Suddenly : retour au somment pour Caribou
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Auteur·ice : Adrien Amiot
27/02/2020

Suddenly : retour au somment pour Caribou

C’est certainement l’album de musiques électroniques le plus attendu de ce début d’année. Suddenly, le 5ème album de Caribou, est sorti cette nuit. Après avoir conquis un large public avec son précédent disque Our Love, on avait quelques doutes sur la capacité du producteur canadien à se renouveler… Doutes très vite dissipés dès la première écoute de cet album intense, intime et passionnant.

Il aura fallu six ans à Dan Snaith aka Caribou pour sortir un digne successeur à Our Love, joyau d’une infinie douceur acclamé par la critique. Pendant cette période, sous son alias dance Daphni, le producteur a publié le mystérieux Joli Mai, à nos yeux un des seuls LP récents proposant des idées réellement novatrices en matière de House et de Techno. Il a par ailleurs sillonné les festivals du monde entier, jusqu’à la sortie du solide EP Sizzling l’année dernière. Bref, Dan Snaith est loin d’avoir disparu des radars et revient cette année à son projet Caribou, davantage pop, mélodique et chanté. Verdict ? Suddenly est un bijou qui dépasse toutes nos espérances.

You and I, un des singles sorti en amont, est la parfaite porte d’entrée pour appréhender ce nouvel album. Il permet de saisir l’état d’esprit de son auteur et le message véhiculé par le disque. D’abord du point de vue de sa structure : les deux parties qui composent le morceau se succèdent de manière brutale, surprenante, soudaine. Caribou a construit son nouvel album dans cette logique, comme un patchwork d’une multitude d’influences, d’émotions et de styles différents, à partir de 900 brouillons de morceaux – soit 20h de musique rassemblés à la manière d’un puzzle. You and I est naturellement une des premières tracks commencées par Dan Snaith et une des dernières terminées, confirmant son statut de morceau-pivot. Il explique ainsi son processus de création :

“Les couplets et le refrain ont l’air de venir de deux chansons différentes. Un musicien pourrait avoir le réflexe de faire un pont pour faciliter la transition de l’un à l’autre, mais j’ai voulu au contraire qu’il subsiste une certaine forme de dislocation, de surprise.”

Pourquoi cet attrait à ce type de construction, alors que Our Love s’inscrivait dans la logique opposée, en ne prenant jamais l’auditeur à contrepied ? La réponse réside dans la succession d’évènements inattendus survenus dans la vie personnelle de Dan Snaith : le décès précoce d’un membre de sa famille, la naissance impromptue de sa fille à l’arrière de sa voiture, les problèmes de santé de ses parents… Plus globalement, Caribou évoque les crises, les catastrophes soudaines du monde qui l’entoure, et cela se ressent dans sa musique, toujours surprenante voire déroutante.

“Ces cinq dernières années, ce qui a eu le plus d’impact dans ma vie est arrivé complètement à l’improviste. Il me semble que ça reflète aussi le climat politique que nous connaissons ces dernières années, l’avènement de Trump comme président, du Brexit… Des choses qui vous font soudainement reconsidérer tout l’état du monde.”

En miroir à ces moments de crise et d’incertitude, le morceau Home propose un refuge réconfortant. Premier extrait publié de l’album, il est construit autour d’un sample hyper-addictif extrait d’un morceau de Gloria Barnes sorti en 1971. On peut le percevoir comme la suite logique de Leave House (en 2010, sur l’album Swim) et Back Home (2014, sur Our Love) ; paradoxalement, Dan Snaith a enfin trouvé un environnement stable au moment le plus inconstant de sa vie :

“Nous avons tous des périodes où un évènement arrive soudainement et catalyse un changement dans notre vie toute entière – alors nous avons besoin de revenir à quelque chose de familier, ramasser les pots cassés et repartir à zéro.”

Suddenly est davantage narratif que les précédents opus : il met en lumière pour la première fois l’intimité de son auteur. Caribou continue de produire en se laissant guider par le hasard et les heureux accidents en studio (son signe musical distinctif), mais cette fois-ci cela sert complètement le propos du disque. Ce n’est plus une technique de production expérientielle qui laisse entrer l’irrationnel dans le rationnel (doit-on le rappeler, Dan Snaith est avant tout mathématicien, docteur diplômé de l’Imperial College de Londres), c’est désormais le reflet direct de sa vie.

Ce lâcher-prise émotionnel se ressent dès la première écoute de Suddenly : la musique de Snaith est plus instinctive que jamais. Soul euphorique sur Home, ambient vaporeuse sur Cloud Song, simili hip hop sur Sunny’s Time, banger house sur Ravi, slow funk sur Lime, balade intime sur Sister… C’est la première fois qu’on observe au sein d’un album de Caribou une telle variété de timbres, d’émotions et de styles musicaux.

Ses deux précédents albums, les désormais classiques Swim et Our Love, étaient fortement influencés par la scène londonienne – Floating Points et Four Tet en tête – où le producteur a résidé durant 20 ans. Pour ce disque, on observe un réel retour aux racines nord-américaines. Le son folk et rock psyché, au cœur de ses deux premiers disques Up In Flames (2006) et Andorra (2007), est central dans Suddenly. Caribou s’éloigne de l’Europe et renoue avec les sonorités de son pays d’origine pour renouveler son identité musicale. L’exemple le plus éloquent ? Assurément le fascinant dernier morceau de l’album, Cloud Song, hommage direct à l’album folk-électronique Keyboard Fantasies de Beverly Glenn-Copeland. Ce disque, merveille de production méconnue sortie en 1986, était tombé dans l’oubli… Avant d’être (soudainement !) réédité par un distributeur japonais il y a trois ans. La filiation entre les deux producteurs apparait comme évidente, tant du point de l’alliage synthétiseurs généreux / voix chaude que du message transmis :

“Beverly Glenn-Copeland est parvenu à transformer les émotions liées à des difficultés personnelles en une musique pleine d’espoir”

Un documentaire sur l’incroyable histoire de ce producteur transgenre est par ailleurs sorti l’année dernière, on vous le conseille vivement. Heureuse coïncidence : ce disque a été enregistré dans la région de naissance de Dan Snaith, près de Toronto, au sud de l’Ontario… Le hasard fait décidément bien les choses. Quinze ans après le début du projet Caribou, ce nouvel album est une source de jouvence maîtrisée de bout en bout. Ces six années d’attente ont décidément valu le coup, on a désormais hâte de voir comment ces chansons vont être adaptées sur scène… Ça tombe bien, Caribou sera en concert à l’Olympia le 27 avril prochain.

Les extraits d’interview sont tirées des sites internets de Trax et de FACT.


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