Bedroom : les berceuses cosmiques de Selah Sue
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
16/05/2020

Bedroom : les berceuses cosmiques de Selah Sue

Rien de tel qu’un retour aussi doux et vaporeux que celui-ci. Selah Sue, c’est l’archétype même de cette évidence musicale. L’évidente verve artistique, l’évidente sensibilité frissonnante, l’évidente spécificité qui faisait déjà de son premier projet éponyme paru en 2011 un manifeste RnB marqué par les forces du reggae, de la soul et du jazz. Après six années de discrétion agrémentées de sublimes prestations acoustiques éparses ci et là, c’est vers le format contemporain de l’EP que l’artiste belge se dirige pour nous partager les petits bonheurs qui l’habitent depuis la venue de son premier enfant. Un concentré de légèreté à cordes relevé de subtiles nappes synthétiques sur lequel l’autrice-compositrice s’essaie avec brio à la production. 

La dernière fois que nos oreilles croisaient les harmonies délicieuses de la chanteuse, c’était en 2015 avec Reason. Un disque ambitieux qui visait juste en tout point, réaffirmant toute la maestria créative de Sanne Putseys (de son vrai nom) qui maniait aussi bien les tubes chaloupés à la fibre funk de Alone que les balades puissantes et harmonieuses à l’instar du percutant Fear Nothing. Précisément le genre de projet qui donne au mot soul tout son sens, s’immisçant au plus profond de nos êtres pour titiller nos émotions, nos ressentis. Et que dire de cette voix ? Un véritable plaisir éthéré, s’appuyant autant sur la franchise d’un timbre rauque que sur la chaleur d’une tessiture vocale reconnaissable entre mille. Le genre de grain qui habille d’élégance et de sentiments n’importe quelle mélodie. Vous l’aurez compris : nous attendions avec une impatience non dissimulée le retour de cette grande dame de la soul.

C’est avec le sublime You qu’était annoncé cet EP épiphanique, annonciateur d’un retour à l’essentiel pour l’artiste : mélodies acoustiques dénudées, cohérence de l’ambiance vaporeuse, centralité d’une voix pure. Un premier morceau qui annonçait déjà les couleurs intimistes et réconfortantes de ce nouveau projet. Le clip lui-même traduisait cette envie de se dévoiler, de proposer une authenticité musicale en accord avec l’allégresse de la jeune maternité. C’est d’ailleurs à partir d’archives vidéos capturant l’euphorie du quotidien familial de la jeune maman que le réalisateur Robbe Maes était parvenu à capturer l’esprit de ce Bedroomentre tons vermeils et pellicule granuleuse.

Simplement faire de la musique sans compromis ou pression m’a amené à ces nouveaux morceaux compilés sur Bedroom.

Par la suite, c’est via des lives sur Youtube que la chanteuse a décidé de promouvoir l’arrivée de son nouveau bébé de façon authentique et essentielle. On découvrait ainsi via ses délicates Lullaby Sessions (partagées avec sa moitié au clavier) la beauté de ses tubes incontournables entre lesquels se glissaient les nouvelles pépites de Bedroom. Et comme l’avait déjà témoigné la version acoustique de Alone par le passé, il ne faut pas forcément grand chose de plus qu’un guitare-voix pour comprendre toute la magie de Selah Sue.

Si l’œuvre est majoritairement constituée d’instruments organiques, la finesse des compositions juxtapose instruments célestes et autres sonorités spatiales pour renforcer davantage l’univers moelleux du disque. Une production réussie dont Selah s’est elle-même chargée, épaulée par le visionnaire Kwes, artiste solo mais aussi grand producteur pour Tirzah, NaoKelela ou encore Loyle Carner. Parmi ses travaux notables, le producteur s’est aussi fait remarquer sur les œuvres de Solange Knowles, dont les gimmicks d’envolées vocales se retrouvent dans l’intro de You, pour notre plus grand plaisir. C’est le morceau In A Heartbeat qui ouvre cette salve de cinq caresses sur des chants d’oiseaux, des synthés enrobants en arrière fond et des riffs chaleureux à la Lianne La Havas. Se pose alors le timbre envoûtant de la chanteuse qui nous conte ici la profondeur du dévouement maternel : “Do you know how much I care for you?  And little man, you stole my heart away, my light will always shine for you.” 

You’re My Heart scinde l’EP en deux avec une œuvre instrumentale et stellaire, abstraite, gorgée de poésie. Sur des riffs de guitare plus francs semblent chatoyer des constellations d’harmonies vocales féminines des artistes Naima et Zuraya. Le résultat est fondant. S’en suit Always – Cosmo, certainement le morceau le plus intense de cet opus, avec une atmosphère plus mélancolique et frissonnante entraînée par des notes de guitare en ritournelle qui ponctuent cette poignante lettre ouverte pleine de fragilité.

But when my mind is lost, will you
Stand by me every night and day?
‘Cause I would do it all for you
To take the pain away

Bedroom se conclut avec I Would Rather, un précieux exemple de l’aisance technique de la chanteuse qui passe de notes graves suaves à des aigus percutants et voilés. La délicatesse acoustique du morceau contraste avec les beats discrets et inopinés de l’outro, offrant en filigrane une dimension plus dynamique à l’univers exploité jusqu’ici. Une façon peut-être de montrer que la fibre RnB moins docile de sa discographie passée existe toujours et influence à sa manière cet élan sublime de parenthèse épurée. Une compilation de cris du cœur tempérée par la finesse de mélodies acoustiques rêveuses et nébuleuses. Un petit bijou de simplicité, d’authenticité et de sensibilité.


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