Buvette, l’éternité comme philosophie musicale
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
01/04/2020

Buvette, l’éternité comme philosophie musicale

À l’occasion de la Five Oh Food organisée par le label bruxellois Five Oh, nous avons eu l’occasion de rencontrer Cédric Streuli, l’esprit débordant d’inventivité derrière l’irrésistible projet Buvette. Deux mois après la sortie de son cinquième album 4EVER, on s’est donc posé dans un café typique de Schaerbeek avec l’artiste suisse pour éclaircir les nombreuses métaphores derrière ce disque, les anecdotes derrière sa collaboration avec Apollo Noir, ou encore la nostalgie d’une industrie musicale plus humaine. L’occasion aussi de discuter de musique pop, de liberté créative et de stade de foot de Quatrième Ligue.

La Vague Parallèle : Hello Buvette ! Avant cette interview, nous sommes allé·es visiter les Internets pour voir ce qu’il disaient de toi. On y trouve des mots comme electronic pop, synth pop ou encore electronica. Ce n’est pas un peu réducteur de toujours vouloir labelliser les artistes ?

Buvette : Depuis toujours, on a connu cette idée d’hybridation musicale : l’association de deux genres qui en créent un nouveau. Donc je pense qu’on est sans cesse dans ce processus d’expérimentation et qu’il y a autant de genres musicaux qu’il y a d’artistes. Le fait qu’on tente de poser une étiquette sur ma musique, je n’estime pas que ce soit forcément réducteur car ces appellations ne tirent en aucun cas mes morceaux vers le bas. Mais je pense juste que ma musique est plus large que les catégories dont tu parles et qui me semblent trop précises. Le mot pop à lui tout seul fonctionnerait.

LVP : En parlant de ce mot, pop, lui attribuerais-tu une connotation péjorative ?

B : Non, absolument pas !

LVP : Tu as d’ailleurs déjà su exploiter cette musique pop sur cinq albums. C’était compliqué pour toi de te réinventer sur chacun d’entre eux ?

B : Compliqué ? Non car c’était d’ailleurs l’essence même de la démarche : questionner les possibilités. Justement, ce sont ces réinventions qui m’ont aidé à produire ma musique. Elasticity, mon précédent disque, c’était une façon de me réinventer à travers un collectif. À l’époque, j’ai repensé ma façon de faire de la musique, en faisant appel à d’autres personnes, et c’était aussi la première fois que je ressentais une véritable connexion créatrice avec mon label (Pan European Recordings, ndlr.) Sur chaque disque, il y a ce phénomène de renouveau, mais qui est entraîné par des éléments divers : l’envie de produire et de jouer en groupe, par exemple, c’est arrivé parce que je jouais seul depuis six ans et que j’en avais un peu marre (rires). Pour ce nouvel album, j’avais envie de revenir à quelque chose de plus simple, en m’entourant simplement d’un producteur ou d’une productrice, d’où la présence d’Apollo Noir sur ce projet.

LVP : Au milieu de ces cinq longs formats, on retrouve un EP intitulé Life que tu partageais en mars dernier. Un disque que l’on caractérisait facilement de parenthèse, une façon pour toi de redéfinir Buvette. Tu confirmes ?

B : Exactement, c’était une manière d’introduire ce qui arrivait. C’était les débuts de notre collaboration avec Apollo Noir et, même si on savait qu’on allait vers quelque chose d’intéressant, on n’avait pas assez de matière pour construire le gros projet qu’on imaginait. Du coup, on a rassemblé certains morceaux de Life, en se disant qu’ils se démarquaient de l’univers de l’album et qu’on pouvait les partager via ce format très contemporain qu’est l’EP. Mais il serait juste de dire que Life constitue le vestibule de 4EVER.

LVP : Au vu du nom de ton album, 4EVER, qu’est-ce qui se cache derrière cette idée d’éternité ?

B : C’est un peu un album “constat“. Ça va bientôt faire dix ans que le projet existe et c’était l’occasion pour moi de me poser, de me retourner, et de voir toutes ces personnes qui ont contribué de près ou de loin au projet. Et pas seulement au niveau musical, il y a aussi toutes ces personnes qui m’ont hébergé, qui m’ont prêté du matos, même celles qui m’ont pris en stop (rires). À travers ces morceaux, j’ai trouvé une façon de remercier ces gens et de les saluer. Ça m’a donné l’impression de figer l’instant, de cristalliser ma musique, et ça m’a donné cette sensation que ça pourrait très bien être mon dernier album, dans le sens où il parvenait à englober toutes les facettes du projet. Je le comparerai facilement à l’épitaphe sur ma pierre tombale, une façon d’honorer Buvette et de le faire perdurer dans le temps. D’où cette idée d’éternité, de forever.

LVP : Tu l’as produit comme si c’était le dernier, donc.

B : Pas forcément “produit”, mais plutôt “pensé”. Les émotions, les sujets que j’aborde, ça me rappelle ces discours de fin et de remerciements. En plus d’être un album constat, c’est un album hommage.

LVP : Tu parles beaucoup de ta collaboration avec Apollo Noir, dont l’électro plutôt froide contraste beaucoup avec la tienne, plus dreamy et chaude. C’était facile de trouver un compromis entre vos deux univers ?

B : Ça a mis du temps pour qu’on parvienne à définir cette identité sonore qui nous correspondrait à tous les deux. Lui a un matos qui se compose de beaucoup de synthétiseurs modulaires, qui sonnent, par définition, plus pointus et froids. Ce ne sont pas des sons dans lesquels tu as forcément envie de t’asseoir. C’est plus des chiens qui aboient qu’un hamac. Et moi, je suis le hamac. Le plus compliqué, c’était de s’accorder sur le vocabulaire, la manière d’appeler les choses. Lui est très technique et moi je suis plutôt dans le figuré et l’image. Par exemple, j’étais du genre à arriver en studio en disant : “Il faut un son qui représente le moment où tu es sur le quai et le bateau qui allait changer ta vie est en train de partir au loin” (rires). Mais, finalement, c’est progressivement et assez naturellement qu’on a su trouver cet équilibre entre nos deux esthétiques sonores.

LVP : Chez toi, on retrouve beaucoup cette idée de liberté d’interprétation, notamment au niveau de ton nom d’artiste, que tu as choisi par rapport à la sonorité des syllabes. Qu’est-ce qui se cache d’autre derrière ce nom ?

B : Ce nom de scène, c’est une longue histoire ! À l’époque où je commençais la musique, je bossais dans un bar en station à Leysin, village où j’ai grandi. En rentrant de mes services, vers 2-3 heures du mat’, j’avais tendance à composer de la musique. Tous mes premiers morceaux relataient donc le service que je venais de passer au bar, en parlant des clients et de l’ambiance générale de cette buvette. Donc ça m’a beaucoup influencé. Et, à côté de ça, un de mes potes trouvait horrible le mot buvette. Du coup, j’ai décidé de l’utiliser comme nom de scène, surtout parce que sa phonétique me faisait marrer.

LVP : Y a-t-il un morceau dont la production t’a particulièrement marqué sur cet album ?

B : Last Dance, c’était le morceau le plus galère de tous. Au début, il était très différent et on avait d’ailleurs décidé de le virer de l’album. Puis, finalement, on l’a réintégré en le faisant s’accorder à l’esthétique des autres morceaux. On a dû restructurer le titre depuis sa base parce que, même si la mélodie était cool, le morceau était beaucoup plus commun et barbant. Ça a été long de trouver cette fameuse alchimie qui m’a fait aimer Last Dance, mais on y est arrivé.

LVP : Tu sortais d’ailleurs récemment un clip pour accompagner Last Dance. On y retrouve notamment des influences de la culture mexicaine.

B : C’est Txema Novelo, un de mes potes mexicains, qui l’a réalisé. C’est intéressant d’en parler parce qu’à la base, pour ce morceau, on devait tourner un clip en Chine. Finalement, on ne recevait jamais de pitch et les délais devenaient vraiment serrés, notamment au vu de l’épidémie. Au final, ça m’a permis de repenser à l’essence de 4EVER, qui était surtout de bosser avec des proches, notamment Charles Negre qui s’est occupé de la pochette et du clip de True Stories, que je connais depuis une dizaine d’années. Du coup, ça faisait complètement sens de contacter Txema pour réaliser ce clip. Normalement, il ne travaille pas très vite (rires). Et là, par miracle, il était à Mérida avec tout son matos. Il a rassemblé une équipe d’acteurs, une voiture, il a tourné le clip en cinq jours et l’a monté en une journée. Et le résultat est ouf. On travaille d’ailleurs ensemble sur un projet qui mêle visuel et musical, qu’on va mettre en place prochainement. C’est un projet qui me plaît car il laisse place à beaucoup de liberté créatrice.

LVP : C’est important pour toi, cette liberté dans ton processus de création ? 

B : Énormément ! Je n’aime pas trop les contraintes, je n’aime pas trop les “il faut… parce que…” J’aime bien quand les choses peuvent toujours se réinventer et se confronter à d’autres éléments. Ça me ferait super chier d’avoir 50 ans et de rester bloqué entre la synth pop et l’italo disco. J’aime quand les choses ont la possibilité de se développer et de changer : peut-être que dans mon prochain album il n’y aura pas de paroles, ou bien aucune mélodie ? J’aime être libre de faire ce que je veux.

LVP : Si tu devais décrire ta musique en une buvette, elle ressemblerait à quoi ? 

B : Une buvette de stade de foot de Quatrième Ligue. Parce que c’est le vrai foot des passionné·es. Pas de gros sponsors, pas de multinationales, pas de gens qui se battent. Ce n’est que de l’amour. Les gens ont le temps d’échanger et de parler. C’est ça qui me plaît dans ma musique : pouvoir rassembler les gens sans avoir la contrainte de devoir en réunir 15 000 pour que ça veuille dire quelque chose. Je n’ai jamais cherché le gros carton. C’est d’ailleurs une époque que je regrette un peu, celle où je bookais mes dates moi-même. J’avais l’occasion d’avoir au bout du fil la personne qui souhaitait me booker, puis je me retrouvais à dormir chez cette personne, qui me présentait à d’autres mélomanes, etc. C’était un vrai processus de partage, un processus humain. Le genre de phénomène que t’observes en Quatrième Ligue et pas au Stade de France, par exemple.

LVP : Tu aurais des coups de cœur musicaux à nous partager ? 

B : Il y a plein de petit·es artistes que j’aime bien. Je pense notamment à Tryphème qui commence à sortir de la musique via le label CPU. Elle fait de la musique électronique et c’est tout simplement mortel. Elle assurera d’ailleurs ma première partie pour la release party de 4EVER. Je pense aussi à Jazzboy qui a un univers tant visuel que musical canon. Sinon, j’organise un festival en plein air en Suisse, qui s’appelle Hautes Fréquences. Cette année, c’est la septième édition et ça se passe les 24 et 25 Juillet. On balance les premiers noms début mai. L’idée, c’est de présenter les artistes qu’on aime, et donc si tu veux connaître mes coups de cœur musicaux, viens les écouter là-bas !

LVP : Dernière question conne : si j’écoute Evening Music le matin, ça fait quoi ?

B : Bah écoute, c’est encore le soir dans une autre partie du monde (rires).


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