Beirut – No No No : entre lassitude et génie
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Auteur·ice : Mathias Bourgonjon
22/09/2015

Beirut – No No No : entre lassitude et génie

Il faut savoir qu’avant de me mettre à écrire cet article, j’avais l’intention d’utiliser des mots comme « mou », « fastidieux » ou encore « rébarbatif » pour décrire ce nouvel album de Beirut. C’est peut-être le fait d’avoir pu digérer la première écoute 10 jours durant qui m’a fait changer d’avis. En me replongeant dans No No No, les écouteurs sur les oreilles, c’est surtout la qualité de composition de l’album qui me flatte les sens. Il y a, effectivement, chez Beirut, une recherche de l’équilibre instrumental mais, aussi et surtout, une infinie morosité qui émane de Zach Condon, tête pensante du groupe. Avec maintenant quatre longs formats à son actif, Beirut est surtout l’extension du projet solo du chanteur. Encore une fois, No No No est une sorte de pharmacopée pour le compositeur originaire de Santa Fe.

Beirut - No No No

Je ne vous cache pas que, au premier abord, ce dernier opus m’a renvoyé des vieux démons qui s’étaient manifestés pour la première fois lors du passage de Beirut au festival de Leffingeleuren en 2012. C’était l’excitation au ventre de m’être repassé en boucle The Rip Tide que j’attendais avec impatience leur performance. Et puis, ça m’a sauté aux yeux. Malgré l’abondance de cuivres et une instrumentation pompeuse, il y a quelque chose que j’ai trouvé excessivement faiblard dans l’interprétation de Zach Condon. C’est probablement son côté « génie torturé » qui m’a fait cet effet.

Cependant, loin de moi l’idée de démolir entièrement ce dernier effort du groupe. Zach Condon est effectivement bien un génie qui, tout au long cet opus, montre encore une fois ce talent de composition susmentionné. La piste qui, d’entrée de jeu, me réconcilie très vite avec Beirut, c’est Gibraltar. Un rythme percussif dansant, une progression enjouée d’accords au piano et un chant qui semble également véhiculer un certain enthousiasme : l’album commence sur un ton relativement positif malgré le poids des paroles écrites par Zach Condon. En effet, encore plus mélancolique que d’accoutumée, No No No est l’incarnation d’années difficiles pour le frontman du groupe après un divorce et des problèmes touchant à sa santé.

Ce qui est caractéristique chez Beirut réside surtout dans la voix plaintive et charismatique de son leader. On la retrouve en belle et due forme sur la plage titulaire No No No quand trompette et trombone à coulisse sont un écho à la complainte du chanteur, le tout sur fond de caisse claire continue. Un très beau morceau à la mélodie vocale qui s’incruste très facilement dans notre crâne. Suit ensuite le morceau plombé mais lyriquement épuré At Once, qui traduit en deux minutes un état de paralysie réflective et qui constitue la métaphore musicale d’un état de choc post-traumatique. Et puis, c’est August Holland, piste très aérienne et beaucoup plus pop dans l’idée, qui fait surface. Pas de surprise, Zach Condon nous envoie toujours une ballade noyée de mélancolie qui s’articule autour d’un piano sautillant et de cuivres, marque de fabrique indubitable du groupe.

Comme si il fallait, le temps d’un instant, prendre un peu de recul par rapport à la vocabularisation des sentiments, As Needed partage en deux de façon instrumentale cet album. Les violons dessinent une atmosphère plus tendue alors que les guitares arpégées sont là pour donner de la douceur à cette piste. De temps à autre, le piano, fort présent sur No No No, vient stabiliser le morceau et lui donner une dimension bien plus dramatique.

Pour parer à cette ambiance lourde, Beirut vient mettre un bon degré de positivité sur l’album avec un morceau dont le titre Perth semble, encore une fois, confirmer le virus du voyage que possède Zach Condon (on citera ici quelques autres titres du groupe : Bratislava, Nantes, Cherbourg, Venice ou bien Santa Fe). Je vous ai parlé du côté positif de Perth mais, attention à ne pas se leurrer, ce n’est qu’en surface que c’est le cas. Les paroles nous reconfirment que c’est du côté torturé de la force que Zach Condon puise toute son inspiration.

Vers la fin de cet opus, Pacheco me rappelle que l’emphase des cuivres ne me permet pas d’oublier les brailles prolongés du chanteur. Je bouche mes yeux, je cache mes oreilles et j’écoute pas. Fener, quant à lui, est, grâce à ses lignes de basses prononcées et à son clavier et xylophone scintillants, un ravissement qui compense largement le morceau précédent. Qui plus est, étant un amateur de bouleversement rythmique en cours de composition, la marque de la minute et 50 secondes m’a fait fort plaisir. Un petit ralentissement du tempo afin de distiller au mieux la musicalité du titre. Enfin, en guise de piste conclusive de cet album, So Allowed est un condensé de ce pour quoi Beirut est connu et apprécié : grandiloquence des sections mélodiques et rythmiques qui accompagnent les mots lourds de sens chantés par la voix lancinante de Zach Condon.

Difficile de sortir un opus consistant quatre ans après The Rip Tide, tant ce dernier était une perle du paysage musical beirutien. Avec cet album, Beirut s’en sort pourtant plus que bien. Bien qu’il n’est pas une révélation de prime abord, No No No se découvre écoute après écoute, au fur et à mesure que l’émotion à la base du processus créatif de chaque chanson nous submerge lentement à la manière d’un contre-courant chargé d’histoire et d’aventure.

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