Certifié loveur boy : quand Nelick chante le love sur son Vanille Fraise
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
09/11/2022

Certifié loveur boy : quand Nelick chante le love sur son Vanille Fraise

| Photo : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle

On ne peut que se réjouir de cette nouvelle mouvance hip-hop qui casse les codes toxiques du texte sale pour aborder les méandres sentimentaux qui nous habitent. Jamais trop loin de l’identité rap qu’il revendique toujours, le Français Nelick s’émancipe de toute contrainte pour conjuguer son monde au chant et au sentimental. À l’occasion du premier épisode de la mini-série qui accompagne son EP Vanille Fraise, retour sur une rencontre sans filtre avec l’artiste, de passage en Belgique pour retourner l’Encore Shop, une friperie du centre bruxellois, de ses munitions colorées et malicieuses. 


La Vague Parallèle : Tu reviens déjà avec un cinquième projet, qui est également ta sortie la plus courte – 20 minutes seulement. Ce format EP court, tu le vois comme une limite ou justement une source d’inspiration ?

Nelick : J’ai adoré travailler un format si court. Je l’ai vu comme une toile à remplir, bien délimitée, bien concise. Actuellement je bosse sur mon album, et je me rends compte que je suis moins à l’aise. Ça demande de se creuser la tête de trouver 14 morceaux qui forment un tout, j’ai l’impression de devoir remplir un énorme mur. Sauf que moi je veux pas faire du graffiti sur un mur, je suis un peintre et j’aime bien avoir ma toile. (rires)

LVP : Ce nouveau disque est truffé de bouffe. Des tacos, des banh mis, de la glace vanille-fraise. On peut dire que t’as la dalle quand tu écris tes textes ?

N : Un peu, ouais. (rires) En vrai je suis un grand amateur de snacks, manger des gâteaux et des conneries comme ça, ça fait un peu partie de mes vices. Et c’est un peu le reflet de mon mode d’écriture : quand j’écris mes textes je suis souvent dans ma bulle, chez moi, à fumer des clopes et manger toutes sortes de trucs qui passent. Je fais le gros porc, un peu. (rires) Mais c’est dans ce cadre là que j’écris le mieux.

LVP : Le résultat ce sont des textes très spontanés, légers et souvent romantiques. Et la plupart du temps quand tu parles d’amour, tu le fais avec humour ou second degré. C’est une forme de pudeur ?

N : J’aborde l’amour avec second degré parce que, en mon sens, l’amour n’est jamais triste. Même quand c’est ultra deep, que t’as l’impression que c’est vraiment horrible, quand tu repenses à un amour véritable six mois plus tard, même si t’as vécu une rupture qui t’as fait du mal, tu te sens quand même chanceux de l’avoir vécu. Et je crois justement que c’est parce que je vis mes relations amoureuses de façon hyper intense que j’ai besoin les aborder de façon plus légère, comme pour m’en échapper. Mais ceci dit, je glisse toujours une petite phrase qui est bien premier degré et qui fait mal, pour rappeler que l’amour ça blesse aussi parfois.

LVP : C’est intéressant de t’entendre parler d’amour, parce que les mecs n’en parlent pas souvent avec autant de transparence. Justement, le skit dans le morceau camion de glace met en scène deux mecs un peu paumés qui parlent d’amour. C’était quoi l’intention de cet extrait ? 

N : J’avais envie de montrer que, la plupart du temps, on ne comprend rien à l’amour, dans ce que ça représente. Ce skit c’est une discussion avec mon coloc, et lui et moi on a deux visions de l’amour totalement différentes. Moi je suis très teenage dans ma façon d’aborder l’amour. Ça va être style : “Ouais putain j’suis amoureux, elle est trop belle !” alors que lui est beaucoup plus rationnel et est du genre à me remettre les pieds sur terre. Mais moi j’aime trop ce côté innocent de l’amour, et d’intégrer cette discussion qui traduit bien ma façon un peu niaise d’approcher ces sentiments, c’était très symbolique.

LVP : La romance que tu explores sur cet EP, c’est la tienne ?

N : Oui, chaque morceau reflète une partie de ma relation avec cette fille dont je suis tombé très amoureux. C’était un peu le genre d’amour conflictuel et impossible qui a généré chez moi une phase de love extrême.

| Photo : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle

LVP : Tu es à l’aise avec le fait d’exploiter des choses si personnelles dans ta musique ?

N : J’arrive beaucoup plus à écrire sur des trucs qui me sont arrivé il y a longtemps. Avec le recul, quand tu réfléchis à un truc à postériori, tu as une autre émotion qui te vient. Donc les histoires que je raconte, ce sont souvent des histoires qui datent. Donc c’est peut-être plus facile de les exploiter.

LVP : Vu que toutes ces histoires datent, c’est pas trop galère de canaliser à nouveau la même énergie qu’à l’époque où tu les as vécues ? Notamment quand t’es sur scène ?

N : C’est marrant parce que j’ai l’impression qu’il y a des sons bien particuliers qui te ramènent à une émotion précise. J’ai la même chose avec mes propres sons. Parfois, je te l’avoue, je ne suis pas dedans. J’ai la tête ailleurs, vraiment trop éloigné de l’émotion que le morceau porte. Mais, le plus souvent, je suis vraiment dans mes paroles et c’est tellement puissant de se rendre compte que “Damn, c’est tellement ça que j’ai vécu !” Et ça m’aide, cette sincérité, pour être le plus investi dans ma musique.

LVP : Quel morceau sur Vanille Fraise te procure ce sentiment, par exemple ?

N : Le morceau 2seul, d’office. Sur l’outro du son, quand je dis “Quand j’regarde le ciel, j’sais qu’y a quelqu’un qui pense à moi”, à chaque fois j’ai envie de pleurer. Parce que je sais comment j’ai écrit cet outro, dans quel contexte, ce qu’il se passait dans ma vie à ce moment là. Et c’est ouf de se dire que cette émotion me suit et se manifeste à travers ce morceau en particulier. C’est bateau, mais c’est dans ces cas là que je me rends compte que c’est trop beau de faire de la musique.

J’sais pas on est quel jour d’la semaine
Aujourd’hui j’ai pas bougé d’mon bed,
Mes pensées se baladent
J’ai encore dormi tout l’aprem,
Après tout, ça serait pareil si j’étais pas là

LVP : Sur le dernier morceau, triple triple cheese, tu dis “Faut qu’j’arrête de chanter car j’sais pas le faire”. C’est drôle parce qu’on ne t’a jamais découvert aussi chantant que sur ce projet. Toi même tu t’interdis de t’émanciper de l’identité rap ?

N : Je n’ai pas envie de m’en émanciper. Pendant un moment, je voulais faire le mec en mode “Nan mais c’est pas du rap que je fais, c’est totalement autre chose.” Aujourd’hui, je suis dans une autre optique. Comme je dis sur le premier morceau du disque, debout dans la cuisine, “C’est bien plus que du rap”. Donc je ne nie plus que c’est du rap, mais c’est bien plus que ça à la fois. Quand tu vois mes release party ou certains codes que je glisse dans mon univers, tout ça reste profondément rap. J’ai envie qu’on continue de transpirer à mes concerts, qu’un gros pogo se déclare quand mac lesggy commence. Si j’ai pas ça, je ne serai pas heureux.

LVP : Pour autant, tu t’autorises tout de même le chant, qui est encore assez exclusif dans le rap francophone notamment. Tu qualifierais comment ce rapport au chant ?

N : À la fois ultra complexe et ultra simple. D’une part, je suis conscient que je ne sais pas très bien chanter et que j’aimerais faire des trucs que je n’arrive pas à faire. Ça c’est complexe, et je me mets mal. Et puis il y a des sons qui me viennent tellement naturellement que je me dis que c’est forcément ce que je dois faire. i love u, par exemple, c’est un son que j’ai fait sans autotune, chez moi, sans devoir le mixer. Et je me disais que c’était parfait.

LVP : En mode Castafiore.

N : Exactement. (rires)

LVP : Mais c’est intéressant de voir que les artistes rap s’autorisent le chant, et déconstruisent tout le tabou autour. Toi, par exemple, tu t’es inspiré d’une figure rap qui l’a fait ?

N : Childish Gambino. À ses débuts, il était vraiment dans un rap strict. Il pouvait rapper cinq minutes d’affilée dans ses sons et c’était lourd. Au moment où il a décidé de changer ça, ça m’a vraiment inspiré. Cette envie de ramener plus de musicalité dans ses sons, alors qu’il n’avait jamais fait partie de ce monde là comme pourrait l’être Drake, qui a d’abord appartenu à la mouvance RnB. Pour le coup, c’était passer d’un extrême à l’autre. Et ce passage du rap au chant, ça te fait quelque chose d’assez unique en tant qu’artiste. Pour ma part, en tout cas.

| Photos : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle

LVP : De ta direction artistique à ta façon de sortir et promouvoir tes projets, on ressent une vraie liberté. Tu contrôles tout ?

N : Tout. J’accorde autant d’importance aux visuels qu’à la musique, qu’aux concerts ou même aux interviews. Tout est connecté, et je dois contrôler toutes ces choses pour pouvoir aspirer à devenir un artiste global. La snare à 1min30 dans 2seul, c’est moi qui l’ai choisie. Le plan à 1min55 avec ma tête mise dans cette position dans le clip, c’est moi qui l’ai choisi. Et au-delà d’être un control freak, je fais aussi ça pour m’assurer que ce projet, Nelick, c’est moi.

LVP : Du coup Arielle Dombasle sur i love u, c’est toi aussi ?

N : Évidemment, qui d’autre ? (rires) Qui d’autre va me proposer d’inviter Arielle Dombasle sur un de mes titres ? Je l’ai rencontrée à la fin d’un défilé de mode d’Alphonse Maitrepierre, qui l’avait invitée parce qu’Arielle Dombasle c’est une icône, tout simplement. Je trouvais ça très frais, la façon dont elle chantait. Et j’avais une envie d’intégrer un esprit conte et féérie à la fin du son. Du coup, au culot, je l’ai invitée à venir écouter cette outro en lui proposant de faire quelque chose dessus. Et c’était dingue, elle a même accepté de faire des voix supplémentaires qu’on retrouve tout au long du titre. C’était un vrai kiff, j’aime surprendre et proposer des choses qu’on attend pas forcément.

LVP : C’est quoi la prochaine surprise que tu nous réserves du coup ?

N : Un de mes kiffs, ce serait de faire de la musique pour des films. Sauf que je ne sais pas faire de musique, tu vois ? Du coup c’est Kofi, le producteur de mes morceaux, qui sait faire ça. Et moi, de mon côté, je sais comment partager mes intentions pour qu’il produise ce que j’ai en tête. À deux, on a la vision. On a une série qui va arriver. Genre une mini-série qu’on a fait nous-même, entre potes. On l’a vraiment fait avec le cœur, pour le plaisir, et ça sortira en novembre. Et ce qui est fou, c’est qu’on ne prévoyait pas forcément de faire des musiques pour la série, mais on s’est rendu compte que les chansons de Vanille Fraise qu’on avait créées avec Kofi habillaient parfaitement la série. C’est là qu’on a réalisé qu’on était capables d’accompagner une histoire avec notre musique. Et ça nous a chauffé pour notre but ultime : la bande son de dessins animés. Ça, ça me ferait kiffer de dingue.

 

LVP : Tu parlais plus tôt de l’album sur lequel tu bosses actuellement. Tatoo et Vanille Fraise, ce sont des pièces du puzzle que va composer cet album, ou bien tu veux partir sur quelque chose de totalement différent ?

N : Je n’ai pas envie de partir sur autre chose, parce que j’ai déjà changé mon cap trop de fois. Avant j’étais dans le changement, maintenant je suis dans l’évolution depuis Tatoo. Et en même temps, dans ma vie, je suis dans la déconstruction en ce moment. Du coup là j’ai du mal à comprendre clairement ce que je vais faire parce que je me déconstruit personnellement et donc je remet en perspective toute l’évolution que j’avais réalisée en musique. Mais ce qui est sûr, c’est que je veux que l’album soit un masterpiece de tout mon répertoire. À une exception près. (rires)

LVP : Laquelle ?

N : (rires) PiuPiu. J’ai une relation complexe avec ce disque, c’est aussi celui qui a le moins fonctionné. Et je pense que c’est lié au fait que ce soit celui dans lequel je me reconnais le moins. Mais je reste content de l’avoir créé, parce que sans PiuPiu je sais que je n’aurai jamais pu penser à Tatoo ou à Vanille Fraise. Ça m’a donné un point de référence par rapport aux choses que je ne voulais surtout pas reproduire dans ma musique. C’est grâce à ça que j’ai compris comment aimer ma musique, en apprenant à la détester parfois. Je suis tellement heureux d’avoir connu cet échec.

LVP : Et donc, pour en revenir à l’album à venir, comment tu comptes atteindre ce masterpiece ?

N : Je vais faire ce que je veux, ce que j’aime. Je l’imagine dans un mood moins léger, quand même. J’ai écrit beaucoup de sons pour Vanille Fraise qui dénotaient avec l’ambiance parce qu’ils étaient un peu trop deep. Avec ces morceaux que je prépare, je vais essayer d’aller toucher les cœurs en mode flèche. (rires) Ma référence c’est mon son KIWIBUNNYLOVE. C’est le premier son où je me suis dit que j’étais en train de créer un truc. J’aime sa mélancolie, son côté jazzy, le fait que les mots soient gorgés de sens. Ce n’est pas de la tristesse, c’est du spleen. Et ça c’est ce que je souhaite pour l’album. Pour l’instant. (rires) Tout peut encore changer, vous verrez bien !


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