Collections From The Whiteout : Ben Howard scintille en roue libre
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
29/03/2021

Collections From The Whiteout : Ben Howard scintille en roue libre

 

Il est l’une des pointures de la scène folk internationale, et sa musique vous a très certainement déjà fait vibrer les ventricules. Deux ans après son complexe Noonday Dream, Ben Howard revient avec un quatrième album intitulé Collections from the Whiteout. Co-écrit avec Aaron Dessner, guitariste du groupe The National, ce nouvel opus se révèle effervescent et diffus – plus libre, aussi. L’Anglais y fait éclater sa créativité sans contrainte pour un rendu kaléidoscopique, parfois confus, mais d’une beauté dont lui seul a le secret. 

Lorsque l’on fait le point sur la discographie de ce génie folk, on s’aperçoit rapidement que Ben Howard est un homme curieux. Alors que la légèreté acoustique de son premier projet Every Kingdom (2011) lui pavait la voie vers les sommets de la scène pop-folk, un souffle alternatif résolument plus sombre s’emparait du mystique I Forget Where We Were (2014) tandis que Noonday Dream (2018) revêtait, lui, un caractère indie-psych et slow-burn presqu’illisible. Véritable caméléon musical, au fil des sorties, l’artiste aura eu le mérite de donner corps à ses idées avec circonspection et une rigueur précautionneuse. Pour Collections from the Whiteout, les choses se sont passées autrement.

 

La matière paraît brute, et ce n’est pas un hasard : Collections from the Whiteout est le fruit d’une pulsion. Une furia créatrice née un jour d’été : le temps d’un voyage en voiture le long des routes portugaises, alors qu’il écoute le projet People Collective mené par Justin Vernon (Bon Iver) et Aaron Dessner, Howard est saisi par un morceau. Santa Agnes, long de 17 minutes, par la force énigmatique de ses boucles loopées à l’infini, va se dresser comme sa nouvelle muse à exploiter d’urgence. Ainsi, la collaboration avec Dessner était écrite. Et la rencontre entre ces deux instrumentistes donnera lieu à une palette disparate, sur laquelle leurs deux univers ne se fondent jamais l’un dans l’autre, préférant s’élancer dans un ballet distancié mais synchronique.

On y retrouve ainsi beaucoup de Dessner (les nappes électroniques de Follies Fixtures et Finders Keepers ne vont pas sans rappeler certaines sonorités electro-glitch du dernier album de The National) qui vient accompagner la folk pure (criante sur What A Day ou Rookery) de Howard avec générosité et audace. Habitué jusque-là à sa caste limitée, composée de ses musiciens, le chanteur s’ouvre ici à une liste d’invité·es plus riche, et ouvre par la même occasion le champ des possibles. On décèle ainsi sur What A Day le violon de Rob Moose (excellent sur la version Copycat Killer du dernier Phoebe Bridgers), les batteries de Yussef Dayes sur Crowhurst’s Meme et de James Krivchenia (du groupe Big Thief) sur Far Out, ou encore la voix de Kate Stables (frontwomen de This Is The Kit) sur You Have Your Way.

So I’ll go back to working
through the gentle hours of the evening
Where the weather and the wine
and the company treat me easily

| Rookery

Des collaborations qui pousseront l’artiste à repenser son processus de création, en préférant le lâcher-prise au contrôle minutieux. Et il faut dire que le tournant est radical : Howard donne ici l’impression de partir en roue libre, cet album se faisant l’écrin sans limite de sa profusion éclatante d’idées, les saisissant toutes, sans exception, de la plus familière à la plus farfelue. Presqu’à la manière des surréalistes, Ben ne fait plus de ses idées une fin à combler, mais plutôt les véhicules qui le transportent d’un morceau à l’autre.

Un effet qu’il applique plus précisément à son écriture. Visiblement décidé à étoffer son songwriting, il propose ici une série de narratives inspirées d’actualités réelles, et détournées dans des textes incongrus et métaphoriques. Là où il a largement brassé son âme sur ses précédents opus, Howard s’intéresse ici à la vie des autres, de façon pragmatique et désintéressée, conférant à ces histoires une certaine ineptie. Il se saisit ainsi des destins tragiques de l’escroqueuse russe Anna Sorokin (sur Sorry Kidou du voyou pseudo-aviateur Richard Russell (sur The Strange Last Flight of Richard Russelpour composer ses paraboles. Nul besoin de leur chercher un sens, le processus de Ben est aussi absurde que gorgé de liberté. À titre d’exemple, le morceau Crowhurst’s Meme, articulé autour du mystérieux naufrage du navigateur Donald Crowhurst en 1969, a été inspiré d’une “bancale section de guitare synthétisée qui donnait l’impression d’un mal de mer.”

Les gens cherchent vraiment à donner un sens aux choses, mais c’est peut-être le moment idéal pour jouer une musique qui représente un ressenti plutôt qu’une signification explicite.

 

Et des ressentis, ce n’est pas ce qui manque à ce Collections from the Whiteout. Du romantisme cordé de You Have Your Way à la confusion dramatique de Unfurling en passant par l’onirisme changeant de Sage That She Was Burning et le ravissement illuminé de Metaphysical Cantations : le voyage est complet. On retrouve sur ce quatrième album un mélange décousu des univers passés de Ben Howard. Comme si ses trois précédents disques mangeaient à la même table, mais sans les couverts : plus insolents, moins calibrés. Et c’est une bonne chose.


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