Blanco White : « l’une des choses les plus puissantes avec la musique est son pouvoir à nous faire voyager »
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Auteur·ice : Hugo Payen
08/01/2024

Blanco White : « l’une des choses les plus puissantes avec la musique est son pouvoir à nous faire voyager »

| Photo : Hugo Payen pour La Vague Parallèle

À l’occasion de la sortie de son deuxième album, Tarifa, près de trois ans après le succès de son fabuleux premier album, c’est vers les couleurs de l’Espagne que Blanco White nous (ré)invite. De passage entre les murs du Botanique, il nous a été presque impossible de ne pas rencontrer le singer-songwriter britannique aux sonorités envoûtantes. 

Quelque part entre les sonorités chaudes et salvatrices sud-américaines et la poésie anglo-saxonne, dur de ne pas succomber à l’univers singulièrement apaisant de Blanco White. Propulsé sous le feu des projecteurs dès ses débuts avec la sortie de son remarqué The Wind Rose EP, Josh Edwards accumule les succès. Une chose qui, avec la sortie de son nouvel album, ne fait que se confirmer.

Ce jour-là, la pluie froide et battante bruxelloise nous remet les pieds sur terre alors que les sonorités brûlantes de l’artiste nous parcourent encore les oreilles. Pour le coup, il est loin le soleil rassurant de l’Espagne au cœur du dernier album de l’artiste. Un manque terrible, soyons honnête, qui ne l’empêche pourtant pas de garder son sourire bienveillant.

La Vague Parallèle : C’est doucement la fin de la tournée ce soir au Botanique. Remonter sur scène après trois ans de composition et d’enregistrement, ça fait quel effet ?

Josh : Le rythme de tournée est tellement différent de nos quotidiens. C’est assez intense, j’avoue, mais qu’est-ce que j’adore ça. Il y a une certaine répétition dans tout ça, et parfois ça dure des mois ! J’ai d’ailleurs l’impression que le temps autour de moi ralentit à chaque fois. Tu changes de pays, de ville, de salle jour après jour. Un mois peut te sembler en durer six. J’ai la chance de partager la scène et la tournée en général avec une équipe incroyable, on adore toujours autant prendre la route ensemble !

LVP : On est début 2016 quand tu décides de sortir ton premier single sous Blanco White. On peut dire que c’était un succès instantané, on gère comment sur le moment ? 

Josh : C’était une période gorgée d’inconnues. J’essayais de trouver mon identité sonore et de créer quelque chose qui me ressemblait. Le premier morceau qu’on a sorti était November Rain, que j’ai écrit à 18 ans. Il y a pas mal de temps donc (rires). À cette période-là, un ami à moi me dit quelques jours plus tard d’aller voir sur Spotify. Le morceau avait accumulé 50.000 écoutes. J’avais l’impression de rêver ! Je ne sais pas si c’était notre jour de chance ou pas mais c’était tellement fou. Je ne sais pas si je peux dire que ça m’a donné confiance en moi. Ce qui est sûr c’est que ça nous a poussé à en sortir plus !

LVP : Donc, ton premier single atteint un nombre fou d’écoutes et d’acclamations. Puis en 2020, soit quatre ans plus tard, tu sors ton premier album. Est-ce que tu te sentais sous pression d’une manière ou d’une autre quant à l’attente générale après le succès de tes premiers morceaux ? 

Josh : La pression, elle était clairement là. Je trouve d’ailleurs qu’en général, les EP sont plus intéressants, plus digestes et plus gratifiants à faire – et à écouter. En toute honnêteté, même si je suis très fier de ce qu’on a réalisé sur le premier album, ce n’est pas quelque chose avec lequel j’ai une énorme connexion. Je me sens tellement plus connecté à ce nouvel album et aux différents EP qu’on a sortis depuis le début. C’est assez dur à expliquer mais je pense que la pression a malgré tout joué un rôle dans tout ça. C’était une période de ma vie compliquée et ça n’a clairement pas aidé. Je me sentais sous pression constante et pour couronner le tout, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir de gros problèmes de santé. Pas facile de devoir gérer ses douleurs chroniques tout en devant boucler un premier album. Quand j’ai écouté les masters de l’album tout entier pour la première fois, j’ai réalisé à quel point il était empli de tristesse. C’était presque difficile de l’écouter. Et avec le recul, j’ai l’impression qu’il manque quelque chose dans cet album. Avec la sortie du deuxième, tout est différent. Il me ressemble du début à la fin.

LVP : Avec tout ça, est-ce que l’idée d’un deuxième album arrive facilement ?

Josh : Le Royaume-Uni est rentré en confinement trois jours après la sortie de l’album. Puis je suis tombé malade assez rapidement à cette période. Pour la première fois depuis des années, j’ai dû arrêter de travailler. C’est là que ma santé a empiré et que mes douleurs chroniques m’ont bousillé. Pendant plus d’un an il m’était impossible de jouer de la guitare, de faire de la musique. L’idée d’un deuxième album ne m’a même pas traversé la tête à l’époque. Je ne savais même pas si j’allais un jour pouvoir refaire de la musique. C’est ce qui me préoccupait le plus. J’ai tout fait pour garder cette connexion à la musique, j’ai passé mon temps à me documenter, à lire, à apprendre de nouvelles choses sur la musique. Ce n’est que bien plus tard que l’idée de refaire de la musique est revenue. Je voulais prendre le temps pour une fois, de guérir déjà puis de ne plus me mettre cette pression dont on parlait juste avant.

LVP : D’où la sortie de l’EP Time Can Prove You Wrong début 2023. 

Josh : Je me suis pris pas mal de leçons avec la réalisation et la sortie du premier album. J’ai surtout appris pas mal de choses, sur moi-même déjà.  C’est vraiment un EP qui parle de ma guérison, de la relation que j’entretiens avec mon corps aujourd’hui alors qu’il n’était pas loin de me lâcher. Le titre Lesson All Along en est d’ailleurs le cœur. J’avais besoin, d’une certaine manière, de toutes ces leçons pour aller de l’avant et pour aller mieux. J’ai ressenti le besoin de mettre tout ça sur papier.

LVP : Écrire pour mieux comprendre et digérer toutes ces choses, toutes ces émotions que tu ressentais à l’époque ?

Josh : Durant la phase d’écriture, tu te concentres tellement sur ce que tu ressens, sur toutes ces émotions qui te frappent dans tous les sens. D’une certaine manière, c’est pas du tout quelque chose de sain (rires). Tu en ressors plus épuisé à chaque fois. En même temps, je pense que la majeure partie des gens qui se tournent vers l’art sont des personnes qui de base, sont sensibles. Pendant l’écriture de Tarifa, j’ai dû faire face à une rupture amoureuse inattendue par exemple. Je pense que le fait d’écrire, de déverser mes émotions sur papier m’a fait vivre cette rupture de manière tellement plus intense que si je n’avais rien fait. De manière très cathartique, tu déconstruis ce que tu ressens. Après, en dehors de ça, ce qui m’a habité pendant toute l’écriture du deuxième album est la condition humaine en générale. Ce que signifie être humain aujourd’hui, ce que signifie être en vie tout simplement. Ce qui m’intéresse encore plus que ma propre vie.

LVP : La culture sud-américaine fait partie intégrante de ton inspiration musicale et personnelle depuis des années. À partir de quand as-tu commencé à t’attacher à toutes ces sonorités ? 

Josh : J’avais onze ans quand mes parents ont décidé de prendre une année sabbatique et nous ont emmené·es ma sœur et moi à travers toute l’Amérique latine. Avec le recul, c’est la période de ma vie qui m’a le plus appris, qui m’a le plus changé. Tu n’imagines pas à quel point ça peut ouvrir les horizons de quelqu’un à cet âge-là. On est arrivés au Mexique avant de se diriger vers l’Amérique centrale en passant par le Pérou. Dans ma tête d’enfant de onze ans, je me disais que si j’arrivais à apprendre l’espagnol, je pourrais m’en sortir dans tous ces pays (rires). On est revenu·es après un an et c’est là que je me suis mis à fond dans cette culture. J’ai appris l’espagnol, je passais mon temps à écouter les quelques cd que j’avais ramenés de là-bas. C’est à ce moment-là que j’ai entendu toutes ces sonorités, le charango, etc. Je pense pouvoir dire que c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’est ce que je voulais faire en tant qu’adulte.

LVP : C’est là que tu as acheté ton premier Charango ?

Josh : Non c’était bien plus tard (rires), je devais avoir la vingtaine. Je suis allé chercher mes instruments à La Paz avant d’aller apprendre à en jouer du côté de Sucre. Je me suis inscrit à une école de musique locale. Mon premier jour, j’ai débarqué dans une classe de six personnes, je me suis installé au fond et la magie a opéré. Je pense que c’est ce qui m’a permis d’ouvrir le champ des possibles de ce que je pouvais composer et écrire dans ma petite chambre avant de partir.

LVP : C’est quoi ton processus d’écriture justement ? Est-ce que tu écris avant de composer ou est-ce que tu composes avant d’écrire ?

Josh : La musique vient toujours en premier. Parfois je pars d’un concept, d’une simple idée autour de laquelle le reste de la musique s’articule. En général, je pars de toplines que j’essaye de faire cohabiter avec la musique en elle-même que j’écris. Puis au fur et à mesure j’essaye de construire le morceau en y ajoutant ce que j’ai envie de raconter. Le choix de l’espagnol sur quelques morceaux par exemple est quelque chose d’assez évident et naturel ! J’essaye toujours de communiquer et d’articuler du mieux possible le message que j’ai envie de faire passer.

LVP : Pendant la promo de ton premier album, tu as dit qu’écrire et composer étaient pour toi des expériences à la fois personnelles et visuelles. On peut dire que ta musique invite clairement au voyage. Il arrive à quel moment le côté visuel ? 

Josh : J’ai toujours cet aspect visuel en tête, ce qui est tout autant un mystère pour moi ! J’ai toujours le besoin de penser aux couleurs du morceau par exemple, aux lumières. Est-ce qu’il fait jour ? Nuit ? Est-ce qu’on est au crépuscule ? Devant les derniers rayons de soleil ? C’est quelque chose qui ne me quitte jamais réellement. Quand tu commences à visualiser un monde qui s’articule autour de l’histoire que tu veux raconter, comme dans un film finalement, c’est là que tu comprends le pouvoir visuel que la musique peut avoir. Je lis beaucoup de poésie et j’ai réalisé que mes poèmes préférés sont souvent ceux qui sont les plus descriptifs et imagés. Ça a toujours été dans un coin de ma tête car je pense qu’au plus tu vas pouvoir te plonger dans un morceau, au mieux tu pourras t’y connecter.

LVP : C’est quelque chose que tu développes aussi sur tes pochettes d’album et d’EP finalement. Tarifa est d’ailleurs la première pochette à avoir toutes ces couleurs très chaudes et puissantes.

Josh : C’est très inconscient et intuitif en réalité ! Les lumières qui jonchent cette ville sont tellement hypnotisantes, même en hiver.

LVP : Pour les tribus péruviennes, la musique était considérée comme un portail entre le ciel et nous. Quand on écoute ta musique, on est instantanément enivré·es et transporté·es. Impossible de ne pas se laisser porter. Est-ce que c’est quelque chose d’important pour toi de créer ce genre d’échappée temporelle au travers de ta musique ? 

Josh : La musique possède pas mal de pouvoirs différents et je pense que c’est pour tous ces pouvoirs justement que j’aime tant ça. La musique que l’on écoute va varier en fonction du contexte, de nos besoins, nos émotions. Pour moi, l’une des choses les plus puissantes avec la musique est son pouvoir à te faire voyager, à te transporter, à te connecter à quelque chose. C’est quelque chose que j’ai en permanence en tête ! C’est hyper mystérieux et intriguant comme pouvoir quand tu y réfléchis. Quand j’écris, peu importe l’émotion que j’essaye de dépeindre, mon seul espoir est que les personnes qui vont prendre le temps d’écouter puissent se connecter à ce que je raconte. C’est cette idée qui va sculpter le morceau, lui donner vie.

LVP : Avec ce nouvel album Tarifa, c’est dans un tout autre voyage que tu nous invites. On atterrit sur la côte ensoleillée de l’Espagne. L’album tourne autour de tout ce que cet endroit a de particulier, ce qu’il a à offrir. C’est quoi l’histoire derrière cette ville de Tarifa ? 

Josh : J’y vais depuis pas mal d’années en fait. La première fois que j’y ai mis les pieds je devais avoir à peine vingt ans, quand je vivais à quelques heures de là. J’ai passé quelques hivers à écrire là-bas. Je ne sais pas comment expliquer, je pense que sa position géographique joue un énorme rôle dans l’inspiration que je peux y avoir. Tu as l’impression d’atteindre le bout de l’Europe, tu peux voir l’Afrique qui se situe seulement à quelques kilomètres de là ! C’est un endroit où pas mal de jolies choses se rencontrent. C’est la rencontre entre les vents de l’Atlantique et de la Méditerranée, entre les bateaux qui vont vers les Amériques et ceux qui naviguent vers l’Europe. C’est un lieu de rencontre, de passage. Un mélange entre l’Histoire et cet élan de modernité qui pousse un peu partout.  L’atmosphère que tu as là-bas se rapproche du rêve, du mystique. J’y ai souvent été seul, notamment pendant la période où mon corps me lâchait et où je commençais à peine à sortir la tête de l’eau. Voyager était impossible pendant tout un temps dû à tous les traitements que je devais prendre. J’ai voulu voir si sortir de tout ça était envisageable. Crois-moi ou non, après quelques jours sur place, mon état a commencé à se calmer petit à petit. J’ai senti comme un relâchement, un apaisement. Pour la première fois depuis longtemps, mes douleurs disparaissaient et mon envie de faire de la musique revenait. C’est là que j’ai recommencé à créer, sans réellement pouvoir m’arrêter. Voyager seul te fait réfléchir et prendre du recul de manière très intense en réalité, tu en apprends beaucoup sur toi-même.

LVP : Sur Tarifa, tu explores de nouvelles sonorités. Notamment avec des morceaux comme Cornered Tiger ou Riding On The Wind. C’était quelque chose que tu as toujours eu en tête, apporter ces nouvelles dimensions sur l’album ?

Josh : Justement, je voulais étendre toutes ces sonorités que l’on peut entendre depuis mes premières sorties. Je suis en permanence à la recherche de nouvelles sonorités intéressantes à vrai dire. Ma curiosité n’a pas vraiment de limite (rires). Je suppose que le fait de jouer en groupe a son rôle à jouer là-dedans aussi ! On tend à jouer le plus organiquement possible et de se détacher de ces différents logiciels plus synthétiques. C’est un peu l’objectif principal d’ailleurs, réussir à mélanger toutes ces sonorités pour en faire un tout des plus organiques, des plus évocateurs.

LVP : Pour pas mal d’artistes, l’amour est au centre de leur musique, de leurs textes. C’est quoi toi la chose qui nourrit ta musique ?

Josh : Ce qui me prend le plus au corps, m’excite le plus quand j’écris ou que je compose est la condition humaine au sens large du terme. Notre relation en tant qu’Humain avec ce qui nous entoure. Le morceau We Had A Place In That Garden en est d’ailleurs le meilleur exemple je pense. C’est un morceau qui aborde l’importance, la joie aussi que l’on peut ressentir quand on réalise la chance qu’on a d’être en vie. La vie est courte, elle passe à une vitesse folle. On doit en profiter. Qu’il s’agisse des joies ou des peines, c’est cette réflexion permanente sur notre condition humaine qui m’habite, me nourrit. L’amour en fait partie, je ne dis pas, mais il faut voir la chose de manière encore plus élargie.

LVP : Sur le morceau Lesson All Along, issu de ton EP sorti plus tôt en 2023, tu écris : « Cause when the hope inside is strong, We are many, we are one. In every difference we’re alike, And on one another we rely. On each other we rely ». De l’espoir, tu dirais qu’il nous en reste encore un peu ? 

Josh : Ce passage-là en particulier reflète clairement ce dont on vient de parler justement. Écrire ces mots, les mettre en musique et les jouer. C’est ça qui me fait vibrer. C’est une aventure d’être Humain aujourd’hui, une sacrée aventure. Et je pense que l’amour en est la fondation. Il y a tellement de belles choses à accomplir, à faire, mais il y a aussi tellement de peine et de destruction dans le monde qui nous entoure. À titre personnel, je pense être naïvement optimiste (rires). Dans le sens où on est obligé·es d’avoir de l’espoir pour la suite. Notre génération a tendance à vite perdre espoir mais je pense que c’est dans l’espoir collectif que l’on trouvera les solutions dont on a besoin.

LVP : Si tu devais décrire ce nouvel album en un mot, ce serait quoi ? 

Josh : Bon ce n’est pas du jeu mais je vais plutôt faire une phrase (rires). J’aime l’idée que l’album soit la rencontre entre un feu de camp en plein désert et l’univers. C’est d’ailleurs le meilleur endroit pour écouter l’album (rires).

 

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