Brighter Wounds : l’ode à la dualité de Son Lux
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
10/02/2018

Brighter Wounds : l’ode à la dualité de Son Lux

Son Lux revient nous faire tourner le coeur. Dix années après un premier projet A War With Walls and Mazes et après nous avoir conquis par les trois autres qui ont suivi, la bande à Ryan Lott nous gâte à nouveau avec Brighter WoundsRetour sur l’expérience musicale la plus profonde de ce début d’année.

                                       

Il n’y a rien de plus muable que la musique et le prodigieux touche-à-tout le sait mieux que quiconque, le prouve son parcours aussi respectable que diversifié. Ancien membre de l’étonnant trio Sisyphus  qu’il partageait alors avec le voluptueux Sufjan Stevens et le rappeur Serengeti – Ryan Lott s’est tout d’abord aventuré solo sur les sentiers d’un répertoire encore très ombragé et méconnu de l’époque : l’expérimental. Quatre bijoux plus tard, le chanteur a réussit à dévoiler sa singularité et la diffuser à l’échelle internationale de façon à ce que les notes envoûtantes du somptueux Lost It To Trying (Mouths Only Lying) résonnent à tous de façon familière. Une musicalité unique et subjuguante que même les mondes du petit comme du grand écran s’arrachent. Ainsi, on retrouve la patte de l’Américain dans de nombreux spots publicitaires et autres séries à succès, comme la captivante How To Get Away With Murder qui a fait du groupe une référence musicale presque évidente tant les deux univers se marient avec harmonie. Plus honorablement encore, c’est Lott qui fut chargé de composer les bandes originales des films Paper TownsMean Dreams et de la trilogie The Disappereance of Eleanor RigbyEn 2015, Bones signe le tournant majeur de Son Lux qui vient tripler son effectif pour accueillir le talentueux guitariste Rafiq Bahtia et la fougue du batteur Ian Chang. A l’aspérité de la voix de Lott se juxtapose donc la rythmique des deux musiciens et l’alchimie est complète, vibratoire et fructueuse à tel point qu’imaginer le groupe sans concevoir le trio n’est plus envisageable. C’est au bout de ce parcours plus que débordant que se construit ce nouvel opus fort de cette folle épopée traversée en dix ans seulement.

La recette est la même et c’est sans difficulté que l’on retrouve les sonorités qui nous ont déjà capturés par le passé. C’est ainsi que l’effréné The Fool You Need, orné des ses touches cuivrées, rappelle leur légendaire Easy. C’est aussi avec grande joie que les plus attentifs discerneront un sample du magistral Alternate World subtilement glissé dans le cacophonique Surrounded. Ensuite viennent le thème, le contexte et la couleur. Ici, le trio joue avec l’antagonisme et le duel. Entre la jeunesse flamboyante et l’éveil désenchanteur de l’âge adulte. La douceur et le vacarme. Le “jour sombre” et la “nuit éclatante”. Le doré étincelant et le noir brut de la pochette. Ces oppositions habitent donc chacun des dix titres de la plus intime et transparente des oeuvres du collectif new-yorkais. Il faut dire que l’écriture de ce cinquième travail fut ponctuée d’événements personnels majeurs dans la vie de Lott : la naissance de son premier enfant et le décès d’un ami proche. La vie et la mort.

                                       

La vie. Trois accords de pianos en boucle, une atmosphère de rêvasserie et nous voilà immergés dans Labor, une poétique métaphore de l’accouchement. Le thème revient encore dans Forty Screams, qui relate la naissance de son premier chérubin un jour seulement après l’élection du président américain Donald Trump. Le calme après la tempête. Les positions du groupe quant à cette investiture avaient clairement été démontrées suite à la sortie en mai dernier de Remedy, un EP qui se dressait comme un puissant pamphlet anti-Trump. Dans la même lignée, ce titre introducteur dénonce les conditions déplorables dans lesquelles le jeune papa accueille son successeur et souligne son désarroi face à cette situation en tonnant “I had wanted a better world for you” tout au long de ce poignant mea-culpa.

La mort. Aquatic explose le coeur par sa légèreté et sa mélancolie. Sans doute le maillon fort de ce Brighter Wounds. L’extravagance si propre au groupe laisse ici place à une composition plus épurée, moins complexe qui laisse l’opportunité à la voix déchirante du leader de décharger toute l’émotion que ce titre mérite. Dream State offre la dose d’élévation, d’émancipation et d’électrisation nécessaire. Malgré sa forme énergique et entraînante, son fond est beaucoup plus sombre. Le morceau semble, en effet, imprégné d’une lourde nostalgie et personnifie harmonieusement l’adage “c’était mieux avant”. “How do we feel? […] And how do we feel it again?” clame l’outro, traduisant la frustration difficile qui accompagne la comparaison compulsive du présent au passé. Une nostalgie que l’on retrouve dans l’orchestral All Directions et ses répétitifs “Weren’t we beautiful once?”. Celui-ci – long de près de sept minutes – commence sobrement pour évoluer crescendo et livrer une inévitable explosion, véritable concentré de ce que la musique a de plus sensible à offrir.

Les deux thèmes se partagent la vedette dans un album bicéphale partagé entre la lumière de l’un et l’ombre de l’autre. Resurrection vient clôturer cette hymne à la dualité, à la vie et la mort, à l’or et au noir de la plus belle des manières. Vacillant avec calibrage entre le calme et la tempête, il finit par trouver le juste milieu entre les deux pour atteindre cet “autre côté”, cet éden si cher que l’on semble, nous aussi, toucher du bout des doigts à l’écoute de cet album fabuleux.


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