Batist & the 73′, une certaine idée de la musique
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Auteur·ice : Paul Mougeot
11/04/2024

Batist & the 73′, une certaine idée de la musique

Photo : Agnes Carbone

À une époque où le numérique a pris le contrôle, rares sont les découvertes musicales qui laissent de la place à l’organique, à la spontanéité et à l’imperfection. C’est pourtant bien le cas de Batist & the 73′, qui vient tout juste de sortir un premier album qui célèbre cette vision de la musique anachronique mais ô combien précieuse. 

La Vague Parallèle : Hello Baptiste, comment ça va ?

Batist & the 73′ : Super ! Je suis très content que l’album soit sorti, j’ai des super retours. Je crois que les gens apprécient les petites mélodies que je fais humblement. Ils aiment bien la manière dont c’est enregistré aussi, donc que du positif.

LVP : Tu as un parcours musical qui est très éclectique, qui passe par une formation classique au conservatoire, de très nombreuses collaborations avec des artistes que tu accompagnes sur scène ou en studio, des premiers disques de grunge en solo et un album qui s’inscrit plutôt dans un registre de ballades comme ton dernier EP. Quel est le fil conducteur que tu dessines dans ces différentes expérimentations ?

B : Je dirais que c’est d’essayer de jouer ou d’interpréter des jolies chansons. Ce qui compte pour moi, ce sont les mélodies. La pop est toujours présente, je ne fais pas des trucs expérimentaux ou du hardos qui envoie à fond. Les personnes avec lesquelles je joue sont des personnes que j’apprécie et dont j’adore les chansons.

J’essaye juste de faire la même chose avec mes propres mots, mes mélodies et ma sensibilité. Avant, je m’exprimais avec de la grosse distorsion, maintenant ce sont plutôt de jolies guitares acoustiques et du piano. C’est simplement une approche un peu différente mais pour moi, c’est presque la même chose.

LVP : Finalement, peu importe le format, l’instrument, le style, on a l’impression que ta démarche transcende le domaine de la musique et qu’il y est tout autant question de passion et même d’amitié, non ?

B : Complètement. C’est pour ça qu’il y a autant de copains sur cet album, ce ne sont que des personnes avec lesquelles je joue sur d’autres projets. Et c’est sympa aussi parfois de chanter ses propres chansons, d’y mettre des couleurs plus personnelles, de s’embêter à faire des jolies prises, de faire ça comme dans un petit labo.

LVP : On se retrouve donc aujourd’hui à l’occasion de la sortie de ton premier album. Il s’est écoulé quatre ans entre la sortie de ton dernier EP et la sortie de ce nouveau disque. Qu’est-ce qui s’est passé pour toi pendant ce temps ?

B : J’ai beaucoup joué avec les artistes que j’accompagne sur scène et en studio : Cléa Vincent, Baptiste W. Hamon… Et en parallèle de tout ça, j’ai trouvé le temps d’écrire et d’enregistrer mes propres chansons, sur les quelques créneaux libres que j’avais ici et là. Ça m’a pris beaucoup de temps à mettre en place, quasiment quatre ans effectivement.

LVP : Est-ce que tu peux nous parler de la conception de cet album, de son histoire ?

B : Ce sont des chansons qui parlent d’histoires d’amour qui se déroulent souvent assez mal. Des histoires d’amour déçues ou bien des frustrations, des petites aigreurs. Des choses qui finissent bien aussi, de temps en temps. J’ai voulu parler de mes petites émotions, parfois de manière très premier degré, parfois de manière plus brute. Le point commun, c’est que pour chacune de ces chansons, il se passe des choses excitantes dans le son ou dans le songwriting.

Je pars toujours d’une base guitare-voix qui me plaît et je m’amuse à l’étoffer petit à petit. Au bout d’un moment, ça fait dix ou quinze chansons.

LVP : On retrouve quelques collaborations sur ce disque, avec des artistes que tu accompagnes habituellement sur scène ou en studio et qui cette fois se sont mis au service de ton projet. Comment cette inversion s’est-elle passée ?

B : Ça s’est passé naturellement parce qu’on est ami·es avant tout. Ce sont des copains très proches, avec qui je ne fais pas que de la musique. Donc quand je les appelle pour leur proposer de faire telle ou telle partie, c’est très fluide. Je peux leur exprimer simplement ce que je veux et les diriger de manière très naturelle. On boit un café ou une bière entre deux prises et on s’y remet, c’est un peu comme si on jouait au foot ou au basket ensemble finalement.

Iels se sentaient libres de proposer des choses spontanément, mais l’important, c’était que les prises soient toujours de jolies prises, avec un vrai mood qui s’en dégage. C’est presque plus important que le côté technique pour moi. Je tiens à ce qu’il y ait toujours une petite sensibilité, une petite magie qui se dégage de ces prises.

LVP : C’est vrai que ce qui marque immédiatement à l’écoute de ces nouveaux morceaux, c’est leur côté organique, spontané, très vivant. On dirait presque des instantanés d’un moment, d’une émotion, avec quelque chose de brut et d’authentique en eux, sans artifices. Est-ce que c’est comme ça que tu les as pensés ?

B : Ça me fait plaisir que tu l’aies ressenti parce que c’est vraiment ça qui me guide. Je veux qu’on ressente cette alchimie entre des personnes qui jouent ensemble. Ça implique qu’il y ait parfois des imperfections mais en tout cas, je crois que ça sonne vrai.

LVP : Ce que j’apprécie dans cet album, c’est que j’ai le sentiment qu’il célèbre une certaine vision de la musique, qui est faite de manière artisanale au sens noble du terme, entouré d’ami·es, de manière très organique. C’est une vision presque anachronique quand on voit les tendances musicales du moment, l’omniprésence des moyens de production numériques et le succès que rencontrent les morceaux surproduits. Est-ce que cet album, tu le vois comme un manifeste de cette démarche ? 

B : C’est exactement ça. Je te parlais d’imperfections tout à l’heure, moi je tiens à ce qu’on les laisse. Je veux qu’on ressente que ce sont des vraies prises avec des vraies personnes qui jouent, que ce n’est pas quelque chose d’hyper produit avec des pistes découpées qu’on a ré-assemblées par la suite. Je veux que ce soit vivant, que ce soit dans cet esprit-là. Donc parfois, ce n’est pas hyper en place, mais c’est ce que j’aime aussi dans la musique acoustique, j’adore ce côté naturel des instruments et des gens qui les jouent.

Je n’avais pas du tout le souci de faire quelque chose d’actuel. Le propos, c’était de mettre en valeur une espèce de songwriting qui se suffit à lui-même, pas quelque chose de composé à l’ordinateur. C’est vraiment une démarche différente : quand on compose à l’ordinateur, on tâtonne et puis on part de quelque chose qui sonne bien, sans trop savoir où on va. Là, c’était l’approche opposée. j’avais une chanson, elle existait en guitare-voix et je construisais sur cette base. Je pense que c’est presque quelque chose d’intemporel, dans le fond. Je voulais que dans dix ans, ça ne sonne pas ringard ou très daté. C’est déjà quelque chose d’intemporel donc je me dis que ça vieillira bien.

LVP : C’est cette vision que je retrouve dans ton entourage aussi, notamment le Super Pizza Club, le collectif monté par Kim Giani, avec ce côté très spontané qui met toujours la musique au premier plan, en dépit des stratégies marketing, de la communication… 

B : C’est vrai qu’on a à coeur de parler d’abord de musique. On ne regarde jamais les choses sous le prisme commercial ou économique. C’est aussi un espace très bienveillant artistiquement, on se sent très fort et très soutenu ensemble. C’est une vraie petite famille qui aime le songwriting avant tout et qui l’exprime de plein de manières différentes, de la coldwave en passant par le hardos. Et on joue souvent les un·es avec les autres donc c’est hyper naturel !

LVP : Je sais que tu fais une distinction claire entre le travail que tu fais pour d’autres artistes et ton projet personnel, mais je me dis que le fait d’être souvent en tournée doit forcément influencer ta musique. Est-ce que ce sont ces émotions de spleen, de fatigue physique ou émotionnelle, que l’on retrouve parfois dans tes morceaux ?

B : Pas forcément, parce que j’adore vraiment être en tournée. Je suis toujours hyper heureux, c’est la fête tout le temps ! Après, c’est vrai que je déprime un peu quand je rentre, c’est plutôt à ce moment-là que le spleen s’installe – même si c’est un peu moins vrai depuis que j’ai une copine (rires).

C’est ce qui est difficile, dans ce métier : il y a des moments où tu fais plein de dates et puis tu rentres et il n’y a rien du tout pendant une semaine ou deux. Soit tu es tout·e seul·e chez toi et c’est difficile à gérer, soit tu enchaînes plein de dates avec des groupes différents et il faut se rappeler de tes parties, être hyper concentré·e… Ce grand écart peut être compliqué à appréhender. C’est aussi pour ça que ça prend du temps pour créer, il faut attendre que ce spleen passe puis reprendre ta guitare et ça repart.

LVP : À titre personnel, dans l’émotion, le ressenti, l’épanouissement, quelle différence tu fais entre être sur scène pour d’autres projets et jouer tes propres chansons ?

B : C’est une bonne question… Ce sont des émotions totalement différentes, ça c’est sûr. Les deux sont très fortes mais très différentes. Après un concert où j’ai joué mes chansons, je me sens tout fuzzy, un peu surexcité. C’est une autre énergie. Je me sens à poil quand je chante mes chansons, j’ai l’impression d’avoir tout donné de mon intellect et de mes émotions. Alors que quand je joue avec d’autres, je me mets au service d’un projet. Je donne tout bien sûr, mais je ne transmets pas mon petit supplément d’âme de la même manière.

L’après-concert est très différent quand tu joues seul, aussi. Tu passes d’un moment hyper intense à un grand sentiment de solitude, tout seul dans ta loge. Pendant le confinement, j’avais fait un concert en livestream. Donc je joue ma musique dans ma chambre devant une centaine de personnes et à la fin du concert, j’ai éteint mon ordi et je me suis retrouvé tout seul dans ma putain de chambre, c’était l’horreur. Je me sentais hyper fébrile, je voyais encore les commentaires défiler mais je me sentais tellement seul ! C’était l’angoisse. C’est ça qui est dur quand tu tournes tout seul, tu passes d’un état extatique à une solitude absolue.

LVP : Justement, comment vas-tu le faire vivre sur scène ce projet ?

B : J’ai deux formules : une en solo en guitare-voix, avec des pédales d’effet et une boîte à rythmes. C’est une version un peu étoffée du guitare-voix d’origine. Et j’ai aussi une formule en trio qui est plus punchy, avec une basse et une batterie en plus.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu as un coup de cœur musical à partager avec nous ?

B : Depuis deux ans, je ponce beaucoup un double-album de Wilco, Cruel Country. C’est purement du songwriting et contrairement à leurs albums précédents, il est totalement sans artefacts. Un retour aux sources et aux jolies guitares acoustiques, avec des morceaux qui sont vraiment des chefs-d’œuvre d’écriture.

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