Bonnie Banane rêve de lumière, d’ouverture et de beaucoup de groove
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
20/09/2021

Bonnie Banane rêve de lumière, d’ouverture et de beaucoup de groove

Malicieuse, pleine de proses et de surprise, l’autrice-compositrice Bonnie Banane est un ovni dans le paysage musical français. Se présentant comme “la fille cachée qu’auraient pu avoir Coluche et Beyoncé”, elle mêle sa musique farouchement r’n’b à un enrobage grandiloquent acquis durant ses années de formation au conservatoire d’art dramatique. On a eu la chance d’échanger une binouze avec elle après son concert intimiste et spectaculaire à l’une des Fifty Summer Sessions de cet été. L’occasion de discuter de son album, de l’importance de la mort dans sa musique, de ses icônes Brigitte Fontaine et Catherine Ringer, ou encore d’anges nus. Rencontre du troisième type avec Bonnie Banane. 

Pour son premier album paru en novembre dernier, intitulé Sexy Planetc’est par la drague musicale que la chanteuse tente de se “mettre la planète dans la poche, histoire qu’elle l’épargne de ses humeurs.” Un disque à l’esprit surréaliste et à l’imagerie hallucinée, qui transpose en musique la théâtralité de son personnage. Un objet qui permettait également au registre francophone d’assumer l’appellation r’n’b sans la caricaturer, lui permettant de revêtir un costume extravagant, loin des carcans de l’imaginaire collectif. Sans prétention aucune, Bonnie Banane réinvente alors le genre musical qui a bercé son enfance en y infusant sa propre esthétique, ses propres codes, dans une volonté toute simple : ramener le groove dans nos vies.


 

LVP : Tu as enfin pu donner vie à cet album sur scène, plusieurs mois après sa sortie. Ca t’a donné des papillons dans le ventre de pouvoir le projeter scéniquement ? 

BB : Oui, grave. Ça m’a apporté un certain trac et c’est de ça dont j’avais besoin et qui me manquait vachement. Après, c’est une reprise douce, un peu bizarre. Aujourd’hui, c’était mon premier concert avec des gens sans masque, par exemple. Les précédents, j’étais très heureuse de les faire, mais les gens masqués c’est semblable à un cauchemar. Ca fait peur, ça rend parano.

LVP : Tu ressors quelque chose de poétique de toute cette apocalypse ? 

BB : Cette pandémie m’a quand même appris à moins me plaindre, à accepter le sort. Il y a parfois des choses qu’il faut accepter. Il faut savoir se faire traverser par les événements et rester humble. Ok, mon album est sorti, mais à côté de ça il y a des gens qui meurent. Et ça, ça remet tout en perspective. 

LVP : Ton album Sexy Planet s’articule énormément autour de cette notion du groove. Tu confiais d’ailleurs récemment dans l’un des podcasts NDA de la journaliste Naomi Clément que ton seul but était de faire groover la France. Pourquoi la planète a tant besoin de groover ? 

BB : Parce que moi c’est comme ça que je l’aime. C’est comme ça que j’ai envie qu’elle soit. Quand j’étais petite, mon rêve c’était qu’il y ait une espèce de radio diffusée par Dieu partout dans le monde, et la loi serait que tout le monde marche en rythme, en accord avec la musique diffusée. 

LVP : Mais d’une belle façon. Pas en mode armée, j’espère.

BB : Bah, ce serait une dictature, quand même. 

LVP : Une dictature de musique et de lumière, alors ! 

BB : Voilà. Du coup, je ne veux plus ça maintenant, heureusement. (rires) Mais je veux juste que ma musique mette les gens dans la joie, que tout le monde soit à l’aise, en fait. Parce que le groove, ça met le corps à l’aise. C’est ce groove-là que je voulais défendre.  

LVP : Après trois ans de hiatus, tu revenais en juin 2020 avec La Lune et Le Soleil. Pourquoi l’avoir choisi comme éclaireur pour ce nouvel album ? 

BB : Parce que je voulais ouvrir : ouvrir les bras, tendre les bras. Que ce soit une chanson autant pour les enfants que pour les vieux. Avec un message positif, celui de la réconciliation. C’est cette métaphore de la lune et du soleil qui indique qu’il faut tendre vers le côté “chacun son tour”, “un coup c’est toi, un coup c’est moi”. 

LVP : Derrière l’absurde et le saugrenu de tes morceaux, il y a toujours un message, en fait. 

BB : Exactement.

LVP : Les Bijoux de La Reine, par exemple, c’est quoi le sens ?

BB : Ça, personne n’a vraiment encore l’occasion de le découvrir car j’aimerais le faire découvrir de façon visuelle. Le morceau part, en réalité, d’une vision, d’un rêve que j’ai fait. Et je compte retranscrire ce rêve, de façon visuelle. Il faut être un peu patient. Mais, effectivement, pour l’instant c’est un morceau que vous ne pouvez pas comprendre.

LVP : Ce morceau me fait beaucoup penser à l’univers de Brigitte Fontaine, et notamment le morceau J’ai 26 ans que tu reprends sur scène. Tu disais d’ailleurs récemment que tu allais chanter cette chanson pour le reste de ta vie. Pourquoi ? 

BB : C’est une de mes chansons préférées. C’est une chanson qui, dans son écriture, m’a beaucoup inspirée. J’ai ma propre version, que j’ai écrite avec mes paroles, mais je ne la chanterai pas car je trouve sa version magnifique. Découvrir l’œuvre de Brigitte Fontaine, ça m’a ouvert beaucoup de portes. Mentalement. Elle a quelque chose d’hors du commun, et je l’aime beaucoup. C’est vraiment une idole. Et cette chanson, la première fois que je l’ai écoutée, ça m’a transpercée. Et le choix de la proposer en reprise pour mes concerts m’a semblé évident. 

 

LVP : En filigrane, sur cet album, on retrouve aussi la mort. Deuil et Flash notamment, qui font écho à des événements tragiques que tu as du traverser ces dernières années. Mettre ces tragédies en chanson, c’est une façon pour toi de conjurer ces grandes énergies comme la perte, la mort ? 

BB : Exactement. La mort, c’est quelque chose qui a tapissé ma vie. Ça m’a transformée, ça m’a aidée à grandir et à comprendre énormément de choses. Ça m’a aidée à rire, beaucoup. Je ne serais pas la même personne si je n’avais pas vécu les deuils de ma vie. Et c’est chouette que tu abordes cette notion, car je trouve qu’on n’en parle pas assez. Il faut embrasser ça, se laisser traverser par ça. Parce qu’on est mieux après. On est une meilleure personne, je trouve. 

LVP : Juste après avoir chanté Deuil tout à l’heure, tu as d’ailleurs lâché un petit « C’est badant » au public. Alors qu’au fond, si on ne fait pas attention, on ne se douterait pas que le morceau est si dur grâce à son enrobage dansant. 

BB : Pour moi, le deuil est quelque chose qui doit être dynamique. J’avais envie de raconter le deuil comme une conquête, une épopée. Quelque chose qui bouge. Je voulais du mouvement. Car, selon mon expérience, le deuil est beaucoup moins léthargique qu’on ne le pense. Ça vit. 

LVP : Ce qui marque l’album, c’est également cette écriture à la fois simple mais aussi très imagée. Qu’est-ce qui t’a amené cette écriture ? 

BB : C’est mon goût. Quand je chante, j’apprécie qu’il n’y ait que peu de paroles. Sinon, ça m’écœure. Je ne m’y retrouve pas. J’essaie d’aller à l’essentiel et de choisir les mots que je pourrai chanter pendant encore dix ans. Donc il faut que ça soit simple, et que tout le monde comprenne. Je suis allergique aux chansons qui emploient des mots compliqués. Je trouve ça présomptueux, pédant. J’ai pas envie d’avoir à ouvrir un dictionnaire quand j’écoute une chanson. J’ai envie que ça me parvienne tout de suite. 

LVP : Sexy Planet, c’est le fruit de combien d’années de confection ?

BB : Trois ans. Il y a eu des hauts, des bas. Des longs moments de décantation et puis d’autres instants où tout allait beaucoup plus vite. J’ai été voir tout plein de producteurs différents, entre la Belgique, la Suisse et la France. C’est plein de petits accidents, et de choses qui avaient mûri pendant des années. 

LVP : Du coup, pour les premiers morceaux de l’album que tu as écrit, ce n’était pas déstabilisant de devoir se rattacher à un feeling que tu avais ressenti trois ans plus tôt  ?

BB : C’est le job de l’interprète. Je suis allée voir Catherine Ringer aux Printemps de Bourges récemment, et quand elle a chanté Marcia Bella, j’ai vraiment chialé. C’est une chanson qu’elle a écrite il y a plus de trente-cinq ans, mais elle la chante avec une telle ferveur que t’as l’impression que sa pote est morte la veille. Et c’est ça l’interprétation, c’est l’émotion. C’est ça qui m’intéresse, moi.

LVP : Ce que tu as ressenti devant Catherine Ringer, c’est ce que tu souhaites à tes chansons, trente ans plus tard ?

BB : Oui, totalement. La musique que j’aime et que je veux créer, c’est celle qui re-convoque l’état dans lequel on a pu se trouver un jour. Quand je réécoute des chansons que j’ai pu écouter de façon obsessionnelle à une certaine période de ma vie, je me retrouve totalement dans cette période. C’est ça la puissance de la musique pour moi. C’est la BO de la vie des gens. 

LVP : Tu demandais récemment sur Instagram si tu finiras en enfer ou au paradis. C’est quoi ta réponse ? 

BB : Je ne sais pas, je ne sais pas encore. Mais moi, la lumière, ça m’attire quand même. Quelque chose où on flotte, carrément. Voir des anges, traîner avec eux. 

LVP : Des anges nus.

BB : À poil !