“Ça s’entend quand les gens se forcent” – Oscar Jerome
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Auteur·ice : Victor Houillon
27/07/2019

“Ça s’entend quand les gens se forcent” – Oscar Jerome

La plus belle suite d’accords de 2018, c’est lui. À l’occasion de Pete The Monkey, on s’est assis avec Oscar Jerome, le génial guitariste de KOKOROKO qui se lance dans un projet solo. L’occasion de discuter de ses nombreuses influences, de la responsabilité politique de la musique, et de son rapport à l’écriture.

La Vague Parallèle : Bonjour ! Tu as déjà joué une paire de fois en France avec KOKOROKO, et en tant qu’Oscar Jerome au Pop-Up. Que penses-tu du public français ?

Oscar Jerome : J’aime être en France. On dirait que les gens comprennent ma musique. Ils me donnent beaucoup en retour, et réagissent vraiment à ce qu’il se passe sur scène. Plus qu’en Hollande ou en Allemagne… Enfin ça dépend, j’ai eu une très bonne surprise à Berlin. Bref, je ne veux pas me faire d’ennemis (rires). Il y a ce cliché que les Parisiens sont assez réservés, mais j’ai toujours trouvé que les gens étaient vraiment bruyants et investis.

LVP : Tu t’attends à cela ce soir ?

OJ : Je l’espère ! (rires)

LVP : La manière dont tu joues de la guitare me fait penser à George Benson ou Ali Farka Touré, un mix d’influences africaines et occidentales. Comment en es-tu arrivé à incorporer tout ça dans ta guitare ?

OJ : J’ai commencé par la musique classique, vers huit ou neuf ans. Après, j’ai eu ma période Jimi Hendrix, je jouais dans pas mal de groupes de rock. À l’adolescence, j’ai découvert le jazz. Il y avait un très bon prof de jazz qui jouait du piano à mon école de musique, il m’a montré la musique de George Benson. Et depuis que je vis à Londres, je suis intéressé par la musique ouest-africaine. J’adore le blues, et en étudiant l’histoire du blues, je suis tombé sur les grands guitaristes maliens, dont justement Ali Farka Touré. Londres, c’est vraiment un melting-pot de musiques et de personnes venant de différents pays. Voilà, c’est juste que j’aime énormément de choses, autant le reggae que le funk, la musique ouest-africaine ou le jazz, un peu de folk aussi. Je n’y ai pas trop réfléchi en réalité, ça vient naturellement.

LVP : Quand tu écris, tu ne te mets pas une direction spécifique ?

OJ : Non, mais il en ressort ce que j’écoute sur le moment. Par exemple, si j’écoute pas mal de trap, ou de jazz spirituel, ça risque de s’entendre dans mes compos. Selon moi, si tu t’enfermes dans une case en te disant que tu vises un style particulier, tu ne finiras jamais avec quelque chose qui te représente. Tu peux avoir l’idée d’écrire une chanson plus rythmée, mais au final il faut juste que tu écrives ce qui te semble juste. Ça s’entend quand les gens se forcent.

LVP : Du coup, quand une chanson prend forme, comment décides-tu à quel projet elle correspond le mieux ?

OJ : Prenons l’exemple d’Abusey Junction. Je m’amusais, tout simplement, et cette suite d’accords est sortie. Je l’ai montrée au reste des membres de KOKOROKO car je ne voulais pas jouer tout seul une musique qui sonnait très ouest-africaine. Ce n’est pas moi, ce n’est pas mon héritage. J’ai cette influence, mais si j’écris une pièce qui me rappelle ce style, cela a plus de sens de le faire avec eux.

 

LVP : Tu écris aussi pour d’autres personnes ?

OJ : Oui, j’écris de temps en temps pour d’autres groupes, mais surtout pour moi en général. Avec KOKOROKO, on apporte tous une chanson, une idée, c’est très démocratique. Chacun amène ce qu’il a, et on retravaille le tout. Je pense que c’est essentiel pour une équipe si large d’avoir une approche diplomatique de l’écriture.

LVP : C’est intéressant que tu aies mentionné Hendrix tout à l’heure, car si pour toi Abusey Junction sonne très ouest-africain, les commentaires sur YouTube disent que la guitare leur rappelle John Frusciante, qui a lui aussi était énormément influencé par Hendrix, et je dois dire que je suis d’accord avec eux.

OJ : Oui, je vois ce que tu veux dire. Beaucoup de gens me l’ont dit, d’ailleurs (rires). En vérité, les racines du blues se trouvent en Afrique de l’Ouest, donc c’est un cercle. Intéressant (rires). J’écoutais les Red Hot Chili Peppers en étant enfant, mais ce n’est pas quelque chose que je citerais comme une influence. Mais j’entends ce dont tu parles. Il écrit ces riffs qui te restent en tête et que les gens veulent apprendre à la guitare, et je pense que c’est la raison pour laquelle ils ont eu tant de succès. Un de ces groupes dont les chansons sont à la fois faciles à apprendre et satisfaisantes à jouer.

 

Utiliser cette plateforme pour promouvoir des choses positives, c’est ta responsabilité

LVP : Pour en revenir à la musique ouest-africaine, certains groupes maliens comme Tamikrest ou Tinariwen voient la musique comme un vecteur pour faire réfléchir sur des messages politiques ou sociaux. Vois-tu ta musique de la même manière ?

OJ : Je pense que oui. Évidemment, étant britannique, je ne rencontre pas le même genre de problèmes, mais je pense que c’est important d’utiliser cette plateforme que tu as créée pour promouvoir des choses positives ou parler de certaines choses. C’est ta responsabilité. J’essaye de le faire, en tout cas. Par le passé, j’écrivais avec un parti pris négatif des situations pour rendre les gens conscients, mais désormais j’essaye d’aborder les mêmes sujets d’une manière plus positive. J’ai réalisé que les gens d’extrême-gauche ou d’extrême-droite ne pouvaient pas se rassembler et discuter à cause de leur négativité, et donc que personne n’essayerait jamais de changer quelque chose. Quand tu es si éloigné des autres, et que tu ne fais que crier, rien ne se passe. Crier sur les gens de manière négative, c’est une bonne façon de retranscrire les émotions humaines, et je supporte toujours les manifestations de ce genre, mais si tu peux faire réaliser quelque chose aux gens par le biais des effets positifs d’une personne, tu peux avoir plus d’impact. Un meilleur moyen d’obtenir le changement.

LVP : Tu as des exemples de chansons que tu as écrites dans ce style ?

OJ : Cette ancienne chanson, Give Back What You Stole From Me. C’est une vraie chanson de revendication, donc négative, à propos du Liable Scandal, un scandale bancaire en Grande-Bretagne. En gros, elles dépensaient plus d’argent qu’elles n’en avaient, et des citoyens en ont pâti. Je t’épargne les détails techniques (rires). Mais une chanson comme Do You Really parle de mon ego en tant qu’homme, et d’essayer de travailler sur moi-même dans mes interactions avec les gens et les situations. Si j’admets que je ne suis pas une personne parfaite, je peux utiliser cet exemple de manière positive pour montrer que chacun peut aspirer à devenir meilleur. Tu as entendu ma toute nouvelle chanson, Gravitate ? Elle parle d’une personne que je connais, qui a grandi d’une vue négative d’elle-même vers une personne que les gens érigent en modèle. Cette chanson, c’est la célébration d’une personne qui transitionne d’un point de vue négatif à un point de vue positif à propos de soi.

 

LVP : Comment cette personne a-t-elle réagi à la chanson ?

OJ : Ça lui a fait plaisir, car je la décris comme une belle personne !

LVP : Comme inspiration, tu utilises plutôt tes proches ou la société en général ?

OJ : Les deux ! Les relations que tu as avec d’autres humains ressortent forcément dans tes chansons, mais je n’ai pas de recette spécifique. Dernièrement, je suis pas mal en réflexion sur moi-même, sur mon ego par exemple, et cela ressort peut-être dans mes chansons.

LVP : De manière plus générale, saurais-tu nous expliquer pourquoi la scène jazz est en ébullition à Londres ?

OJ : Il y a eu plusieurs choses qui ont permis aux jeunes de s’approprier cette musique. L’organisation Tomorrow’s Warriors, par exemple, a fait de belles choses pour permettre aux gens d’apprendre les clés du jazz. Pas mal de groupes sortent grâce à ça. C’est géré par Gary Crosby, un mec génial qui vient d’obtenir un OBE de la reine (rires). C’est assez fou, et vraiment mérité. Il y avait aussi beaucoup de soirées, comme les soirées Steez, qui permettaient de créer une communauté de musiciens. Mais pour être honnête, il y a toujours eu à Londres un vrai bagage musical, en particulier pour la “bass-driven music” comme le reggae ou le dancehall, et il y a toujours eu une forte scène jazz. La même effervescence s’est passée dans les années 80 et 90, ça vient par vagues. Je pense que le jazz bourgeonne depuis longtemps, mais récemment les gens se sont rendus compte que ça pouvait être fun, que l’on pouvait danser dessus. De la musique plus rythmée en est sortie, influencée par les musiques plus produites, comme la dance et le hip hop.

LVP : Il y a d’ailleurs du hip-hop dans ce que tu fais, non ?

OJ : Oui, j’adore le hip-hop, c’est une influence massive pour moi. J’ai joué dans un groupe qui s’appelait Sumo Chief, tu peux trouver ça sur internet. Une sorte de groupe jazz / hip hop, on travaillait avec beaucoup de rappeurs et ça m’a beaucoup influencé.

 

LVP : Avec tous ces projets, tu te vois comment dans le futur ?

OJ : En ce moment, j’essaye de me concentrer sur mon projet solo. Enfin je te dis ça, mais on va faire un album avec KOKOROKO. J’ai été impliqué dans des tonnes de projets, et j’adorais cela, ça m’a vraiment influencé, et j’ai beaucoup tourné récemment. Mais je suis dans une position où j’ai l’opportunité de me concentrer sur l’écriture. Je veux me concentrer sur la composition, pourquoi pas écrire pour de grands ensembles, faire des albums pour mon propre projet. Progresser également sur mes talents de producteur.

LVP : Tu produis tes propres sons ?

OJ : D’habitude, je travaille avec des producteurs. Je fais des démos, puis je les amène à quelqu’un qui pourra m’aider à transformer le produit final. Maxwell Owen, par exemple, est quelqu’un avec qui j’ai beaucoup bossé, et qui connaît mon son. Mais voilà, c’est peut-être un peu égoïste (rires), mais j’ai envie de passer davantage de temps en studio. J’ai beaucoup d’idées, et je suis dans une position où je peux désormais vivre de l’écriture musicale.

LVP : Petite question technique. La plupart des guitaristes influencés par le jazz jouent sur des hollow-body, mais tu te trimballes avec une drôle de guitare vintage qui ne semble pas faite pour ce type de musique. Y a-t-il une raison à cela ?

OJ : J’ai une ES-330 à la maison, mais cette guitare que tu vois est très légère, et c’est tout simplement beaucoup plus facile de voyager avec. J’aime beaucoup cette guitare, elle appartenait à mon père il y a longtemps. Je l’ai trouvée toute rouillée dans son grenier, je suis allé la remettre à neuf par curiosité et, finalement, elle est vraiment sympa ! J’aime cette guitare, elle a une histoire, un attachement émotionnel. Et surtout, elle est très pratique à transporter (rires) !

LVP : Dernière question. Tu es ici à Pete The Monkey. Il y a un artiste en particulier que tu voudrais voir ?

OJ : KOKOKO! Ce groupe est fantastique.

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