| Photos : Melissa Fauve pour La Vague Parallèle
Entre des résultats électoraux conservateurs, un centre-ville qui à force de nouveaux bâtiments ne verra plus le ciel, les rats et l’envol du prix de l’immobilier, Bruxelles était doucement en train de perdre son éternel hype. Heureusement fin octobre, la capitale de l’Europe se trouvait sur la route du POURquoi!! Tour 2024 – un concert au Bota qui allait permettre à 8ruki de partager avec Bruxelles la meilleure mixtape de l’année et de lui rendre son swag légendaire.
On avait quitté un 8ruki prêt à s’ouvrir à un public plus large. C’était en 2023, une éternité. C’était INT8TION, son premier album. C’était ce qu’il fallait faire à l’époque, ce que lui guidait son instinct. Début 2024, autre moment, même vision, l’intuition : POURquoi!!. Une mixtape en rouge et noir, format chérit du rap. 22 titres, 55 minutes, host par Mayungos, son DJ. Et si on trouve des pointures en feat (Jolagreen23, Myth Syzer, Slimka, ThaHomey, BABY NEELOU et d’autres), la spontanéité musicale du projet peut brusquer. Qu’importe. Il serait temps de s’ouvrir aux enrichissements américains d’une trap déjà américaine essorée par le rap français : la plug, la rage ou l’utilisation du flow DMV. Terrains que Ruki a déminé il y a longtemps et dont il reste, en France, le plus solide propriétaire. Bref, le 8 n’est pas du genre à se brider. C’est même tout l’inverse.
En choisissant toujours la liberté, 8ruki remet l’art sur la carte d’un rap qui tend à devenir lisible et stéréotypé. Même carrément chiant. Dans ce jeu, un·e nouvel·le artiste va chercher à tout prix à quitter son statut de débutant·e, quitte à griller les étapes. 8ruki lui s’en branle des étapes. Et renverse complètement l’angoisse en s’assumant rookie à vie. Résultat, depuis ses débuts en 2017 sur Soundcloud, l’éternel jeune rappeur se voit coller l’étiquette de new wave. Il nous le disait l’an dernier : « j’ai traversé plusieurs vagues de new wave. C’est positif, ça veut dire que ma musique est toujours fraîche ».
Et si un·e bon·ne artiste est libre, un·e bon·ne humain·e partage. À ce propos, en plus de nous avoir offert plus de 100 morceaux à même pas 30 ans, 8ruki est spécialiste de la connexion avec son public. Bon artiste, bon humain et bon businessman, quand même. En indépendant et CEO de 33Recordz, le 8 a la vision de ce qui marche en 2024. Être présent sur les réseaux, personnaliser son produit mais construire au-delà de soi, être authentique et drôle, tout en faisant rêver. C’est par exemple ce qu’il s’applique à faire sur son TikTok où se côtoient extraits d’exclus sur lesquels il flex dans sa cuisine et vidéos conseils sincères du style « comment perdurer dans la musique ? ». Sur X, quand il n’échange pas des tweets directement avec ses fans, il publie un clip exclusif à la plateforme. Sur Youtube c’est des vlogs des concerts de ses poulains qu’il propose. Parmi ces derniers d’ailleurs : Ambrose & Labri ou 2Geeked, qu’on a finalement hâte de découvrir en ouverture de ce concert au Botanique.
F*CK BRAT SUMMER, VIVE SWAG AUTUMN
Une fois n’est pas coutume, le couloir traversant le Botanique voit un chassé-croisé entre des zoomers dégénéré·es, dripé·es jusqu’aux ongles, un œil de Doomer l’autre plein d’espoir, à l’humour beauf mais déconstruit et les néo-trentenaires habillé·es comme dans la vitrine de Zara mais en cher, Salomon, ambiance roulée, bières, rires jaunes et désillusions post-CDI. Le rap et le rock alternatif donc.
Derrière nous les regards vides, nous poussons les portes de la plus belle salle du Bota. L’intime Museum peine à contenir la charismatique présence de celle qui d’un souffle rappe, d’un second efface son joint. 2Geeked a les poumons frais, elle qui fracassait sans politesse la porte du rap français il y a un an seulement avec son intense premier EP Unexpected, dont on vous parlait ici avec très peu d’esprit critique. On retrouve sur scène un hyper rythme instrumental sur lequel l’artiste danoise dépose en anglais des flows chantés, rappés, chuchotés. Le premier rang s’ambiance.
| Photo : Melissa Fauve
Tout s’enchaine très vite. Avant l’explosion finale, la rappeuse pioche dans ses deux EP dont le dernier, Geeked in Paris, sorti au début de l’été, et rappe de sa voix détendue et augmentée de tremolo sur des prods exubérantes à la Chief Keef. Plug, glo, rage, supertrap, elle parcourt sous auto-tune le spectre d’un rap encore outsider en France, et les moins attentif·ves auront peut-être l’impression d’avoir entendu le même morceau pendant 30 minutes. Qu’importe, n’étions-nous pas bien sous cette bande originale cohérente nous projetant dans un imaginaire vaporeux où les tours voisines au Botanique du quartier Nord prenaient quelques mètres pour se transformer en quartier d’affaires de Chicago.
Mais tout ça c’était avant I Like Uuu. « Pull up, pull up » fait 2Geeked à Mayungos, alors que le public se réveillait unanimement sur le tube incontesté de la jeune artiste. Play – la fosse exulte au rythme des cloches, 2Geeked soigne sa sortie. « Merci beaucoup » fait-elle en français avant de lever son troisième doigt pour asseoir cette virilité nonchalante qui devra l’amener bientôt à être la tête d’affiche d’un concert.
| Photos : Melissa Fauve
Le rythme ne retombe pas avant le second concert, la faute à la sélection hyper agressive du DJ Mayungos. Un morceau aux basses graveleuses fait même perdre la tête à ce garçon dont l’émotion le conduit à monter sur scène, avant qu’on le hue. « Je ne me mets pas debout sur le truc du·de la caissier·e » recadre un Mayungos vexé. C’est à ce moment qu’8ruki apparait pour refaire unité, recouvert d’une veste Magnolia à son effigie. Les hit-hat commencent leur course effrénée.
Longues nappes nébuleuses, flow rapide, voix qui déraille puis hyper réverbérée. Le 8 arrive avec Ca$h!! et ELON MUSK!!, deux titres de la mixtape qui permettent de suite de rentrer dans son univers, en altitude. Après MYTH S8Z3R et un léger détour par son projet PoweredByRuki HD (2022) avec Interlude, 8ruki joue STAY UP pour le premier pogo de la soirée, avant d’enchainer trois morceaux d’INT8TION. L’énergie de la prod sombre de LOBSTER signée Binks Beatz s’empare de tout le Museum et plus aucune tête ne résiste à suivre le beat. Moment choisi par Mayungos pour lancer le plus mélodieux WAGYU dont le piano fait faire au public des au revoir avec les bras. Le concert ne fait que commencer.
| Photos : Melissa Fauve
La pause est bienvenue alors que les morceaux s’enchainent sans transition, show frénétique, concert TDAH, très contemporain. Les gaps entre les morceaux sombres et légers dans la forme ressemblent à la versatilité de 8ruki, riche palette d’un rappeur complet. Alors que le public chante OK LET’s go!!, nous envisageons un détour par les toilettes avant d’être rattrapé par les pleurs nostalgiques d’un violon nous obligeant à faire un sprint retour dans la foule. Le kick brut et sourd fracasse les murs du Museum pendant que le 8 assène sa vision de la vie pour ce qui forme Methadone, récent single magnifique.
| Photo : Melissa Fauve
VAris//PIENna, son feat avec l’autrichien Gola Gianni est l’occasion pour Ruki de se saisir du drapeau de la Palestine brandit dans la foule avant qu’il ne multiplie les flows sur GIVENCHY MARgiela!!. Le jeune PDG demande maintenant un coucher de soleil à la régie, le bleu et le orange collant parfaitement à l’univers rêveur et atmosphérique dans lequel il nous emmène maintenant avec Boofpack (2020) et Special (2022). Des morceaux qui n’ont pas pris une ride et qui nous ramènent à l’émergence de la plug en France et le doux souvenir coloré d’une excitation de la nouveauté, pendant qu’on portait des masques chirurgicaux dans les transports.
« Tu veux que je cane sur scène ? » fait 8ruki à son DJ. La fin du show est explosive. On a d’abord droit à une exclu, la même qu’il tease à outrance sur son TikTok, ce qui nous permet de chanter avec lui sur cette prod glissante : « J’suis ce fashion que j’pense être!! ». Puis restant dans la mode, il envoie le visiblement attendu SWAG. Une prod à l’efficacité dévastatrice, des lyrics libératrices, le tout faisant de la fosse une réunion publique de fou·olles de la gare prêt à daber à la moindre occasion. Le turn-up est énorme sur ce morceau qui résume bien 8ruki : il peut faire ce qu’il veut, il fait la tendance. Quitte à ressusciter les mort·es : « Bon, on re-ramène le swag, le dab, toutes ces merdes. Ça tourne tellement en rond que, carrément, c’est mieux d’revenir en arrière »
| Photo : Melissa Fauve
Mayungos renvoie ELON MUSK!!, puis SWAG puis ELON MUSK!! pour le genre de bouquet final dont on se souvient. Même si de la part d’un artiste aussi innovant et authentique qu’8ruki, on aurait aimé être plus surpris·e dans sa façon de performer sur scène, finalement assez classique. Mais qu’importe quand on peut se reposer sur une musique aussi fraiche et un DJ électrique. Le public salue les artistes en faisant des 3 avec les doigts, pour 33 Recordz. En numérologie, le nombre 33 évoque une amplification de la créativité, de la communication et de la compassion, selon France-mineraux.fr. 33 est aussi désigné comme le « Maitre Enseignant », un maitre qui inciterait avec humilité à agir pour le bien collectif. C’est peut-être ça le meilleur chez 8ruki, c’est le message qu’il porte, celui qui dit « fais ce que tu veux ».
| Photo : Melissa Fauve
Intense et dramatique