Charlotte Dos Santos, entre rêve et élégance
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
12/03/2020

Charlotte Dos Santos, entre rêve et élégance

Il n’y a pas grand-chose de plus doux qu’une découverte comme celle-ci. Loin des standards rébarbatifs de l’industrie, Charlotte Dos Santos fait partie de ces voix qui s’essaient sur des atmosphères oniriques expérimentales spéciales, en constituant des élans d’art somptueux. Déjà remarquée en 2017 pour son EP Cleo, elle revient aujourd’hui avec un nouveau disque, Harvest Time, qui ouvre la voie à son prochain album, promesse étincelante de douceur et de poésie. On s’est assis·es un instant avec elle pour discuter musique, ruptures heureuses, et de l’importance de savourer l’instant présent. 

© Photo : Téta Blémont

LVP : Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, comment leur présenterais-tu Charlotte Dos Santos, musicalement parlant ?

Charlotte Dos Santos : Éthérée, allégorique, soulful et surtout éclectique. Ce sont les quatre mots qui me viennent à l’esprit en premier. Ensuite, il y a beaucoup de sentiments de nostalgie dans ma musique.

LVP : Tu as des origines brésiliennes et norvégiennes, tu as étudié à Boston, et vécu à Berlin. Comment toutes ces différentes cultures ont-elles influencé ta musique ?

Charlotte Dos Santos : Le premier projet que j’ai produit, Cleo, a été créé en trois ans entre Oslo, Boston et New York. J’imagine que tous ces endroits ont influencé ma musique, de près ou de loin. En général, quand j’entends des sons, ça me ramène à des endroits. Je ressens beaucoup ça avec Berlin, par exemple, car j’associe les sons plus bruts voire industriels à la culture techno berlinoise, que je trouve très inspirante. Le côté latino de mes morceaux, je le dois certainement à l’esprit multiculturel de New York, qui m’a confrontée à des sonorités hispaniques. J’essaie d’élargir mon style musical au maximum, pour pouvoir y infuser toutes ces inspirations que ces endroits m’ont apporté.

LVP : Ton EP Cleo sortait en 2017 et Harvest Time paraît trois ans plus tard. Qu’est-ce qui a changé dans ta relation avec ta musique entre ces deux projets ?

Charlotte Dos Santos : Dans son processus de production, Cleo était truffé de samples et guidé par des beats. Il a été créé suivant les codes du hip-hop : tu as un beat, tu y ajoutes un rythme, un loop et voilà, la mélodie est là. Pour Harvest Time, j’ai tenté une approche beaucoup plus dynamique. J’ai imaginé tous les arrangements qui composent le disque, et ça me donne une impression de liberté et de contrôle sur les choses que j’avais envie de poser sur ce projet-ci. Ce disque est résolument plus orchestral. Aussi, c’est juste une période différente de ma vie. Je vois Cleo comme le premier chapitre de ma vingtaine, alors que Harvest Time représente le dernier chapitre de ma transition vers quelqu’un de plus en paix avec soi-même en tant que femme. Cet esprit d’évolution joue un rôle majeur dans ma musique.

LVP : Tu parles de “nouveau chapitre” et celui-ci a notamment été marqué par ton mariage récemment, félicitations d’ailleurs ! Dirais-tu qu’il est indispensable d’être heureuse dans sa sphère privée pour produire de la musique de qualité ? 

Charlotte Dos Santos : Merci beaucoup ! Pour répondre à ta question, je ne pense pas forcément que ce soit le cas. J’ai traversé beaucoup de différentes émotions en écrivant Harvest Time. J’ai vécu des moments de confusion et de rupture, que j’ai voulu intégrer dans ce disque. C’est important d’aborder tous les aspects de ta vie via ton art, car c’est comme ça que ça marche : la vie n’est pas smooth, elle n’est pas facile. On va devoir traverser toute une suite de chapitres au long de notre existence et il est bénéfique de chérir tous ces moments, à la manière d’un journal intime. C’est une façon de me remémorer certaines périodes de mon passé et de me dire “Oh wow, je me souviens de ce moment et de la douleur aussi.” C’est pour ça que je pense que non, être heureux·ses ne suffit pas. Il faut être vrai·es et transposer toutes nos vérités dans notre musique, qu’elles soient joviales ou non.

LVP : En parlant de rupture, le morceau It’s Over, Bobby sur ton EP Cleo est sans doute l’une des meilleures break-up songs jamais entendues. Là où la plupart des chansons qui parlent de rupture sont des balades mélancoliques, celle-ci est pétillante et festive, avec notamment des trompettes pour relever le tout. C’est quoi l’histoire derrière cette break-up song solaire ?

Charlotte Dos Santos : Je ne l’avais jamais vu comme ça, mais c’est cool ! (rires) J’ai surtout été inspirée par les mélodies et les rythmes du morceau, ils sont venus avant le texte. J’ai commencé à imaginer le titre à partir de sons très vintages de rumba, et une atmosphère afro-cubaine qui me plaisait beaucoup. J’étais dans une période plutôt heureuse de ma vie, contente que cette relation en particulier soit terminée. Du coup, j’ai décidé de nommer ce fameux garçon Bobby et de raconter cette séparation libératrice sur cet instrumental qui m’avait beaucoup parlé. Le mélange des deux a donné naissance à It’s Over, Bobby.

LVP : Harvest Time est aussi le nom du premier morceau de ce nouveau chapitre que tu as décidé de partager en novembre dernier. Pourquoi celui-là en premier ?

Charlotte Dos Santos : Ce morceau compte beaucoup pour moi. Le texte dit qu’il faut savoir enterrer son ego, muer de son ancienne peau et renaître, d’une certaine façon. C’est une façon de me rappeler que je suis toujours en plein dans cette phase de mutation et qu’il faut que je continue à travailler là-dessus. Aussi, ce titre était pour moi un moyen de redéfinir ma nouvelle musique, qui sera certainement très différente de ce qui avait été partagé avec Cleo. Harvest Time c’est une façon de m’assumer, de dire “C’est moi”, mais en musique.

LVP : Le titre s’accompagnait d’un superbe clip vidéo dans lequel on retrouvait beaucoup de nature et de plantes, tout comme sur la pochette de l’EP. Que transmettent tous ces éléments naturels par rapport à ton identité musicale ? 

Charlotte Dos Santos : Tout d’abord, je pense que la musique et la nature font partie du même ensemble. La relation entre les deux est symbiotique. L’idée de récolte (“harvest”) et tous ces messages de croissance spirituelle entraînent forcément ces images de nature fructueuse et fertile. Aussi, cette atmosphère mystique et onirique trouvait écho dans cette forêt qui symbolisait bien cette invitation à ce monde un peu surréaliste que j’essaie d’incorporer dans les morceaux du projet. C’est une façon de donner aux gens les premiers indices par rapport au tableau que j’essaie de dépeindre sur Harvest Time.

LVP : Le second extrait partagé de l’EP s’appelle Helio. Il fait référence au système solaire et à cette idée d’être le centre de son univers. Dirais-tu que c’est une ode à l’estime de soi ?

Charlotte Dos Santos : Oui, absolument ! C’est une sorte de rappel que, avant tout, il est indispensable de prendre soin de son temple, de son sanctuaire. C’est aussi l’occasion de prendre du recul par rapport à cette obsession que nous avons constamment de trouver l’amour, ou d’obtenir telle ou telle chose. On court toujours après quelque chose dans la vie, sans cesse la tête dans le futur, et il faut juste savoir se concentrer sur notre état actuel et comment se porte notre présent. J’avais personnellement besoin de cette ode mais je me disais aussi que quelqu’un d’autre quelque part en aurait besoin aussi.

LVP : De quel·les autres artistes t’es-tu inspirée pour produire cette nouvelle musique ?

Charlotte Dos Santos : J’ai été influencée par tout un tas d’artistes qui ont toujours été des repères pour moi, comme Leonard Cohen car j’aime les textes qui racontent quelque chose, une histoire. Il y a aussi évidemment Björk que j’admire beaucoup pour son univers artistique. L’énergie de Massive Attack m’a aussi beaucoup inspirée. À l’opposé d’eux, j’ai écouté aussi beaucoup d’arrangements classiques d’instruments à corde pour construire l’univers de Harvest Time. En réalité, tout ce qui m’émeut m’inspire, donc c’est très varié et éclectique. L’ambient m’a aussi énormément aidée à composer ces nouveaux morceaux, j’apprécie les morceaux purement instrumentaux.

LVP : Tu avais d’ailleurs déjà un interlude instrumental sur Cleo qui s’appelait بداية جديدة (New Beginnings), on en retrouvera un autre dans ce qui arrive ?

Charlotte Dos Santos : Oui, il y aura un autre interlude instrumental sur l’EP, qui s’appelle The Snow Dance. C’est un morceau que je trouve intriguant, qui essaie de capturer cette espèce de danse qu’effectue la neige quand elle fond. C’est un instant de poésie qui mène au morceau Josef.

LVP : Si tu devais décrire ta musique en un seul plat, ce serait lequel ?

Charlotte Dos Santos : C’est dur ça ! (rires) Je dirai un mezze, parce que je ne sais jamais vraiment décider d’une seule chose. Donc l’avantage du mezze c’est que tu as un assortiment de plusieurs éléments, ça reflète aussi le côté éclectique de ma musique.

LVP : On doit s’attendre à quoi pour la suite ?

Charlotte Dos Santos : Un album devrait arriver en automne. La plupart des morceaux qui le composent sont déjà prêts. L’EP Harvest Time introduit ce qui se retrouvera sur l’album, avec notamment ce fil rouge des thèmes de la croissance et de l’évolution.


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