Quatre ans après le succès incontesté de son troisième album La fête est finie, OrelSan plante les bases de sa Civilisation avec un quatrième opus d’une discographie déjà très riche. Le Caennais fait une nouvelle fois confiance à sa plume, cynique ou acerbe suivant les moments, mise en musique par son acolyte de toujours, Skread, aidé ici par Phazz ou encore Eddie Purple. Mais alors qu’on arrive à le suivre les yeux fermés sur certains morceaux, on peine à être entraîné sur d’autres. Comme si Orel échouait à instaurer une véritable cohérence dans cet album, chose qu’il arrivait pourtant à faire, par exemple sur Le Chant des Sirènes ou avec les Casseurs Flowters. Analyse d’un album qui restera plus dans les annales comme un produit marketing que comme un disque de musique.
17 novembre. Deux jours avant de dévoiler Civilisation, bien teasé par des visuels signés Alice Moitié (et son chien), des CD collectors en éditions limitées et forcément le documentaire Ne Montre Jamais Ça à Personne réalisé par son frère, OrelSan dévoile L’Odeur de l’Essence. Un single pré-apocalyptique retentissant et engagé qui tire à balles réelles sur tous les problèmes de société. Une sorte de Suicide Social 2.0 qui nous rappelle pourquoi on aime le Caennais. Et avec ce titre, l’idée qu’OrelSan ressuscite ses vieux démons de La Fête est finie s’est presque envolée, nous rassurant sur le fait que Civilisation ne comporterait pas de titres comme Christophe, Bonne meuf, La lumière ou Dis-moi, qui constituent les plus gros points d’interrogation de la discographie du San.
Seulement voilà, deux jours plus tard, Civilisation était disponible et on ne peut pas cacher le sentiment doux-amer qu’il apporte avec lui. Globalement, OrelSan fait du OrelSan : il rappe des vérités, des textes auxquels on s’identifie facilement. Il nous montre son côté humain, ce qu’il a d’ailleurs toujours fait. Déjà en 2011, il revenait sur la problématique du succès avec le titre Le Chant des Sirènes. Ici, il explore beaucoup cette thématique dans Seul avec du monde autour. Peu de rappeurs actuels oseraient écrire : “En chausson dans mes crocs, j’emmène ma zouz’ au mini-golf“. Et surtout, il aborde sa notoriété comme personne n’oserait l’aborder dans un milieu basé sur l’image. C’est plutôt rare d’entendre des rappeurs déclamer que la vie est belle et rendre cools les soirées karaoké et la vie à la campagne.
OrelSan continue avec cet album ce qu’il a commencé dans La Fête est finie, c’est-à-dire nous dévoiler son côté touchant et sensible, montrant toujours plus l’évolution depuis Perdu D’avance, vue par certains comme un renoncement à son identité première et par d’autres comme une preuve de maturité. Dans La Quête, Jour Meilleur, Ensemble, Athéna ou Dernier Verre, il aborde des thèmes qui n’étaient peut-être pas vitaux à l’époque, mais qui le sont devenus aujourd’hui, alors qu’il vient d’avoir 39 ans. La dépression, la santé mentale, l’infaillibilité d’un couple, la tentation… Il se livre à cœur ouvert sur des sujets importants sans s’imposer des œillères. Il nous fait en quelque sorte rentrer dans sa vie, comme pour nous inciter à ne pas réitérer les erreurs qu’il a pu faire. S’il avait endossé le rôle de mari ou compagnon lors de son précédent album, sa rhétorique peut ici faire penser à celle d’un père de famille.
Seulement voilà, là où Civilisation perd son statut de bon album, c’est dans sa cohérence. On ne comprend pas forcément les choix d’OrelSan. “J’ai fait un album qui ne parle que de ma meuf et de la société” lance-t-il à Gringe sur le morceau Casseurs Flowters Infinity. Une phrase qui semble prendre à la rigolade tout le reste de l’album, pourtant plutôt sérieux. Et qui nous fait surtout perdre un peu foi en son honnêteté. Cela dit, pas de quoi vraiment entacher la beauté et la profondeur de pistes comme Manifeste, Baise le monde, Civilisation et évidemment L’odeur de l’essence sur lesquelles OrelSan pose une vraie prose engagée.
Malgré tout, l’album coince. Parce qu’on sait de quoi il est capable, parce que des hymnes scandés par des foules entières, il sait en écrire, comme il sait d’ailleurs écrire des merveilles réflexives et introspectives. Pourquoi alors sortir des sons complètement inutiles comme Bébéboa, un (à peine) discret pompage de la rythmique de Bande Organisée sur Du Propre, dont le propos est d’ailleurs assez vide, ou un Athéna qui vient paraphraser son Paradis de son album précédent, tout en étant un peu plus mielleux.
Un bon album a besoin d’un fil conducteur, d’un élément qui nous rappelle que le projet a une couleur unique, sauf si le contraire est assumé. Ici, OrelSan s’emmêle un peu les pinceaux avec les différentes thématiques qu’il veut aborder. Pourquoi n’avoir pas divisé toutes ces pistes en deux EP distincts ? Bébéboa n’a rien à faire sur le même projet que L’odeur de l’essence, même si, on le sait, le Normand a toujours aimé avoir des musiques qui dénotent par rapport aux autres sur ses albums. Probablement une manière de laisser une place à l’expérimentation.
Évidemment, les puristes et fans de la première heure du San garderont une certaine retenue vis-à-vis de l’évolution de celui-ci. Indéniablement, il est devenu une star. OrelSan est maintenant une entreprise rentable qui doit continuer à l’être. Et pour ça, il faut vivre avec son temps et se renouveler, et vendre, évidemment. D’où cette idée d’éditions collector de 15 CD différents aux couleurs des 15 titres de l’album. Bonne et mauvaise nouvelle à la fois, lorsqu’on sait que certains se sont revendus à des prix astronomiques avant même la date de sortie. Il y a eu également l’idée des tickets d’or dans une poignée d’albums, laissant à une poignée de chanceux l’opportunité d’assister librement à ses concerts à vie. De quoi faire d’OrelSan le Willy Wonka du rap et surtout d’accroître son potentiel d’un point de vue marketing.
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Finalement, que retenir de Civilisation ? Les productions, laissées entre les mains de Skread et Phazz pour la majorité, sont modernes mais pas révolutionnaires pour autant. Un par un, les tracks se laissent écouter aisément, hormis quelques exceptions citées ci-dessus. Mais l’ensemble n’est pas convaincant et manque de cohérence, il manque ce petit truc qui nous dirait où il veut en venir avec cet album. Certains textes sont magistraux et offrent une base de réflexion sur une société au bord du précipice et c’est là que la magie opère dans l’album. OrelSan est un génie dans sa capacité à mettre des mots sur les pensées de tout un chacun d’une manière simple et basique (comme il nous l’a rappelé pendant un (trop) long moment). Il possède ce côté humain et amical, exacerbé par l’autocritique qu’il déploie dans certains de ses morceaux, que beaucoup de ses confrères sont incapables de développer. Mais ses deux dernières galettes nous poussent à nous demander s’il n’est pas devenu aujourd’hui un artiste taillé à faire des hits plus qu’un créateur de grands albums. Alors qu’il est et restera un artiste inoubliable, Civilisation sera à notre sens un album oubliable.
J’aime passer de la musique en soirée mais mon goût musical décline généralement au fil des bières.