Lorsqu’on rencontrait bdrmm en juin dernier, c’était un peu avant la sortie de leur deuxième disque, I don’t Know. C’est donc en visio, une mer nous séparant, que s’affichent les deux frangins du groupe (Ryan et Jordan) sur l’écran. Tour à tour, ils nous expliquent aussi bien qu’ils ont voulu s’éloigner un peu du shoegaze du premier album, que la manière dont ils gèrent leur nouvelle vie d’artiste.
LVP : Comment allez-vous d’abord ? Comment vous sentez-vous à l’idée de sortir votre nouvel album dans quatre jours ?
Bdrmm : Oui, vendredi je crois. Je n’en peux plus d’attendre. Je suis très excité. J’ai l’impression qu’il s’est écoulé tellement de temps depuis que nous avons fini de travailler dessus, c’est-à-dire l’année dernière.
LVP : L’année dernière ? Ok, c’était quand ?
Bdrmm : Oui, à la fin du mois de novembre. On a commencé en août, mais on a pris quelques mois pour faire des concerts. Mais ouais, ça fait un moment que c’est fini, donc c’est bien que ça arrive enfin aux oreilles des gens.
LVP : Oui, je me souviens vous avoir vu jouer à Dublin, vous aviez joué l’une des chansons de l’album.
Bdrmm : Euh de nouvelles chansons ouais… je ne m’en souviens pas vraiment (rires).
LVP : Alors, quelle a été l’inspiration derrière votre dernier album ? Pouvez-vous nous en parler ?
Bdrmm : Je pense qu’on s’est inspirés de beaucoup de choses pour notre premier album, mais plus dans le sens où on ne voulait pas suivre le même chemin que celui qu’on avait déjà emprunté. Nous avons beaucoup parlé du fait que nous ne voulions pas créer un autre album de shoegaze, c’était quelque chose que nous voulions éviter au début. Mais à ce moment-là, j’étais à l’université et je faisais beaucoup de choses sur le minimalisme et la musique ambiant, donc c’est devenu très intéressant pour nous, et puis nous nous sommes vraiment intéressés à la musique d’Aphex Twin et de Boards of Canada. On a également joué quelques concerts avec Daniel Avery. Sa musique a eu une grande influence sur la façon dont on a commencé à écrire, dans le sens d’une musique plus électronique et en utilisant des batteries électroniques et d’autres choses plutôt que des instruments réels. Et d’autres choses, par opposition à l’instrumentation live. Radiohead a aussi toujours été une influence massive, mais je pense que c’est devenu plus comme un élément en filigrane de tout. On a juste essayé de faire quelque chose de complètement différent tout en essayant de garder notre son actuel. C’était une sorte de plaisir d’expérimenter avec ce qu’on avait déjà créé.
LVP : Ok, parce qu’on a lu que ce nouveau disque se dirigeait vers le “shoegaze contemporain” et on était curieux·ses de savoir ce que cela signifiait vraiment.
Bdrmm : Je pense que c’était plus sur le premier album. Le shoegaze fera toujours partie de notre groupe. Quand j’ai découvert le shoegaze, j’ai trouvé Slowdive, ça a complètement changé ma vie. Et c’est pourquoi le premier album sonne comme ça. Donc j’ai l’impression que ce sera toujours dans notre sang. Mais j’imagine qu’il y a tellement plus de musique dont on peut s’inspirer. On voit beaucoup de groupes comme Andy Bell de Ride, qui s’est lancé dans un projet électronique solo. Et puis, c’est comme une famille très accueillante, avec ces deux genres. On veut juste se faire des amis (rires).
LVP : À ce propos, comment diriez-vous que votre musique a évolué depuis vos débuts en tant que groupe ?
Bdrmm : Je pense que c’est devenu plus un processus que nous avons acquis au fil des années. Ça a souvent commencé par Ryan qui écrivait beaucoup de morceaux, surtout sur le premier album. Puis, il venait en répétition et nous apprenions les parties qu’il avait écrites. Tandis que maintenant, c’est plus une approche de groupe, on écrit ensemble. Ryan écrit toujours une grande partie des chansons, mais nous avons tous notre propre empreinte sur elles et nous changeons des choses en studio. Je pense que c’est devenu beaucoup plus un processus de groupe. Mais on aime aussi beaucoup travailler individuellement. Nous nous sommes séparés en groupes pour l’enregistrement du deuxième album. Joe et moi, on enregistrait des trucs atmosphériques qu’il avait fait. Et au lieu d’écrire ça pour des chansons spécifiques, je les intégrais dans des compositions déjà écrites, et je construisais des chansons comme ça. C’est donc beaucoup plus un processus expérimental de couper et coller des sons ensemble et de voir ce qui colle.
LVP : Au niveau de la composition, vous avez eu des problèmes à un moment donné pour écrire de la musique ? Comme un blanc ?
Bdrmm : Oui, vraiment. À l’origine, on devait commencer ce nouvel album lorsqu’on a sorti Port, mais ma santé mentale était trop perturbée, beaucoup de choses se sont produites au sein du groupe, et évidemment, la pandémie et tous ces trucs. Nous n’étions pas vraiment dans l’état d’esprit d’aller et écrire un album juste pour le plaisir de le faire. C’est vraiment de la merde. On voulait prendre notre temps. Et j’ai l’impression que ça fonctionne vraiment bien pour nous en ce moment. On adore travailler ensemble. Non pas qu’on ne l’ait jamais aimé, mais j’ai l’impression que… Vous savez comment notre tête fonctionne parfois, on ne s’entend pas vraiment avec son meilleur ami… Alors oui, c’est juste qu’on est arrivés à un point où on…
(S’ensuit un moment un peu suspendu, mais un peu émouvant, où l’on assiste à une conversation privée entre les deux frères. On a presque l’impression de gêner lorsqu’il mentionne le fait que l’on écoute) :
Jordan : Je ne le savais pas ?! (rires)
Ryan : Qu’est-ce qu’il y a ?
Jordan : Oh mon dieu ! Elle écoute…
Ryan : Ouais… Oui, on a eu des moments difficiles, mais maintenant c’est génial. Nous étions tous parfois sur des longueurs d’ondes différentes sur la façon dont nous voulions que le deuxième album sonne, donc on s’est battus en quelque sorte les uns contre les autres. Mais lorsqu’on s’y est mis, qu’on est retournés en studio avec Alex et qu’on a commencé à travailler sur les chansons, c’est revenu naturellement, on savait tous où il fallait aller. À la fin, on en avait tellement marre de ne pas l’avoir enregistré qu’on voulait juste le faire pour le bien de l’humanité. On a traîné et on s’est reposés sur nos lauriers pendant trop longtemps, il faut qu’on le fasse. Le fait d’avoir Alex dans ce processus pour pour nous guider et nous montrer qu’on y pensait trop, nous a vraiment aidés à mettre l’album sur les rails.
LVP : On a aussi lu que vous aviez Erik Satie comme influence et on trouve ça intéressant que vous le mentionniez pour I Don’t Know.
Bdrmm : Oui, c’est parce que quand j’étais à l’université, j’ai beaucoup étudié sa musique. Notamment les premiers morceaux où il se mettait en colère contre le public parce qu’il ne parlait pas et se contentait d’écouter la musique pendant le concert. En fait, il voulait que ce soit comme une couverture sonore pendant que les gens parlent. On y a toujours pensé, mais la façon dont il écrit pour le piano est toujours aussi mélancolique et sombre. Et puis il y a une chanson sur l’album, Advertisement One, qui utilise beaucoup de modulations au piano, et j’ai été très influencé par la façon dont il utilisait le piano au ZXème siècle pour influencer ce style de musique.
LVP : Vous avez donc étudié la musique ?
Bdrmm : Oui, nous avons tous les deux suivi le même cursus à l’université Leeds Beckett. Je l’ai fait quelques années avant Ryan. Il est sur le point d’entamer sa troisième année, moi j’ai obtenu mon diplôme il y a deux ans. C’est la première fois que j’ai eu l’idée d’une musique de haut niveau donc c’est devenu une partie naturelle des choses que j’écoutais entre les deux albums. William Basinski a été une énorme influence sur cet album. L’utilisation notamment de boucles de bandes magnétiques, c’est comme si j’enregistrais un son dans un magnétophone et que je le ralentissais.
LVP : Le fait que vous ayez aussi étudié la musique classique, est-ce que ça change votre façon de composer maintenant ?
Bdrmm : Je pense que oui. Quand on n’a pas de voix sur laquelle s’appuyer, ou qu’on compose pas dans le sens contemporain, où on a besoin d’un couplet et d’un refrain, c’est assez libérateur. Et la façon dont Advertisement One est écrit, il n’y a pas vraiment de structure, c’est juste une sorte de méandre. C’est devenu tellement plus évident pour nous qu’on ne pouvait plus écrire de la manière que nous voulions, sans être limités par les machinations de la manière dont une chanson traditionnelle devrait être écrite. Ça a vraiment libérateur dans notre manière d’écrire. Alex nous demande toujours de mettre un refrain dans une chanson parce que ça ne sonne pas bien. Si j’entends encore une fois “Où est le refrain ?“, je vais me tirer une balle (rires). Je pense que sur ce dernier album, la dernière chanson et le dernier mouvement sont pour moi très importants. Tout simplement parce que j’ai les paroles depuis des années, mais je n’avais jamais eu la bonne piste pour les mettre en avant. Je me souviens avoir envoyé une démo à Alex, il y a peut-être quatre ans. C’était au départ une chanson avec des accords lents, il n’y avait pas de batterie ou quoi que ce soit d’autre, et puis au fur et à mesure qu’elle s’est développée, et que notre son s’est développé, c’est devenu beaucoup plus électronique, beaucoup plus texturé, comme Oneothrix Point Never. C’est vraiment cool d’avoir vu grandir le titre et d’avoir trouvé le moyen d’en faire quelque chose. Je pense que ça convient très bien. Hidden Cinema sur le nouvel album était la dernière chanson sur laquelle nous travaillions en studio avec Rye et Alex. Connor et Joe étaient retournés travailler. C’était l’un des moments les plus difficiles de l’album, parce que c’était la première chanson sur laquelle nous avons travaillé, puis nous l’avons laissée et avons enregistré tout le reste, et nous avons dû y revenir à la fin et la terminer. On l’avait laissée dans un tel état que les possibilités semblaient infinies, mais on était tellement coincés. La résilience et la façon dont nous nous sommes rassemblés pour le terminer, je pense que ça atteste vraiment de la façon dont l’album s’est terminé au bout du compte. Hidden Cinema est ma chanson préférée de l’album. J’adore l’écouter.
LVP : Vous avez rencontré des défis majeurs ou des échecs lorsque vous composiez, I Don’t Know ?
Bdrmm : Peut-être. Hidden Cinema a probablement été le plus gros revers, juste parce qu’on a commencé à le faire et que nous ne savions pas comment le finir. Il y avait tellement de façons différentes de l’aborder, et il est aujourd’hui complètement différent de la démo. Je ne sais pas comment il a fini par fonctionner, mais c’est la seule chose qui a été un putain de cauchemar à l’époque. J’y repense avec tendresse aujourd’hui, parce que c’était la première fois qu’on le faisait. Et quand tu es dans le feu de l’action, tu détestes ça. Mais quand c’est fini, c’est comme si nous avions créé quelque chose dont nous sommes tous très fiers. Donc oui, j’imagine que tout cela a été éprouvant mais ça en valait la peine. Pulling Stitches, le dernier single qu’on a sorti, n’était pas censé figurer sur l’album jusqu’au dernier moment. On ne l’a pas enregistrée comme comme face B pour la sortir plus tard dans l’année après la sortie de l’album, mais on était censés avoir quelque chose d’autre et ça n’a pas fonctionné. Je ne me souviens pas vraiment de ce qui s’est passé, mais elle a fini par s’intégrer à l’album. C’était l’une de ces chansons qui ne sonnait pas très bien, jusqu’à ce que nous ayons installé toute l’électronique et que tout se mette en place. Parce que jusqu’à ce moment-là, ça sonnait comme quelque chose qui aurait pu être facilement sur le premier album, alors que toutes les autres chansons contiennent de nouveaux éléments. On a travaillé très dur. On a fait beaucoup d’échantillonnage vocal et d’autres choses de ce genre pour les couplets, et c’est très bien sorti. Pour moi, ce sont les meilleures chansons, celles où l’on voit comment on peut les finir et où une petite chose change et on est parti. C’était une expérience extraordinaire.
LVP : Quand avez-vous décidé de passer de Sonic Cathedral à Rock Action ? Comment ça s’est fait ?
Bdrmm : C’était plutôt pendant la tournée de Mogwai, je crois. On a parlé à Mogwai lors de leur tournée. On s’est qu’ils aimeraient sortir l’album et nous étions tous très inquiets à ce sujet à cause de notre loyauté envers un label indépendant qui a tant fait pour nous. Mais au fur et à mesure, on a tissé des liens très forts avec le groupe et ça nous a semblé être la meilleure chose à faire. Il n’y a pas eu de meilleur groupe que l’autre ou quoi que ce soit d’autre, je pense qu’il était temps pour nous d’aller voir ailleurs ce qu’il pouvait se passer. Ils se sentaient si passionnés par ce projet, ça m’a semblé juste. On a eu tellement d’amour avec Sonic Cathedral, et maintenant nous allons en avoir beaucoup plus avec Rock Action, donc c’était juste un bon pas de côté je pense. Fuck les majors ! (rires).
LVP : Comme vous dites ! Comment arrivez-vous à concilier vos vies personnelles avec les exigences d’un groupe ?
Bdrmm : C’est difficile. C’est une bonne question parce qu’on nous la pose pas souvent. Je pense que pour nous, c’est assez facile parce que nous sommes encore relativement jeunes, mais Joe, qui est dans le groupe, a une femme et trois enfants, et c’est toujours très dur de le voir partir en tournée parce qu’il doit les laisser derrière lui. Parfois, c’est un vrai combat pour lui. Même des périodes comme maintenant, on n’a pas fait de concert depuis un mois environ, et ça fait bizarre. On est juste assis là. On passe de ces hauts extrêmes où on est très occupés et où on monte sur scène tous les soirs pour voir une foule en adoration, puis on rentre à la maison pour passer un mois à attendre la sortie d’un disque. C’est une carrière extrême, mais je ne la changerais pour rien au monde. C’est le meilleur métier du monde. Mais oui, j’ai vraiment hâte de commencer à donner des concerts cette semaine et d’être vraiment fatigué au lieu de regarder la télé en caleçon.
LVP : Vous passez donc beaucoup de temps ensemble ?
Bdrmm : Oui, nous vivons ensemble depuis un certain temps. Et je pense qu’étant dans un groupe, tout ce dont nous parlons et ce que nous faisons passe par le prisme de la musique et d’autres choses. Mais c’est chouette, je ne voudrais pas qu’il en soit autrement. J’adore écrire des morceaux.
LVP : C’est trop mignon. Est-ce que vous avez des objectifs ou des aspirations à long terme en tant que groupe ?
Bdrmm : J’aimerais faire une musique de film. J’aimerais qu’on entre dans ce genre de monde. Les bandes originales ont toujours joué un rôle important dans mon écoute de la musique. J’adore les films en général. Je pense que c’est tellement gratifiant de pouvoir écrire une musique pour une autre œuvre d’art. Et j’aime beaucoup le côté ambiant de la musique et la création de paysages sonores et de textures. Alors oui, on aimerait bien en arriver là un jour. Le simple fait de pouvoir en faire une carrière à part entière, et que nous puissions tous les quatre le faire à temps plein, serait déjà beaucoup pour nous. On a l’impression d’y arriver à ce stade, mais oui, pour nous tous, être capables d’être des musiciens et de le dire sans avoir à se battre ou avoir l’impression de faire semblant, ce serait adorable.
LVP : Ok, et qu’en est-il de vos projets à venir, des tournées et des événements ?
Bdrmm : Nous avons deux concerts à Hull, notre ville natale et ensuite à Leeds pour un petit DJ set le 23 juin, jour de la sortie de l’album. Puis on ira à Bristol, Brighton, Londres, en Ecosse. Et nous avons des festivals en France, en Lituanie, en Pologne, en Slovaquie, en Slovénie et en Suède.
À la fin de l’interview, j’évoquais avec leur passage au Pointu Festival, qui faisait partie de nos festivals coups de cœurs, à quoi ils me répondaient : « Honnêtement, quand on a reçu cette offre, on s’est demandé si on l’avait envoyée à la bonne personne. » Très humbles, c’est en les complimentant sur leur superbe nouvel album que l’on se quitte. Une tournée des festivals devant eux, déjà entamée à l’heure où l’on écrit ces mots. Et si vous n’avez pas encore eu l’occasion de les voir, foncez sans hésiter. Il seront de passage à Tourcoing le 18 octobre et à Paris le 3 novembre.

Je passe le plus clair de mon temps à faire des playlists. Je ride aussi les océans.