Benjamin Epps : « J’essaie de garder votre attention le plus longtemps possible parce qu’il y a encore plein d’histoires à raconter »
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Auteur·ice : Adriano Tiniscopa
29/01/2022

Benjamin Epps : « J’essaie de garder votre attention le plus longtemps possible parce qu’il y a encore plein d’histoires à raconter »

La lumière tamisée dans le dos, le visage à moitié couvert, il agite la foule et débite ses punchlines. Son beatmaker fait vrombir la salle avec des « prods » hip hop old school à la J Dilla parfois, Boom bap & jazzy comme le ton de l’avant-dernier album de Benjamin Epps. Fantôme avec chauffeur est sorti en avril 2021, en tandem avec le beatmaker Le Chroniqueur Sale. Nous laissons à celles et ceux qui nous liront le plaisir d’aller découvrir son troisième album Vous êtes pas contents ? Triplé !, sorti il y a quelques jours à l’heure où nous écrivons.

Fantôme avec chauffeur est un album concis, 7 titres, et une plume sophistiquée génialement accompagnée par Le Chroniqueur Sale (ou l’inverse). Benjamin Epps, aka Eppsito, kick avec aisance dans Goom, touche fort avec « Dieu bénisse les enfants » et les rapides vibrations de sa voix claire gonflent un ego trip volumineux fort heureusement ajusté à sa veste. Kesstate Epembia a grandi à Libreville au Gabon, il a commencé à rapper à l’école avant de le faire sous le pseudo Kesstate, puis part s’installer entre-temps en France où il suit des études pour devenir professeur des écoles. Avant son concert à Paris en novembre dernier, à l’occasion du festival Ici Demain au FGO-Barbara, nous avons rencontré un gars simple, le genre qui veut vivre en bonne santé et avec les lingots, comme tout le monde, entouré de bienveillance et nous lâcher au mic ce qu’il a besoin de dire.


La Vague parallèle : Salut ! Est-ce que, première chose, je peux te demander ton prénom ?

Benjamin Epps : Mon prénom c’est Kesstate. Benjamin Epps c’est le nom de scène. Et Benjamin parce que je suis le benjamin de la famille et Epps c’est une contraction de mon prénom Kess et de mon nom Epembia.

LVP : Est-ce que tu peux te présenter rapidement maintenant ?

BE : Benjamin Epps, rappeur, auteur, compositeur, interprète, producteur. J’ai sorti deux EP. Le premier, Le Futur est sorti en décembre 2020. Le deuxième EP, en collaboration avec Le Chroniqueur sale, Fantôme Avec Chauffeur est sorti le 23 avril 2021. Là je suis en concert partout en Europe, on a une trentaine dont une date ce soir à Paris au FGO-Barbara (le 26 novembre 2021, ndlr.).

LVP : C’est quoi ton état d’esprit ce soir ?

BE : Ce soir je suis content parce que je suis entouré de gens bienveillants, de mon groupe, de mon crew, de ma famille donc c’est toujours un bon moment.

Ici Demain festival au FGO Barbara ©atiniscopa

LVP : Il y a tes frères aussi ?

BE : J’ai mon grand frère juste là oui ! J’ai que le crew, que la famille donc je suis toujours détendu dans ces moments-là.

LVP : Est-ce que c’est ce frère qui a une collection de CD pharamineuse ?

BE : Non c’est pas lui !

LVP : D’accord. Parce que j’ai lu que tu avais un frérot dans le rap, dans la musique. Je voulais en savoir un peu plus.

BE : Alors on est une fratrie de 6 enfants dont 4 garçons. Le premier, qui a un peu plus de 40 ans aujourd’hui, est celui qui a amené le rap à la maison dont les collections de magazines rap, Vibe, The Source et des cassettes VHS à l’époque… C’est lui qui était un peu le collectionneur. Même si aujourd’hui je crois que ça n’existe plus. Je n’ai pas souvenir de retrouver tout ça à la maison. C’est lui en tout cas qui emmenait ça de France. Il emmenait toute l’artillerie rap français et américain. Donc moi je suis tombé dedans.

LVP : Et te voilà parti de Bellevue à Paris !

BE : De Bellevue à Paris exactement.

LVP : Bellevue, comment on vit là-bas ? J’ai vu que tu en parlais souvent, que c’était ta référence.

BE : Les gens quand ils voient Bellevue pensent que c’est dans les Hauts-de-Seine (92). Et sinon il y a un Bellevue à Nantes aussi qui est un quartier très dangereux. Et à Libreville d’où je viens, c’est un quartier difficile pour rester poli, disons pas très safe. Mais tu as des entrepreneurs qui ont grandi à Bellevue, des infirmiers, des sages-femmes.

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LVP : Des âmes qui y vivent !

BE : Qui y vivent, qui travaillent, qui se débrouillent. Mais il y a beaucoup de délinquance, beaucoup de « mauvaises choses » comme dans tous les quartiers.

LVP : C’est la débrouille alors ?

BE : Exactement. C’est la débrouille. C’est là où j’ai grandi dans une famille de 6 enfants avec mes frères qui étaient mes exemples. Rappeurs à leur temps perdu, étudiants, écoliers à temps plein. D’où mon parcours assez particulier de rappeur étudiant. Parce que j’ai longtemps fait des études, j’ai arrêté l’année dernière.

LVP : Tu as étudié quoi ?

BE : J’ai étudié la sociologie dans un premier temps. Et je faisais un master pour devenir professeur des écoles que j’ai abandonné pour poursuivre mon rêve tout simplement.

LVP : Tu vas continuer dans les lettres quand même disons !

BE : On continue dans les lettres parce que finalement j’apprends tous les jours et à travers la musique et le rap, j’essaie de transmettre aussi. Finalement il y a quelque chose qui continue.

LVP : Ton (avant-)dernier EP, Fantôme Avec Chauffeur, c’est aussi le titre d’un film. Il a quoi de spécial pour toi ce film ?

BE : Tout le monde me pose la question (rires). Plus jeune je kiffais. Arrivé en France je me suis rendu compte que les gens n’ont pas du tout aimé ce film. Ils ne l’ont pas trouvé intéressant. Je suis un enfant de la télé et à l’époque on avait un peu les films français 5 ou 6 ans après. Tu sais parce que les films rentrent dans un processus, d’abord au cinéma, ensuite tu peux les louer puis passent à la télé, etc.

LVP : Après sur les plateformes…

BE : Exactement ! Donc à l’époque il n’y avait que la télévision donc je n’ai pas pu le voir au cinéma parce que j’étais sans doute trop petit, trop jeune ou pas né mais quand je l’ai vu je crois que c’était au début des années 2000 j’ai trouvé ça chanmé, les effets spéciaux je trouvais ça très bien. J’ai regardé dernièrement et j’ai trouvé ça pourri. Mais pour l’époque je trouvais ça génial. Et pour faire le parallèle avec le projet en collaboration avec Le Chroniqueur Sale, il y avait un truc chez lui de tête de mort, un peu l’esthétique de la mort, donc du fantôme. C’est pour ça qu’on a décidé d’appeler cet EP Fantôme Avec Chauffeur. Il y a un duo dans le film et Chroniqueur Sale et moi sommes un duo, d’où ce parallèle.

LVP : Et sur la pochette un peu glauque, c’est quoi ce que l’on voit, le cadavre du rap que tu mets dans ce coffre ?

BE : Pas le cadavre du rap. L’idée c’était de faire quelque chose un peu cinématographique, tu vois. Il n’y a pas forcément une symbolique derrière. On a voulu faire une belle image, finalement ça rend bien, les gens aiment bien.

LVP : J’ai cru voir aussi que tu aimais bien le noir et blanc ? C’est une fibre que tu as avec ?

BE : C’est une volonté oui. C’est un univers. Il y a quelque chose d’inaccessible dans le noir et blanc. Quand je regarde les films muets de l’époque, il y a quelque chose de difficile à saisir en fait. C’est assez mystérieux pour moi et c’est ça qui me plaît. J’aime bien ça.

LVP : Alors j’ai une série de questions faite titre par titre de ton EP, je vais commencer par Notorious. J’ai vu que chez toi il y a pas mal de références américaines, c’est parce que tu baignais là-dedans quand tu étais petit, parce qu’au Gabon c’est ce qui s’écoute ou c’est juste toi, tes goûts ?

BE : C’est un peu les trois en fait. Je trouve que tu as assez bien découpé la question. Le Gabon c’est un grand consommateur de hip hop et notamment américain et français. Aussi parce que la famille m’a « conditionné » à écouter ça. Mais aussi parce que les Américains, ce sont eux qui ont inventé le rap quand même. Donc quand tu vas au rap tu es « obligé » de donner une oreille à ce que les Américains font parce que c’est eux qui ont emmené le mouvement.

LVP : « J’ai leur attention ». Maintenant que tu as capté notre attention, que vas-tu nous raconter pour la suite ?

BE : Très bonne question. J’essaie de garder votre attention le plus longtemps possible parce qu’il y a encore plein d’histoires à raconter. Ce qui fait le présent c’est justement que les hommes vivent et font des choses qui donnent de la matière pour le futur. Donc maintenant que j’ai votre attention, l’idée c’est de vous raconter ma vie, de vous raconter un peu plus en profondeur ce que je ressens, d’où je viens vraiment, qui sont les gens qui comptent pour moi, vous faire partager la musique que j’aime tout simplement.

LVP : Relax, Pt. 1. C’est quoi ton trait de caractère le plus fort, la sérénité ?

BE : Non pas nécessairement. Mon trait de caractère le plus fort ce serait… Je ne saurais pas dire. Peut-être que mes proches sauraient.

Un de ses amis : La confiance.

BE : La confiance je dirais, totalement !

LVP : Goom. Est-ce qu’il y a des gens que tu ne veux pas « goomer » ?

BE : Non j’ai envie de goomer tout le monde mec. L’objectif c’est de pouvoir goomer tout le monde. C’est que les gens se disent que Benjamin Epps est trop fort, qu’ils aiment écouter, qu’ils aiment ce qu’il raconte. Après tu ne peux pas faire que des heureux et des satisfaits mais l’objectif c’est de pouvoir goomer tout le monde ouais.

LVP : Je vois ! Lingots, Pt. 2. Est-ce qu’il y a une première partie ?

BE : Pourquoi on l’a appelé Lingots, Pt. 2 ? Parce qu’en fait c’est la deuxième partie de Relax, Pt. 1. On a utilisé le même sample en fait.

LVP : Et une fois que tu auras les lingots, tu vas faire quoi de toute cette oseille ?

BE : Pour moi, comme je disais à un collègue à toi, les lingots c’est pas tant l’argent, c’est plutôt la récompense. C’est plutôt la satisfaction que je tire du travail que j’ai accompli. Et on n’est pas encore totalement satisfaits parce qu’il reste plein de choses à faire. Les lingots c’est la récompense. Quand je fais quelque chose de bien, pour moi c’est un lingot. 

LVP : Quand tu as la reconnaissance ?

BE : Oui, en partie.

LVP : J’ai été très touché par Dieu bénisse les enfants. En termes d’actualité on est en plein dedans. Avec toutes ces affaires de pédocriminalité dans l’Église déjà. En début d’année 2021 on a aussi appris que les rapports incestueux étaient monnaie courante en France… Pourquoi tu as dédié cette chanson aux enfants justement ?

BE : J’ai écrit ce morceau parce qu’à l’époque mes frères venaient d’avoir des enfants. Donc quand tu as des neveux et des nièces tu te dis en fait que tu grandis mais tu te dis aussi que tu as été un enfant aussi avec des besoins, des envies. Et tu as envie de protéger les gens qui naissent autour de toi, ta famille. Tu n’es pas sans savoir qu’on vit dans un monde où on a l’impression que ça devient de plus en plus dangereux. C’est une impression, est-ce que c’est vrai ? Je ne sais pas. Mais on en a l’impression en tout cas. Donc il faut impérativement protéger les plus vulnérables et jusqu’à preuve du contraire les plus vulnérables pour moi ce sont les enfants. C’est eux qui absorbent tout le mal, tout le démon et en grandissant ça peut éclater.

LVP : Dans Le plus grand, qui sont tous ces gens qui t’importunent ?

BE : Ça fait partie de l’ego trip, c’est pour parler des « haters ». C’est les gens qui ne veulent pas dire le terme.

LVP : « Qui ne veulent pas dire le terme » ? C’est-à-dire ?

BE : C’est-à-dire qui ne veulent pas te reconnaître et qui ne veulent pas te donner ce que tu mérites. Qui sont toujours un peu réticents à l’idée de donner à quelqu’un ses fleurs pendant qu’il est là. On vit dans un monde où quand tu meurs tu es génial, tu étais magnifique, tu étais tendre, tu faisais plein de choses. Et quand t’es en vie, tout le monde te crache dessus. Donc je considère que les gens qui m’importunent sont les gens soit qui ne m’aiment pas pour des raisons que j’ignore, soit parce que tout simplement ils ne veulent peut-être pas me donner ce que je mérite.

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LVP : Je vois. J’ai vu que tu avais aussi un son avec Mani Deïz. Ça s’est fait comment la connexion ?

BE : Avec Mani Deïz en fait je parcourais un de ses albums et je suis tombé sur une prod qui était… Avec mon manager on était scotchés. Et tout de suite j’ai appelé un de ses contacts. Je lui ai dit que je voulais reprendre le morceau de Mani Deïz, que j’avais envie de faire un freestyle dessus. Du coup Mani Deïz était content de ma proposition, m’a envoyé la prod et j’ai écrit dessus. Et j’ai fait l’inédit.

LVP : Trop cool, elle est chanmé. Est-ce que tu te souviens de la première chose que tu aies écrite ?

BE : Wa ! Tu t’en rappelles toi du premier texte que tu as écrit (ndlr : il s’adresse à son frère) ? Moi à l’école je rappais les textes de Booba. Parce que tout le monde connaissait le rap français, tout le monde connaissait Booba mais les gens connaissaient les morceaux connus. Ils ne rentraient pas dans les fonds de tiroir des albums. Moi je prenais ses textes, ceux de mes frères aussi et j’allais rapper à l’école. Donc le premier texte que j’ai rappé, écrit, je ne peux pas te dire.

LVP : Ça roule. Est-ce qu’il y a une question qu’on ne t’a jamais posée et que tu aimerais bien que je te pose ?

BE : J’ai l’impression qu’on m’a posé toutes les questions déjà (rires). On mange quand ? (rires). Personne ne m’a jamais demandé en interview comment je vais, est-ce que mentalement je vais bien, comment je vis ma notoriété, est-ce que j’ai à manger chez moi… J’aimerais bien qu’on me pose ces questions-là, est-ce que ça va dans ta vie ?

LVP : Et alors ça va bien dans ta vie ? T’as ton frigo rempli ou pas ?

BE : Dieu merci tout va bien. Souvent je fais les courses, et je ne sais même pas où mettre les courses bro. Ça c’est une bénédiction. Et donc je suis content. Je suis en bonne santé, mes proches aussi. Je viens d’avoir un fils qui est lui aussi en bonne santé.

LVP : Félicitations !

BE : Merci ! Et donc je suis un homme heureux quoi. Et merci d’avoir posé la question.


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