Blu Terra, la fenêtre sur le monde de Jackson Mico Milas
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Auteur·ice : Hugo Payen
23/12/2022

Blu Terra, la fenêtre sur le monde de Jackson Mico Milas

Après de nombreuses collaborations diverses et variées, ainsi que quelques bandes originales acclamées, c’est avec un premier album aussi universel qu’intime que l’auteur-compositeur se lance en solitaire. Avec une myriade de genres explorés, c’est toute l’expérience musicale engrangée par Jackson Mico Milas au fil du temps qui vient fleurir à travers ces onze morceaux raffinés. Cinématique et sensible, Blu Terra nous plonge dans les méandres des relations humaines et personnelles de l’artiste au talent presque ineffable. On a voulu en savoir plus sur le phénomène Mico Milas. 

La Vague Parallèle : Tu es connu pour tes nombreuses collaborations. Ça fait quoi de sortir un premier album en solo ?

Jackson Mico Millas : La logique voudrait que je sois des plus heureux mais c’est assez stressant pour être honnête. Il y a pas mal de choses auxquelles tu dois penser quand tu veux sortir un album en 2022.

LVP : Elle a commencé quand l’écriture de ce premier album ?

Jackson : Je dirais que j’y ai pensé pour la première fois il y a cinq ans. Ça m’a traversé l’esprit. Mais je n’ai pas directement commencé à bosser dessus étant donné les nombreux projets sur lesquels je travaillais à côté. Tout est arrivé très naturellement au final, je n’ai jamais dû forcer. Chacun des morceaux a été écrit avec le temps dont il avait besoin !

LVP : Tu composes de la musique depuis pas mal de temps maintenant. Est-ce que tu as toujours eu envie de faire un album comme Blu Terra ?

Jackson : Je me suis toujours dit que si un jour je sortais un album, ce serait en solitaire. Je me demandais ce que ça pourrait donner d’être complètement seul pour une fois. Avec le recul, on peut dire qu’il y a du positif comme du négatif dans les deux situations.

LVP : Tu écris énormément de bandes originales pour des films et séries. Quand on écoute ce premier album, ce côté très cinématographique est assez percutant. Est-ce que c’est quelque chose que tu gardes en tête pendant ton processus d’écriture ?

Jackson : Quand j’ai commencé à faire de plus en plus de morceaux pour le cinéma, c’est quelque chose que j’ai dû travailler énormément et en profondeur durant ces dernières années. Je pense qu’inconsciemment (et naturellement je dirais), cette vision est devenue une partie importante de ma création artistique. Ce qui est assez fou quand on se dit que j’ai voulu faire cet album pour échapper un peu à cet enchainement de bandes originales que j’ai pu faire ces dernières années (rires). Faire cet album était un peu un refuge vers lequel j’avais besoin de me tourner.

LVP : C’est compliqué de bosser sur différents projets comme l’écriture de bandes originales en même temps que sur la création de son premier album ?

Jackson : Au contraire, c’est tellement sain de pouvoir travailler sur son album sans aucune pression environnante. De pouvoir écrire et composer ce que tu veux, sans devoir rendre des comptes.

 

LVP : Je suppose qu’on n’écrit pas des bandes originales comme on écrit ses propres morceaux.

Jackson : C’est tellement différent. Quand on écrit pour des séries ou des films, on appuie la vision de quelqu’un d’autre. Tu n’es là que pour renforcer ce qui existe déjà ou le faire grandir. Le fait d’écrire son propre album te permet de penser les choses de manière tellement plus ouverte. Ce qui au début est assez effrayant pour être honnête, mais tellement beau.

LVP : Cet album est gorgé de plein d’émotions différentes. Est-ce que d’une certaine manière, composer de la musique te permet d’exprimer tes émotions comme pourrait le faire une thérapie par exemple ?

Jackson : Je pense qu’une bonne partie des paroles que j’écris sont directement issues de mon subconscient, de l’intérieur. Souvent j’écris sur le moment, sans vraiment y retoucher par la suite. Ça rend la chose incroyable quand tes morceaux sortent et que les personnes qui les écoutent y voient plein d’autres significations.

LVP : Cinq ans c’est à la fois très long et très court pour écrire un album. Est-ce qu’il y a quand même une part de mélancolie dans tes morceaux ?

Jackson : Clairement ! J’ai commencé à écrire cet album à Paris puis à Londres où j’ai longtemps vécu, puis je suis passé par cette phase assez particulière où je ne me sentais plus chez moi à Londres. Je suis retourné à Sidney en Australie, d’où je suis originaire, mais là non plus je n’étais pas réellement chez moi. Je pense que ce manque de racines quelque part a joué un rôle énorme dans ce côté mélancolique que tu abordes. Je suppose que cet album parle de solitude. Enfin non, pas de solitude mais d’isolement. Après, il est clair que le songwriting anglo-saxon où la mélancolie passe avant tout en est la cause aussi (rires).

LVP : Beaucoup de personnes pensent que la mélancolie est quelque chose de triste ou de sombre. C’est quelque chose de très présent dans ta musique. Tu l’appréhendes comment toi la mélancolie ?

Jackson : Je dirais justement que c’est tout le contraire ! Pour moi, la mélancolie représente une forme très particulière de beauté. Il n’est pas forcément question de bonheur ou de tristesse. Il y a un côté très contemplatif quand on écoute un morceau gorgé de mélancolie, qui t’emmène dans un questionnement assez pur. Je pense avoir assez facile à me perdre là-dedans personnellement, à voir mes pensées s’imprégner de cette mélancolie. Au final, la création de cet album a pris vie dans ces moments. Et j’espère que quelqu’un d’autre pourra tout autant se perdre et se laisser aller avec cet album que moi. La mélancolie pour moi est cet endroit aussi doux qu’il est mystérieux.

LVP : Blu Terra est comme un voyage à travers plein d’univers sonores ayant chacun leurs arrangements, leurs couleurs. On peut y passer de la folk au jazz et finir sur cette électro très lancinante. Est-ce que tu as toujours voulu avoir ce genre d’éventail de sonorités ?

Jackson : Je suis un grand fan de guitare, j’ai toujours du mal à m’en séparer (rires). Et en même temps je suis de plus en plus attiré par le piano. Je ne suis pas le meilleur joueur de piano mais il s’y dégage cette sensation jazzy quand j’en joue. J’adore ça ! J’essaye de ramener un peu de chaque chose que j’écoute, pas comme si j’avais analysé la chose, plutôt de manière très naturelle je dirais. J’ai une énorme collection d’albums de jazz des années septante et de musique brésilienne chez moi (rires), ça doit jouer !

LVP : Tu nous parlais plus tôt de ce que c’est de travailler avec plusieurs personnes comme tu le fais. Sur Blu Terra, tu as bossé avec de grands musiciens comme Tim Lefebvre qui a travaillé avec David Bowie, Robby Sinclair à la batterie qui bosse également avec Nick Murphy, ainsi que Véronique Serret. C’était comment pendant l’enregistrement avec autant d’univers différents ?

Jackson : En réalité, c’était merveilleux. C’est une bande de musiciens jazz tellement talentueux. C’est d’ailleurs pour ça que David Bowie a tant voulu travailler avec Tim, pour sa sensibilité jazz. Il recherchait des musiciens newyorkais très locaux. Et je pense qu’on peut tous dire que le résultat final est magnifique (rires). J’ai eu énormément de chance de bosser avec eux, c’est grâce à eux cette vibe jazzy constante. Pour ce qui est de l’enregistrement de l’album, tout s’est fait séparément ! Ce qui est fou quand on y pense. Il y a eu la crise sanitaire c’est vrai, mais on fonctionnait comme ça bien avant aussi. C’est plus dur que ce que l’on pense de réunir dans un seul lieu plusieurs musiciens du monde entier (rires). C’est un fonctionnement très chouette mais je t’avoue que j’aimerais bien faire quelque chose de plus immédiat la prochaine fois.

 

LVP : Il y a quoi dans la tête d’un ancien membre High Highs qui compose énormément de bandes originales quand est venue l’heure d’écrire son premier album en solitaire ?

Jackson : La première chose qui me vient en tête, là, c’est l’excitation. Il y en a à chaque sortie, que ce soit avec un groupe ou en collaboration. Mais là c’est un tout autre type d’excitation qui te traverse. Émotionnellement, je dirais qu’il y a ce sentiment de déplacement constant, d’isolation dont on a parlé plus tôt. Sur Don’t You Think of Me Once In A While, il y a cette phrase qui dit « waiting for September in a room with a view…”, et je pense que ça résume bien ce sentiment d’isolation qu’on a tous vécu au début de la pandémie par exemple. Pour le coup, mon sentiment d’isolation a pris une tournure plus universelle (rires). Après, ma rupture amoureuse n’a pas aidé mais je ne pense pas que ce soit un album de rupture. C’est trop facile ça (rires).

LVP : Tu as vécu à New York il y a pas mal de temps. Est-ce que cette période de ta vie t’a inspiré d’une certaine manière lors de l’écriture de cet album ?

Jackson : J’étais à New York au temps de mon ancien groupe, High Highs. L’écriture de Blu Terra a débuté bien après. Après, maintenant qu’on en parle, le saxophone du brillant Troy Simms qu’on entend sur Sea, Interior, ça c’est du New York. En réalité, une fois que tu vis à New York, ça ne te quitte jamais réellement. Dès que j’y retourne c’est un véritable mélange d’émotions. C’est une ville qui peut être à la fois implacable, impitoyable mais en même temps très attachante. Vivre à New York n’est pas quelque chose de facile, mais la quitter est encore plus compliqué comme le chantait R.E.M (rires). C’est le genre d’expérience qui t’inspire toute une vie.

LVP : En guise de neuvième histoire, qui porte d’ailleurs le titre de l’album, on découvre un morceau intensément touchant. Est-ce que tu sais nous en dire plus sur l’histoire derrière ce morceau ?

Jackson : Je vais être honnête avec toi, je me suis loupé sur ma réponse concernant New York (rires). Je n’avais rien préparé concernant ce morceau et là en fait en me replongeant dedans, je réalise que ce morceau est directement inspiré de ma vie à New York (rires). Deux amies australiennes m’ont rejoint sur ce morceau pour les chœurs et l’une d’entre elle récite d’ailleurs ce poème qui parle du fait de se tenir debout en plein sur cette avenue de Manhattan dont j’ai oublié le nom exact. Donc oui, ce morceau prend racine dans la ville de New York (rires). Je relie très fort ce morceau à cet endroit à Manhattan où le coucher de soleil se fait pile entre deux buildings une fois par an. Dans mon esprit, l’image de la lumière dont je parle dans le morceau se trouve être cet endroit ! Attention, ce n’est pas un morceau à propos d’un spot d’influenceur·euses Instagram (rires). J’y fais référence à cette expression britannique « laying ghosts » qui dit qu’il faut savoir mettre certaines choses de notre passé de côté pour ne plus qu’elles nous hantent. C’est probablement la clé du morceau Blu Terra.

LVP : Comment décrirais-tu cet album en un mot ?

Jackson : D’une certaine manière, je trouve que ces paroles de Don’t You Think Of Me Once In A While qui parlent de cette fenêtre vers l’extérieur, vers l’inconnu résonnent assez bien avec ce que j’ai en tête. « A room with a view », voilà comment je décrirais cet album.


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