Banane Bleue : l’expédition de Frànçois & The Atlas Mountains dans l’Europe de la pop
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Auteur·ice : Jeremy Vyls
03/03/2021

Banane Bleue : l’expédition de Frànçois & The Atlas Mountains dans l’Europe de la pop

Dans son nouveau manifeste, Banane Bleue (Domino), Frànçois & The Atlas Mountains chante les amours déchus au temps de la digitalisation à outrance. Le tout en titillant nos déhanchés, dans une exploration pop lumineuse. “J’ai voulu rappeler que la pop indé a été une révolution qu’on a un peu oubliée”, nous lâche-t-il durant un coup de téléphone à la cool. Expédition oreille collée au combiné avec Frànçois, en passant par tous les états du courant alternatif.

François Marry nous avait laissé voici deux ans avec une interprétation musicale envoûtante des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire (sous le nom Frànçois Atlas). Pour un album sous l’étiquette The Atlas Mountains, son alter ego au format band, il faut remonter un an plus tôt à Soleil Mirage, poésie ancrée dans les rues des villes, teintée de la pop aux influences africaines si caractéristiques du groupe. Dans la tête de l’auteur-compositeur-interprète français, un retour en groupe 4 ans après est un petit événement. Le temps d’un bon vieil appel téléphonique entre Paris et Bruxelles – les visioconférences, c’est so 2020 – il nous explique : C’est mon étendard. Je suis vraiment écrivain de chansons sous le blase Frànçois & The Atlas Mountains. C’est mon intimité, mon expression de songwriter. Et puis il y a ce côté un peu nomade que l’on retrouve – plutôt sous forme européenne sur cet album – avec le groupe. Pour moi, Frànçois & The Atlas Mountains, c’est un livre d’aventures : ce n’est pas Tintin sur la Lune, c’est Frànçois à Athènes”, se marre-t-il.

L’axe Athènes-Paris-Berlin

Car oui, avec Banane Bleue, Frànçois nous fait son coming out d’Européen convaincu. Fidèle à sa nature de nomade, il s’est embarqué dans une expédition entre Paris, Berlin et Athènes pour mettre l’album en boîte. “Ça m’a permis d’être sous d’autres cieux, d’avoir d’autres sons dans mes oreilles. Au moment d’enregistrer, c’est bien de sortir du stress et de s’immerger complètement dans la musique”, se remémore-t-il. “À Berlin et à Athènes, villes étendues et peu onéreuses, on s’est juste laissé glisser dans la dolce vita.” Pratique quand sessions d’enregistrements riment avec prêts d’instruments et locations de lieux au gré du vent. “On a fait une partie de l’album à Nogent-sur-Marne, dans la périphérie de Paris – en résidence à la Maison d’Art Bernard Anthonioz, ndlr – où on a pu installer notre matériel dans une pièce au sein d’une maison de retraite. Cette partie-là était chouette, mais le plus compliqué dans notre phase parisienne était… Paris elle-même ! Je la trouve un peu speed et stressante, puis naviguer dans Paris c’est galère…”. Dans les capitales allemandes et grecques, le mood était plutôt pointé sur chill et pauses casse-croûte à longueur de journée. “À Berlin, c’était plutôt falafels, à Athènes souvlaki”, salive Frànçois.

Jaakko Eino Kalevi gourou pop, Renaud Letang gardien du folk

Pour l’accompagner dans ses escapades culinaires et farniente, Frànçois avait emmené dans son baluchon le producteur-musicien finlandais Jaakko Eino Kalevi. Le longiligne gars du Nord avait une mission : insuffler à Frànçois & The Atlas Mountains sa savante science de la pop immédiate. L’auteur de tubes aussi évidents que Macho ou Hush Down, ne pouvait que rendre encore plus frais le son de Frànçois – qui avait cela dit déjà trouvé il y a un moment la formule magique de l’association entre poésie et pop. “Ça a apporté beaucoup d’épure, beaucoup de place. Les morceaux sont construits autour d’éléments très basiques : quelques rythmiques, une bonne basse et des synthétiseurs par-dessus”, décrypte Frànçois. “Ça donne un son un peu intemporel. Il a une manière d’aller à l’essentiel qui donne beaucoup d’espace dans ses productions.” On imagine donc bien une entente immédiate, presque télépathique entre les deux musiciens. Selon Frànçois, c’était presque ça : “On ne se parlait pas du tout en fait : je jouais un truc, il me répondait “Nice”. Ensuite il enlevait mes parties et ajoutait ses trucs à la place (rires).”

 

“L’influence la plus présente : l’album I’m Your Man de Leonard Cohen

La marque du Finlandais est flagrante sur des titres comme Julie ou Tourne Autour : un son plus rond, plus solaire encore qu’à l’accoutumée. Les expérimentations pop ne sont cependant pas en reste : un lever de soleil sur du velours avec The Foreigner, ritournelle psyché sur Revu, crépuscule électro-mélancolique avec Dans un taxi. Une toile de fond sonore à la fois kaléidoscopique et cohérente, lorgnant parfois encore plus vers la douceur d’un Matthew E. White par exemple (Lee-Ann & Lucie). En complément de cette prod sauce finlandaise, c’est Renaud Letang (derrière la console notamment pour Feist ou Gonzales) qui s’occupe de la mise en boîte : garant de l’essence du son du groupe, le Français réalise un mix tout en scintillements folk. Carrément au sommet de son art sur Holly Golighlty, “façon Jonathan Richman”, précisait Frànçois au moment de la sortie du single. Les deux faces de la médaille Banane Bleue – côté pile tout en expérimentations pop et côté face en songwriting folk de haut niveau – se rejoignent en fait dans l’influence majeure de cet album : “La plus grosse influence, c’était I’m Your Man de Leonard Cohen, révèle Frànçois. “Lui qui est plus un songwriter à la guitare se fait ici produire un album avec des sonorités synthétiques et des boîtes à rythmes. À la fois jubilatoire et consternant.”

Banane électrique, romantisme désabusé et libre circulation

“Plus j’avançais dans l’album, plus je me disais qu’il allait falloir un titre immédiat (rires)…” Banane Bleue donc, CQFD. Théorisé dans les années 80, le concept géographique de “banane bleue” relie entre elles les grandes villes européennes, de Liverpool à Milan, dont les lumières vues de l’Espace se rejoignent pour former le fameux fruit bleuté. Comme un vieux souvenir de lycée – “Ça m’avait vachement marqué à l’époque, une banane dans le ciel européen” – la “banane bleue” devient chez Frànçois le lien culturel et amoureux qui unit les cités d’Europe entre elles. “Je me suis souvent demandé ce qu’aurait été mon histoire relationnelle si j’étais né sur un autre continent”, développe-t-il. “Notre idée de l’amour, qui vient des XVIII et XIXème siècles, est incrustée dans les murs et les parfums des villes, les cafés, les bars et les soirées, les vacances à deux, les week-ends dans une capitale. Comme s’il y avait un parfum romantique dans l’électricité européenne.” Un amour tendrement has been que Frànçois conte au temps de l’hyper-digitalisation. Le doux-amer Coucou en est un parfait exemple : “Celle qui disait bonsoir mon amour (…) / texte désormais / Coucou (…) comment vas-tu ? / Comme si elle ne m’avait jamais vu nu.”

 

“On est un peu dans une république bananière digitale.”

Ayant plus qu’une histoire d’électricité en commun, la banane et l’amour partagent un territoire bien plus politique pour Frànçois. “Le concept de la banane fait écho au côté exotique du fruit, et par extension à l’idée de la “république bananière” – ces pays dont les gouvernements, instaurés par des puissances étrangères, ont pour but de faciliter la production d’une unique marchandise (par exemple la banane) qui profite à l’économie d’un autre pays. Aujourd’hui, on entre dans une ère digitale où la vie des citoyens est mise au service des grandes entreprise de la Tech ; nos histoires d’amour, nos passions intimes, sont complètement reléguées au monde de la data. On est un peu dans une république bananière digitale.” Sillonner physiquement l’Europe pour créer cet album, c’était en quelque sorte le pied de nez de Frànçois à la fois aux pontes de la Big Data et aux fanatiques de la fermeture des frontières. “Pour moi, Banane Bleue est une ode à la liberté, dans une Europe somme toute encore apaisée, encore partiellement unie. On peut voyager entre Berlin, Athènes, Paris… C’est quand même un mode de vie génial.”

Cohérence polyglotte

Une fois branché dans la prise, le courant de Banane Bleue passe tout seul. L’atmosphère y est tantôt homogène, tantôt aventureuse, mais toujours cohérente. Un équilibre d’autant plus réussi car l’album réunit une collection finalement plutôt éclectique : morceaux ébauchés lors de la période bristolienne il y a 15 ans, un autre à l’aube d’un 18ème anniversaire, certains orphelins de musique jusqu’à l’arrivée du messie finlandais,… Et pourtant ce collage séduit instantanément, sous le prétexte d’une certaine idée du concept-album. Association gagnante qui fonctionne aussi grâce à la capacité de Frànçois de créer des atmosphères uniques au moyen de ses textes polyglottes : par ici en anglais (Holly Golightly : “Quand je vivais entre Bristol et Glasgow, la personne avec qui je traînais me faisait fortement penser à Holly ; du coup j’ai écrit la chanson en anglais, pour qu’elle puisse la comprendre”) ; par là en italien, finnois, grec et autres (The Foreigner : “E pericoloso sporgersi (…) / Vivaa hilta (…) / Kalispera (…)”) ; ou encore bilingue (Julie).

Sommet européen sous le signe d’une poésie qui fait du bien, Banane Bleue ajoute une pierre une fois de plus angulaire dans la discographie de Frànçois & The Atlas Mountains. Et affirme encore un peu plus François Marry comme l’une des plumes les plus douces, riches et sous-estimées de la pop indé contemporaine en français dans le texte.

Le sens de l’image

Une banane bleue, visuellement ça claque. Frànçois l’a bien compris : “La vie musicale aujourd’hui n’existe plus que sur TikTok et Instagram – des médias basés sur le visuel donc. J’ai compris qu’il fallait que j’étende ma musique dans cet éventail-là pour qu’elle soit comprise. Autant donc le faire d’une manière ludique, sensorielle et sensible : la banane bleue s’y prêtait à merveille”. Allant bien au-delà de la déclinaison sous toutes ses formes de la banane et du bleu, Frànçois est devenu par la force des choses son propre directeur artistique : s’entourant des clippers les plus frais de moment (Antoine Henault avec ses schtroumpfs-fleurs pour Coucou et Robin Lachenal et un Eurovision intergalactique sur Tourne Autour), ou mettant lui-même ses talents à contribution (les jolis décalqués de la vidéo d’Holly Golightly). Une véritable extension de sa musique, voilà comment Frànçois considère la création visuelle. J’ai besoin d’explorer mon expressivité intérieure. J’ai besoin que mes mains soient actives, qu’elles embellissent ; jouer avec des formes et des couleurs, c’est une activité qui fait beaucoup de bien à l’âme.”


  • 16-17 Mars : Café de la Danse (Paris – 2 représentations par soir)

 

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