, ou encore dans les guitares éraillées ressuscitées de Nocturne et La Foudre. A mi-chemin entre le lâcher-prise qui enveloppe Tu es en vie aux refrains anglophones divinement régressifs, et le contrôle jubilatoire de De l’instinct où les mots inversent la tendance en habillant l’instrumentation, Fishbach continue d’enfiler son costume de scène, dans lequel on la devine aisément sauter d’une falaise à l’autre comme on enjamberait un ruisseau.

Là où le pari est risqué, mais remarquablement réussi, c’est dans la brume des Ardennes, où vit désormais Flora, qui se dépose délicatement sur certains morceaux. Quand Nocturne nous emporte dans “l’aube bleue”, la grandiloquence de Téléportation invoque les forêts de l’est, et la douceur d’Arabesques ne fait qu’animer l’amour que l’on peut porter à la nuit et ses échos. C’est alors que l’allure idéalement baroque apposée au retour de la jeune femme se fait non seulement forte de références, mais sûrement à contre-courant de l’émulsion actuelle des villes.

 

Quant à la beauté de l’écriture de Fishbach, elle atteint son paroxysme dès les premières notes de Quitter la ville, dans une ballade parfaitement soyeuse qui fait tout honneur à son homonyme, et dans laquelle on flâne avec plaisir le plus longtemps possible. Tandis que Dans un fou rire, au texte doux-amer à envoyer valser les cœurs sensibles, fait état de cette aura magistrale qui drape la voix de Flora depuis ses débuts, des graves aux aigus et du pointillisme au trémolos.

Ne soyons pas mesuré·es, Avec les yeux est un disque évocateur d’images et attiseur de sens, habité par une voix et une incarnation sans pareilles. Nul doute qu’il vivra aussi longtemps que son prédécesseur, si tant est que nous ayons à attendre encore cinq ans avant le prochain. Et si l’envie reste contagieuse de relever les références et hommages dans ses morceaux, il semble aujourd’hui temps de cesser les comparaisons, tant musicales que temporelles. Fishbach fait du Fishbach, et c’est très bien comme ça.

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