San Juliet c’est le gars qu’on voit souvent derrière les platines de Rinse.fm, s’appliquant à faire une transition entre Caroline Polachek et TH quand il ne sort pas des mashups Jul x Aphex Twin sur Soundcloud. On le savait excellent producteur pour des rappeurs, avec Medbanger, comme sur l’excellent Fidel de Gen ou le dernier Hyacinthe. Le voici tout seul, ça s’appelle Liverpool.
« À la fin d’une tempête, il y a un ciel doré, et le doux chant d’argent d’une alouette » chantent en anglais les supporters des reds, écharpes rouges tendues vers le gazon d’Anfield. L’oiseau chanteur prend de la hauteur, on s’envole avec lui, au rythme de ses vocalises d’espoir, celles qu’on croit percevoir dans l’introduction de Liverpool, notes qu’on croirait entendre dans le petit matin d’une rave anglaise, quand on est repu d’avoir mangé la nuit, plus rien n’est pesant.
La caméra tremble pour s’arrêter sur les yeux d’un supporter particulièrement ému. De longues nappes oniriques de synthé recouvrent bientôt entièrement le You’ll Never Walk Alone des Kopites. C’est le frère de San Juliet, dont les yeux brillent. En février dernier, le producteur et DJ parisien décide de traverser la Manche avec lui. Au programme, le cinquième tour de l’historique FA Cup (La Coupe d’Angleterre de football) avec un déplacement compliqué pour Southampton sur les bords de la rivière Mersey.
On décolle. La basse se confond avec le réacteur de l’avion easyJet, les oreilles se bouchent. La pression chute mais une mélodie vibrante nous ramène à la vie. Cette boucle de guitare flamenco accélérée ne nous quittera plus, on ne veut pas la quitter, c’est le ciel doré.
Rare il faut bien le dire, à Liverpool. San Juliet nous en fait une rapide visite. Sous un ciel blanc qu’on connait bien à Bruxelles, derrière un brouillard qu’on connait aussi bien à Bruxelles, un Ikéa. Des camions, des usines. Des maisons en briques et grises. La bourbeuse Liverpool est-elle encore « le centre de la conscience de l’univers humain », comme s’emportait le poète Allen Ginsberg ? Après les Beatles, il y a eu Thatcher, qui voulu laisser Liverpool mourir. La désindustrialisation précède le chômage et la pauvreté.
Le LSD ne fait plus les mêmes effets qu’à l’époque de l’âge d’or de la contre-culture américaine. Mais souvenons-nous, semblent dire la basse de San Juliet devenue acid, qu’à la fin du siècle dernier, des baskets dégueulasses tapaient le sol d’usines désaffectées sur une acid house qui venait de traverser l’atlantique.
Liverpool est nostalgique et pour ça, semble taillé pour rentrer dans l’automne 2024, en bus, derrière des vitres embuées. Score finale : 3-0 pour les reds. Au tour suivant, l’ennemi United cloue les espoirs d’un nouveau titre des scousers, avec un but à la dernière minute des prolongations. Mais, « bien que tes rêves soient ballotés et soufflés, marche, continue, avec espoir dans ton cœur. Et tu ne marcheras jamais seul, tu ne marcheras jamais seul. »
C’est du rap, le plus bel art mon frère