Cherchez la femme #3 : la nouvelle soirée des femmes dans la musique s’intéresse aux girls bands
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Auteur·ice : Rafael Dufour
17/05/2023

Cherchez la femme #3 : la nouvelle soirée des femmes dans la musique s’intéresse aux girls bands

Le 20 avril dernier a eu lieu à la Petite Halle de la Villette à Paris la troisième soirée Cherchez la femme à l’occasion du podcast mensuel éponyme animé par Flore Benguigui, dont chaque épisode sort le lendemain de la Nuit qui lui a été consacrée. Via cette plateforme, la figure de L’Impératrice met en lumière les femmes invisibilisées dans l’industrie de la musique à partir d’un angle particulier à chaque épisode. Pour cette troisième Nuit autour du thème des Girls Bands, Flore Benguigui a invité un panel éclectique de femmes concernées : Camille Luca et Margaux Jaudinaud du groupe Ottis Coeur, Clair L des L5 ainsi que Lisa Cat-Berro du Rhoda Scott Lady Quartet. Table ronde, concerts et DJ set inspirants prouvent encore une fois que Cherchez la femme est la dose mensuelle de sororité dont nous avions besoin.

Pas besoin de chercher davantage, les femmes sont toutes là. Elles sont sur scène, dans des discours d’empowerment, autour de tables et un verre à la main, sur le dancefloor, partout. Créer cet espace de rencontres et de partage entre femmes, issues du milieu de la musique ou non, c’est le but de la soirée Cherchez la femme, au-delà du podcast lui-même conduit par Flore Benguigui et diffusé sur Tsugi Radio. Des stickers à l’effigie de différents métiers dans l’industrie musicale sont même mis à disposition afin que chaque femme puisse se repérer, converser puis se constituer un réseau. Tout est propice à l’échange, de la table ronde à nos corps mouvants sur la piste de danse. 

Après une première édition autour des femmes et des musiques de film ainsi qu’une seconde sur les ingénieures du son, la troisième édition se penche sur les girls bands dans le cadre de sa table ronde inaugurale. Dans le rôle de médiatrice bienveillante, Flore Benguigui invite à la rejoindre sur scène plusieurs femmes maîtrisant plus que jamais le sujet : Camille Luca et Margaux Jaudinaud du groupe d’indie rock Ottis Coeur, Clair Litvine, ancienne membre des L5 ainsi que Lisa Cat-Berro du groupe de jazz Rhoda Scott Lady Quartet. On ne pouvait pas réunir des intervenantes plus pertinentes, tant elles représentent la pluralité des expériences, à la fois dans la diversité des genres (rock, pop et jazz) que dans celle des formes du groupe féminin (du méga-groupe médiatisé à la L5 au jeune groupe émergent tel que Ottis Coeur). 

Si le sujet paraît riche au vu des nombreux girls bands connus à l’international, les exemples français de groupes féminins restent malheureusement minoritaires. Plus minoritaire encore, ceux dans lesquels les femmes composent et jouent les instruments elles-mêmes. Flore débute l’entretien en rappelant ce constat qu’elle a elle-même réalisé à l’occasion de l’interview du groupe féminin de stoner progressif Grandma’s Ashes pour l’enregistrement du podcast. C’est en leur demandant si elles pouvaient citer des groupes français exclusivement féminins que le bilan a été catégorique.
Alors que l’existence de ces groupes semblent découler du miracle, Flore
Benguigui questionne chaque invitée sur les origines de formation de leur groupe. Chacune semble faire émerger l’idée d’un certain hasard ou en tout cas, d’un ensemble de circonstances. Clair L raconte qu’elle avait seulement auditionné pour un casting au début des années 2000 sans savoir qu’elle allait intégrer, avec 4 autres jeunes femmes ayant participé au même casting aux quatre coins de la France, un des groupes féminins français les plus influents. L’histoire des L5 révèle qu’un projet 100% féminin peut d’abord être un argument commercial, inhérent au star system et aux émissions de fabrique de star du début du siècle comme Popstars auxquels les L5 sont issues. La création du groupe est alors hors de contrôle des membres et est remise entre les mains d’hommes dans des bureaux. Lisa Cat-Berro émet, grâce à son expérience dans le jazz, une intéressante ambivalence entre les soupçons d’incompétence qui mettent en péril les initiatives autonomes de création de groupe féminins et l’évocation chez les hommes d’une entreprise vendeuse car reliée à un imaginaire sexy, engluée dans des clichés misogynes. Dès lors, le girl band n’est plus empowerment mais n’est qu’un pur produit du système patriarcal visant à incarner un charme auquel les membres du groupe sont “victimes” selon Clair L. 

Si les conditions de création des groupes diffèrent selon les invitées, chacune d’entre elles sont toutefois concernées par une gestion similaire de leur image inséparable de la pression sociale patriarcale. Flore les questionne à propos d’une certaine injonction à la féminité, qui serait même présente dans le monde du jazz bien que moins soumis aux enjeux mercantiles du monde de la pop. Lisa Cat-Berro évoque qu’à ces débuts, il y a plus de 10 ans, elle avait intégré des mécanismes de défense face au regard masculin, la poussant notamment à ne pas mettre une tenue dites trop “aguicheuse” lors d’un concert pour lequel elle sait la salle être constituée en majorité d’hommes. La saxophoniste témoigne avoir souffert de ce regard masculin qui l’a menée à se sentir marginalisée au début de son parcours, en école et en jam sessions, et va jusqu’à parler de ”handicap invisible”.

Les pressions similaires pesant sur les femmes retrouvées dans l’ensemble des expériences partagées semblent représenter les raisons pour lesquelles les femmes sont moins poussées à se constituer en groupe. Toutefois, la réunion entre femmes peut également être une manière de surmonter ces obstacles. Margaux Jaudinaud du groupe Ottis Coeur dit se sentir “beaucoup plus puissante en groupe”. Chacune des membres vantent le pouvoir libérateur de pouvoir se confier sur leur expériences communes exclusives au fait d’être une femme et de recevoir automatiquement la compréhension de l’autre, ce qui a pu souvent manquer durant leur parcours. À une question posée par une personne du public sur leur plus beau moment de sororité, le groupe rétorque par une magnifique anecdote de leur concert dans un collège durant lequel une petite fille, voulant créer sa propre formation musicale, prit timidement le micro à la fin pour les remercier de leur avoir montré qu’il était possible d’être dans un groupe 100% féminin, pensant initialement que cela était impossible en tant que fille. La fréquente réalité sexiste abordée durant la table ronde est teintée de ces témoignages optimistes et touchants sur le triomphe de la sororité. Le plus loufoque reste surement la remarque d’une jeune femme dans le public, interpellant Clair L sur l’impact féministe qu’a L5 sur elle au quotidien. Durant un mignon petit fan moment, elle se met à chanter un air de Question de survie auquel s’en suivra une pluie d’applaudissements et de rires compatissants. On ressort rempli·e de cet échange de moins d’une heure, rempli·e de la générosité des intervenant·es et particulièrement de Flore qui a su accueillir chaque témoignage avec intérêt et compréhension. On en ressort également plein·e d’espoir de voir fleurir dans l’industrie musicale de plus en plus de groupes 100% féminins. Le pari est donc réussi pour cette soirée et ce podcast qui donnent à voir au bout du tunnel les convictions d’un monde plus paritaire.

Après le blabla, place à la java avec deux showcases de girls bands français très différents mais réunis par leur énergie sorore lumineuse. Le trio folk Vanessee Vulcane ouvre le bal avec leurs harmonies angéliques flottant sur les airs typiques de guitare acoustique. Dans la tradition du genre, leurs chansons relatent avec sensibilité la grandeur des moments quotidiens, le tout valorisant une nature florissante, que le groupe revendique trouver notamment dans la région bretonne. La solennité apparente de leur performance est contrebalancée par une fine ironie entre les chansons. “Elle a eu un fils avec une petite notoriété”, dit Leah en évoquant la personnalité derrière leur chanson Mariah. Il ne sera pas difficile de deviner de qui elle parle. Leur aura mystérieuse et envoûtante nous font en vouloir plus, nous laissant dans l’attente de la sortie de leur jolies confections musicales sur les plateformes de streaming. 

| Photos : La Vague Parallèle

Changement d’ambiance avec le retour sur scène de Margaux Jaudinaud et Camille Luca  du groupe Ottis Coeur, rejointes par leur batteuse. Cette fois-ci, les deux chanteuses arrivent une guitare à la main, prêtes à nous bousculer avec leur rage féminine. Leur indie rock rappelle sans conteste celui du duo féminin anglais Wet Leg, ayant de commun leur lignes de guitares hyper entêtantes et leur tendance à remettre les hommes à leur place dans des paroles jetées en pleine face. Elles ont performé des chansons issues de leur deux EPs avec un bel engouement, s’élançant de droite à gauche, interagissant même avec le public, malgré le peu d’espace disponible.

| Photos : La Vague Parallèle

La soirée se clôture par un set coloré de Radio Tempête, mettant en avant uniquement des artistes féminines ou issu·es de minorités de genre. Au programme, des classiques sous-côtés comme Beautiful Liar par Beyoncé et Shakira mais également de belles surprises comme Bunny is a Rider de Caroline Polachek, de quoi rappeler que la musique a, grâce aux femmes, un bel avenir devant elle. 

La soirée Cherchez la femme terminée, on en retient sa magie qui réside dans sa faculté à créer une safe place le temps d’une soirée, où les femmes prennent plus que jamais de la place. Alors ne ratez pas cette soirée nécessaire et déjà incontournable, à retrouver une fois par mois à Paris à la Petite Halle de la Villette.

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