Béesau : “J’aime l’idée que quelqu’un sorte d’un de mes concerts avec le sentiment d’avoir entendu quelque chose de nouveau”
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Auteur·ice : Augustin Schlit
19/11/2021

Béesau : “J’aime l’idée que quelqu’un sorte d’un de mes concerts avec le sentiment d’avoir entendu quelque chose de nouveau”

Se faire une place parmi les instrumentistes incontournables de la scène musicale française n’est pas chose aisée. Encore moins lorsqu’on est un trompettiste jazz chevronné dans un milieu qui focalise toute son attention sur son rap. Heureusement pour lui, Béesau a plus d’un tour dans son sac, comme il nous le prouve tout au long de Coco Charnelle, son premier album sorti le 22 octobre dernier. On y découvre une personnalité à la fois forte et vulnérable, capable de revêtir de nombreux atours tout en imposant une patte spécifique. C’est dans ce cadre que nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec ce grand perfectionniste, afin d’en savoir un peu plus sur son processus créatif et, surtout, sur ses ambitions futures.


La Vague Parallèle : Hello Rémy, ça va ?

Béesau : Ça roule et toi ?

LVP : Je n’ai pas à me plaindre ! Comment tu vis cette journée de promo intensive ?

Béesau : Bien, je passe la journée à rencontrer des gens qui me demandent de parler de moi et de mon travail, ça fait plaisir. Je n’ai pas encore trop pris le temps de réaliser que l’album était sorti mais ça vient petit à petit.

LVP : C’est quoi la meilleure manière de vivre une journée de release ? Tu préfères t’occuper l’esprit pour pas trop phaser ou tu es du genre à guetter toutes les réactions sur internet ?

Béesau : Honnêtement, une journée comme aujourd’hui c’est cool. Je n’ai pas trop le temps de refresh Instagram toutes les cinq secondes et en même temps j’ai l’occasion de discuter de mon travail avec des gens qui s’y sont intéressés et qui me donnent un autre regard sur l’album. C’est enrichissant. D’autant que ça fait un moment que je l’ai fini, et du coup à force il y a des parties sur lesquelles je pouvais avoir tendance à douter et en même temps c’est des choix que j’avais faits donc je pense qu’il était temps de le confronter au public et d’avoir un retour plus large. Même si je suis assez serein vis-à-vis de ça, les gens le prendront comme ils le voudront.

 

LVP : Ce projet, c’est ce que tu considères être ton premier album. Qu’est-ce qui le différencie de tes projets précédents ? Comment fais-tu la distinction entre le format album et la mixtape ?

Pour moi, ce sont deux choses complètement différentes. D’ailleurs, ce que je présente aujourd’hui n’a rien à voir avec ma mixtape, qui était, pour le coup, juste une compilation de titres que je trouvais cool mais qui n’ont pas forcément à voir les uns avec les autres. Une sorte de carte de visite, une démo, etc. Je ne mets pas la même forme d’ambition créative dans un album et dans une mixtape. Si je prends l’exemple de Station balnéaire, ça pourrait passer pour un album parce qu’il s’agit d’un projet cohérent, qui raconte une journée d’été du début à la fin. Mais j’ai préféré le considérer comme une mixtape parce que c’est plus un délire estival qu’une vraie représentation de ce vers quoi je veux emmener ma musique. Pour moi c’était un projet annexe. Je ne veux pas qu’on m’associe à ça.

LVP : Et du coup, dans ton esprit, qu’est-ce qui t’a convaincu qu’il était temps de passer à ce format ?

Béesau : Déjà parce que j’y suis tenu contractuellement (rire). Mais blague à part, je pense qu’en réalité, pour éviter que les gens assimilent trop ma patte artistique au son d’un projet comme Station balnéaire, je devais prouver que j’étais capable de faire autre chose.

LVP : Et au-delà de cette volonté de faire tes preuves, dans quel optique tu t’es mis pour produire Coco Charnelle ?

Béesau : Ce que je voulais surtout, c’était créer un objet entier, avec une vraie narration qui apporterait une plus-value au fait de l’écouter de A à Z. Un autre objectif que je me suis fixé a été de produire une oeuvre la plus organique possible car je pense que ça fait partie des caractéristiques qui permettent à un album de passer l’épreuve du temps. J’aurais pu me contenter de piocher dans tout ce qui marche en ce moment et dans six mois je me serais retrouvé avec un truc super daté, alors qu’un guitare/voix, j’ai l’impression que ça ne perdra jamais son impact.

 

LVP : L’album parle énormément de passion et de ton rapport aux relations amoureuses. Tu peux m’en dire plus sur ces thèmes que tu abordes ?

Béesau : Toute ma vie, ou presque, j’ai été en couple. Et pas forcément dans de bonnes relations. J’avais vite fait de me laisser hypnotiser par une certaine illusion du bonheur qui me faisait rester dans des relations même après que la flamme a disparu, jusqu’à ce que ça en devienne toxique. Et du coup cette année j’ai vraiment eu le sentiment d’avoir compris ça, ce qui a changé pas mal de choses en moi, que j’ai eu envie de raconter. C’était une manière de faire le point et de me libérer de certains schémas de fonctionnement, comme si je traçais une ligne dans le sable que je ne veux plus redépasser. Du coup, poser cette réflexion sur un disque, c’était une manière de me rappeler de ne plus refaire les mêmes erreurs.

LVP : C’est vrai qu’on ressent vraiment une évolution dans ton état d’esprit à mesure qu’on avance dans l’album, ce qui est d’ailleurs exacerbé par ces notes vocales qui marquent de manière explicite les changements de ton. C’était le but ?

Oui, totalement. En fait, d’emblée j’avais envie de mettre de la voix, sans vraiment savoir si ce serait la mienne d’ailleurs. Et vu que je communique énormément via notes vocales avec mes proches, je savais que j’avais énormément de matière où je pouvais aller piocher. C’est quelque chose que j’ai toujours beaucoup aimé dans un album, ces interludes qui permettent de donner un fil conducteur, en créant une histoire et une forme de proximité avec l’artiste. Pendant 1min30, je me présente sans artifice, en tant que personne et pas via le prisme de la musique. C’est une idée qui me plaisait. Ce qui est marrant c’est que j’avais déjà fini l’album et c’est deux cuts que j’ai ajoutés après. Et en fait, une fois que je les ai mis, tout a pris sens d’un seul coup.

LVP : Sans rentrer dans trop de clichés, j’ai quand même l’impression qu’il y a une forte dimension autothérapeutique dans ta musique…

En vrai, je ne ressens pas forcément cette impulsion de créer dès que je ne me sens pas bien. C’est même devenu une blague entre Prince Lao (mon coloc et le réal de l’album) et moi. On est tous les deux des déprimés de l’amour et on s’est rendu compte à quel point c’est du bullshit de dire que le mal-être nous pousse à créer, c’est même carrément l’inverse. Cela dit, même si ce n’est pas le cas sur le moment, le fait d’avoir posé toutes ces émotions sur disque, a posteriori ça me fait un bien fou. Du coup, effectivement, je n’aime pas ce cliché de l’artiste qui fait de la musique dès qu’il est dans le mal, mais comme avec toutes les formes d’expression personnelle, ça permet d’extérioriser et de processer des trucs, c’est sûr.

 

LVP : Il y a beaucoup de feats sur ton album par rapport à tes projets précédents. Qu’est-ce qui t’a donné envie de partager ce projet avec eux ?

Béesau : Ce qui est drôle c’est que toutes ces personnes, à la base, ne font pas partie de mon entourage. Je n’ai jamais énormément traîné avec d’autres cercles d’artistes un peu hype à Paris, etc. D’ailleurs c’est pour ça aussi que j’ai commencé à poser ma trompette sur des prods, j’étais simplement tout seul… Et aussi c’est à peu près la première fois que j’ai suffisamment confiance en ma musique pour demander à d’autres de venir poser dessus. Je n’aurais jamais osé faire la même chose sur Station Balnéaire, je ne me sentais pas assez légitime. Et c’est drôle parce que, naturellement, à mesure que ma musique gagne en maturité, les rencontres se font progressivement d’elles-mêmes.

LVP : Oui, puis on te voit pas mal poser çà et là sur les albums des autres, comme sur la réédition de l’album d’Ichon par exemple. Ça doit aider.

Béesau : Ah ben oui, clairement. Mais il y a quand même une grande différence entre aller poser sur l’album de quelqu’un d’autre, en étant crédité ou non, puis d’inviter des artistes que j’aime sur un projet perso. Dans le deuxième cas de figure le processus est beaucoup plus long, j’ai besoin de rencontrer la personne et m’assurer qu’ielle sera capable de sortir de sa zone de confort pour moi… Pongo par exemple, ce qu’elle a fait sur mon album n’a rien à voir avec ce qu’elle sort d’habitude. Mais c’est ça qui est cool aussi parce que j’ai l’impression, en tout cas c’est ce que j’ai essayé de faire, qu’on a pu mettre en place un mood où tout le monde était en mesure d’expérimenter.

LVP : Dans une interview sur France Culture il y a quelque temps, tu disais que tu avais envie de t’essayer au chant. Pourtant on t’entend très peu, pourquoi ?

Béesau : Alors c’est vrai que j’ai encore été assez timide ici, à part sur Chute Libre et Antipode où on peut m’entendre un peu, mais c’est surtout en AdLibs. Mais je ne suis pas encore super fan de ma voix, j’ai l’impression que je ne suis pas au point et que je n’assumerais pas en concert. Aussi je pense que je n’ai pas encore trouvé la bonne façon de le faire, pour moi. J’ai vraiment envie de trouver ma propre manière de poser ma voix avant de m’exposer aux autres sur ce terrain.

LVP : Si je devais garder un morceau sur l’album, ce serait Censure parce que c’est un des titres les plus libres et cathartiques du projet. Mais du coup, son titre est une énigme pour moi tant il entre en opposition avec l’énergie qui en ressort. Tu peux m’éclairer ?

Béesau : Tu as tout compris, ne t’inquiète pas. C’est effectivement le morceau sur lequel je me suis le plus exprimé. Donc pour la petite histoire, après Station Balnéaire je me suis retrouvé chez Universal/Blue Note et c’était à la fois un rêve et une désillusion du fait des grosses contraintes qu’une signature pareille peut engendrer. Mais bon, on le sait tous, ça fait partie du jeu. Et du coup ce morceau, il vient d’une session d’enregistrement qui est un peu partie en cacahuète. À la base, on devait faire une session live sur base d’un morceau issu de Station Balnéaire. Le “problème”, c’est qu’on s’est tellement amusé en studio qu’on n’a pas du tout enregistré le morceau prévu et à la place on a accouché de ce son-là. Alors bon tu te doutes bien que je me suis fait un peu remonter les bretelles, et finalement le projet de live session est tombé à l’eau. Mais j’aimais tellement ce qu’on avait produit que j’ai absolument tenu à ce qu’il se retrouve sur l’album. D’ailleurs, je maintiens que c’est un des morceaux les plus lourds du projet. Et puis franchement, tu en connais beaucoup des titres qui mélangent la drill et le jazz ? Ça aurait été dommage de s’en priver.

 

LVP : Tu peux m’expliquer pourquoi tu as tenu à découper l’album en deux parties ? Et pourquoi de cette manière-là ?

Béesau : Alors déjà, on ne va pas se mentir, il y a un aspect marketing même si ce n’est pas la raison principale. Mais aujourd’hui, surtout quand on est un petit artiste, ce n’est pas du luxe de pouvoir se permettre d’augmenter un peu la durée de vie d’un projet. Et puis je voulais que ça soit digeste… Au début j’ai proposé une sélection de 32 titres, et c’est sûr que ça peut en effrayer certains (rires). Du coup j’ai pris le parti de faire de cette première partie une sorte d’espace transitionnel vers une seconde partie qui, selon moi, apporte quelque chose de plus écrit, plus profond. Je me suis aussi dit qu’en laissant quelques mois entre les deux parties, ça me laissait du temps pour peaufiner la suite, et pourquoi pas m’ouvrir de nouvelles possibilités de collaborations suite à cette partie 1. En fait, globalement, c’était ma manière de contourner le phénomène de la réédition, qui m’énerve au plus haut point car ça pue toujours le marketing en apportant rarement beaucoup de nouveautés intéressantes. J’ai préféré assumer directement le choix d’un double album.

LVP : En fait, ce que tu me dis, c’est que le véritable album, celui que tu avais vraiment envie de faire, c’est la suite de celui-ci ?

Béesau : Non parce que j’aime vraiment beaucoup celui-ci ! Et surtout c’est un exercice super intéressant de trouver cet équilibre entre ma liberté d’expression artistique et les impératifs qui incombent au fait que j’ai signé chez Universal. Mais c’est vrai que j’espère que j’arriverai à prouver que des titres comme Censure peuvent finalement être aussi vendeurs que n’importe quel morceau électro pop sorti de Station Balnéaire.

LVP : J’en suis persuadé. Est-ce que c’est ce qu’on peut te souhaiter de mieux pour la suite ?

Béesau : Oui clairement. Et surtout que ça marche suffisamment pour que j’aie l’opportunité de défendre le projet en live. Parce qu’au final, la musique que je fais prend tout son sens quand je peux créer la surprise chez un public dont ce n’est pas le répertoire de prédilection. J’aime l’idée que quelqu’un sorte d’un de mes concerts avec le sentiment d’avoir entendu quelque chose de nouveau.

LVP : Quelle excellente idée ! Merci Béesau d’avoir passé un peu de temps avec nous.

Béesau : Merci à vous !


Tags: Béesau | Pongo
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